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Liu Sheng devait faire profil bas, et la blessure de sa vie n'était pas complètement cicatrisée. Baorun le hantait encore, il lui apparaissait à tout moment, de jour comme de nuit. Un matin, alors qu'il passait à vélo sous le pont de la voie ferrée, un train passa au-dessus de lui, à grand fracas ; une ombre noire s'en échappa et vola vers lui, frôla son épaule et s'accrocha au cadre de son vélo. Il se ressaisit et regarda, c'était une boucle de corde de nylon, verte, du diamètre qu'il fallait pour y passer la tête...
Afficher en entierLa majorité des riverains de la rue des Cédrèles n’avaient pas d’instruction et ils imaginaient par habitude un esprit comme une colonne de fumée. Certains qui attisaient des poêles à charbon au bord de la rue eurent dans leur tête un déclic en voyant la fumée bleue qui en émanait : fumée, esprit, le crâne de Grand-père ! Quelques intellectuels, en revanche, qui avaient des notions de religion et de culture générale, soutenaient fermement que l’esprit était un rayon, et non allez savoir quelle fumée, un rayon sacré, que normalement seuls les grands hommes, les saints ou les héros méritaient de posséder, ce qui n’était pas le cas de Grand-père. Et encore ils étaient gentils, aucun d’eux n’était allé lui faire part de vive voix de cette conclusion cruelle qu’il n’avait pas d’âme, qu’il était juste un cadavre ambulant.
Afficher en entierLes riverains de la rue des Cédrèles se divisèrent en deux écoles, celle de la déduction logique et celle de l’imagination romantique : les tenants des os et les tenants de l’or. Cela va sans dire, avec la politique de réforme et d’ouverture, avec la relance économique, que ce soit les partisans des os ou ceux de l’or, tout le monde caressait l’espoir de devenir riche en une nuit. Certains faisaient dans la tête leurs petits calculs : que les dires de Grand-père soient vrais ou faux, au final il ne fallait qu’un coup de bêche ou de pioche, pas besoin d’investir ou de prendre des risques. Qui trouverait des os jouerait de malchance, qui trouverait de l’or ferait fortune.
Afficher en entierLes mangeurs de viande devraient tous passer par eux, tout le monde savait cela. La viande de porc fraîche et les abats fumants engendrent le pouvoir et compromettent les sentiments ; la place de cette famille dans la rue allait sans dire, elle était l’une des plus respectées.
Afficher en entierSes larmes coulaient sur les mains de Baorun. Il en essuya soudain une sur la corde, qui l'absorba en silence. Les liens avaient été noués par un expert en la matière, simples et coulants, traçant des lignes géométriques ; tant qu'elle ne bougeait pas, ce n'était pas trop inconfortable. Elle se fit obéissante, peut-être par intelligence, peut-être par désespoir. Ils arrivèrent à l'asile...La camionnette s'arrêta devant le château d'eau. Baorun relâcha sa prise, la dévisagea, écrasa une larme au coin de son œil, un si joli visage, il est tout enflé maintenant, dit-il. Pourquoi pleurer ? Tu me dois dix ans, dix ans de liberté...
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