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Les surréels avaient utilisé leurs muses et les avaient jetées comme de vieilles chaussettes. Elles devaient être imprévisibles, à moitié folles, facteurs de désordre, négociables pour quelques cocktails, des muses déchaînées à bon prix. (p. 31)
Afficher en entierBreton, il l'a vu de loin, il lui a semblé arrogant et hautain, il lui a tourné le dos pour n'être pas obligé de le voir, les yeux rivés au cendrier. Ils ne le comprenaient pas, qu'est-ce qu'ils pouvaient bien faire de ce jid biélorusse, muet comme une carpe avec ses paysages tordus. Natures mortes! Portraits! La bonne vieille camelote démodée. (p. 33 -34)
Afficher en entierGrünewald, le retable d'Issenheim, les veines gonflées, la chair verte martyrisée. Chaque image de torture réveille une autre torture, les inconcevables potentialités de la douleur. les clous romains plantés d'un marteau lourd à travers tendons, muscles et nerfs ne font pas hurler et gémir de douleur le seul fils de Dieu. Le Seigneur cloué est une gigantesque arnaque. Jésus Christ est le fils de la douleur, la réconciliation avec la douleur. Regarde, il est mort de douleur pour toi. Pour te sauver. De quoi ? Quelle liberté y a-t-il si l'on n'est pas libre de toute douleur ? Pas de réconciliation avec la douleur! Pas de résignation muette, pas d'humble consentement! (p. 44)
Afficher en entierAbsurde la religion, qui s'invente un Dieu crucifié pour réconcilier l'homme avec la douleur. (p. 43)
Afficher en entierLes collines de Céret.
Les toiles sont les soeurs suppliciées des paysages. De la couleur comme de la lave, vert-orange-rouge, appliquée d'un geste plein de panique et de rage. Des maisons qui vacillent dans le paysage effaré, les fenêtres sont des yeux de fantômes. Des arbres recourbés comme des poulpes avec leurs tentacules. Des rues qui se cabrent. Des talus effondrés, ces chemins fouettés par le vent, bossus, crevassés. (p. 47)
Afficher en entierL'étoile jaune, il ne la porte jamais. A moins que son étoile soit invisible elle aussi ? A compter du 7 juin 1942, il faut porter la marque solidement cousue et bien visible ; quiconque omet de le faire est passible d'être incarcéré. Pour l'obtenir, il faut donner un point de sa carte de vêtements. Dans le Reich, les juifs n'avaient pas à dépenser un point pour leur étoile. Ils n'avaient pas de carte de vêtements. Et bientôt commence le ramassage des étoiles, les rafles s'enchaînent à intervalles de plus en plus courts. Puis le transfert à Drancy ou Pithiviers, Compiègne ou Beaune-la-Rolande, les camps de transit des environs de Paris. Il est interdit de fixer l'étoile avec une épingle de sûreté ou un bouton-pression. Coudre, qu'on ne puisse pas arracher, coudre jusque dans la peau si possible. Dès le début il était résolu à ne pas la porter. Le peintre Chaïm Soutine est invisible pour toujours sous son chapeau. Et son étoile aussi. (p. 110)
Afficher en entierSeule la parole crée le monde, Chaïm. Ton pinceau barbouille le monde, le mue en grimaces, en insultes à sa création. Ne vois-tu donc pas que tu as tout distordu et déformé, paysages et hommes, que tout tremble et vacille comme si c'était la douleur dans ton ventre qui avait peint et pas toi ? Comme si la douleur avait créé le monde et pas l'oeil paisible du Créateur et sa parole. Comme si un ulcère impie avait créé le monde! La Création ne doit pas être peinte Chaïm, pourquoi le serait-elle, à la fin de la semaine la Création est là, produite en six jours et couronnée par le Shabbat, la paix de l'Innommé pour qu'il la contemple avec satisfaction. As-tu oublié le commandement ? Oublié le plus important ? Tout oublié ? Tu ne feras point d'image taillée... Ni de représentation... Ni de ce qui est là-haut... Ni de ce qui est en bas sur la terre... Ni de ce qui est dans les eaux sous la terre... (p. 69)
Afficher en entierCombien de génies méconnus ont passé leur vie à attendre un dieu pharmacien qui comme Barnes entrerait dans leurs trous et leurs ateliers crasseux, brandirait l'index en direction des toiles et trompetterait : This one, and this one, and this one... (p. 168)
Afficher en entierService d'hygiène ! Ouvrez immédiatement !
Le peintre prend peur, il est livide, on dirait un cadavre. Un homme entre dans la pièce, vêtu d'un tablier blanc, un bonnet blanc sur la tête. Il veut confisquer la carcasse de boeuf à la puanteur atroce. Des mouches vertes vrombissent dans l'atelier. Soutine est atterré, son tableau n'est pas terminé. Rembrandt dans un coin a un rire triomphant.
Paulette plaide la cause du peintre désespéré.
Vous voyez bien qu'il est en train de le peindre, il en a besoin pour finir son tableau, je vous en prie !
Les hommes du services d'hygiène ont pitié, ils sortent leurs seringues et injectent de l'ammoniaque dans cette pauvre chair de la carcasse. Ils lui montrent en quelques gestes comment conserver les animaux sans empester tout l'immeuble. Dès lors, reconnaissant, il ne se déplace plus dans le monde qu'avec du formol, de l'ammoniaque et un assortiment de grosses seringues pour conserver au triomphe de la mort toute sa fraîcheur rouge sang. Et les dindons, les lièvres, les faisans viennent s'ajouter à la liste. Il se fait livrer plusieurs carcasses de boeuf, et chaque fois fixe un nouvel aspect de cette mort juteuse : un amas de graisse jaune rance ou la torsion d'un membre, ou les caillots de sang qui forment une surface mouvante. (p. 179)
Afficher en entierFais comme si tu étais mort. Ce sera plus facile. Tout sera plus facile. Tu es déjà mort, tu ne peux plus perdre la vie. La vie toujours déjà perdue, nous sommes déjà libres à demi. Tu ne peux plus rien perdre, rien. Et tu t'en vas, léger. Il faudrait pouvoir peindre ça.
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