Extraits

— Espèce de connard, le salua Roscoe. Tu ferais mieux de ne pas avoir pris un boulot auprès de quelqu’un d’autre !

Nick eut beaucoup de mal à dire calmement :

— Pourquoi ? Qu’est-ce que tu as pour moi ?

— Une paie pourrie, des avantages pourris, de longues heures, et une bande de connards pour qui travailler.

— Quels sont les inconvénients ?

Perry ralluma la lumière.

L’homme décédé était toujours dans sa baignoire.

— Ce n’est pas possible, murmura Perry.

Apparemment cela ne convainquit pas le cadavre, qui continua de le fixer à travers ses paupières à demi closes.

Le mort lui était  inconnu ; Perry en était à peu près sûr. Il – l’homme – avait la cinquantaine et besoin d’un bon rasage. Son visage était d’un espèce de rouge tirant sur le vert, les joues creusées comme si ses traits étaient en train de glisser. Ses jambes dépassaient de la baignoire comme celles d’un mannequin. Une chaussure avait un trou dans la semelle. Ses chaussettes étaient jaunes. Jaune paille, en fait. Elles étaient assorties à l’hideuse veste à carreaux.

C'était une erreur, bien sûr. Une énorme erreur. Mais soudain, Nick voulut goûter la bouche de Perry sans attendre, alors il pencha la tête. Les yeux de Perry s'écarquillèrent, puis leurs visages se cognèrent, et sa bouche trouva celle de Perry. C'était un baiser doux, parce que Nick pensait encore à combien c'était stupide, et que Perry, étant inexpérimenté, s'attendait probablement à des chants d’oiseaux et à des feux d'artifice. Perry avait le goût du chocolat chaud et de quelque chose de chaleureux, jeune et masculin. C'était étonnamment érotique. Il répondit tendrement, s'ouvrant tout de suite, et le cœur de Nick fit un bond dans sa poitrine.

Le visage de Nick était dénué d'expression. Il était probablement doué au poker. Perry était doué au pouilleux.

- Alors quoi... les fantômes des invités dévalisés hantent les couloirs du manoir Alston ?

- Non. Shane Moran est supposé hanter les terres. Il a été tué dans une fusillade dans le bois de Witch Hollow.

Nick grogna.

- Laisse-moi deviner. On lui a tiré dessus pour avoir porté une veste en tweed jaune voyante ?

Perry rit.

- Peut-être. Mais le gars dans ma baignoire ne portait pas de costume. Cette veste venait du magasin Big and Tall World, je parie.

- La Collection Soprano, dit Nick.

- Hé. Perry eut l'air pensif. Il avait bien l'air d'un gangster, si on peut dire.

- Tous ceux avec un goût pour les carreaux et le tissu écossais ne sont pas vraiment des criminels, bien que je voie pourquoi tu pourrais le penser.

Nick posa sa bière.

— Marcel ?

— Marcel, oui, dit Perry sèchement.

— Tu avais une cyber-romance avec quelqu’un qui s’appelle Marcel ?

Nick se moquait de lui, et Perry devint rouge de colère.

— Vous donnez l’impression que c’était stupide et bizarre. Ça ne l’était pas. Nous avions une vraie amitié. Une vraie relation. Nous nous écrivions tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Alors nous nous sommes enfin téléphonés. Nous avons parlé longtemps, et nous avons décidé de nous rencontrer, pour voir…

— Et surprise, surprise, dit Nick avec cynisme. Il mesurait quatre-vingt-dix centimètres, était chauve, gros, et approchait de soixante ans.

Perry répondit avec virulence :

— Il était exactement comme je m’y attendais. Comme je l’espérais. Il était parfait.

La bouche de Nick s’incurva sardoniquement, mais tout ce qu’il dit fut :

— Alors qu’est-ce qui s’est passé avec M. AOL ? Tu n’étais pas ce que lui attendait ?

C’était incroyable à quel point on pouvait souffrir et toujours continuer à respirer…

Comme Nick ne répondait pas, Perry dit très nonchalamment :

— Si vous vous inquiétez que les gens puissent penser que vous êtes gay si vous y allez avec moi, vous n’avez pas à l’être.

Nick regarda droit dans les yeux de Perry.

— Non ?

— Non.

— Pourquoi ça ?

— Vous n’êtes pas le genre.

— Il y a un genre, hein ? Je croyais que c’était un mythe. Qu’en est-il de ces culturistes homos ?

L’adjoint fronça les sourcils vers une peinture d’un champ de baies mûrissant dans le soleil d’automne.

— Je ne vois pas l’intérêt de peindre quelque chose comme ça quand vous pouvez simplement prendre une photo.

— Ce n’est pas la même chose, dit Perry.

— Non, parce qu’une photo est plus précise.

— L’art n’est pas juste une question de précision. C’est une question d’interprétation. C’est une question…

Perry hocha la tête de manière encourageante. Il reconnaissait un fanatique quand il en voyait un, et tous les fanatiques appréciaient avoir l’opportunité de répandre leur bonne parole. Sans surprise, Nick était sur son estrade de fortune plus vite qu’on aurait pu dire index glycémique.

— Une alimentation correcte fournit le carburant pour le bon fonctionnement de ton moteur. Elle fournit de l’énergie et favorise la croissance et la réparation des tissus. Et elle régule tes fonctions corporelles.

Perry réprima un sourire. Il n’avait jamais vu Nick Reno aussi détendu jusque là – en fait, il était presque amical dans son enthousiasme.

— Les glucides, les protéines, et les lipides sont les trois substances nutritives de l’énergie, conclut Nick. La meilleure source d’énergie c’est les glucides. 

Il regarda ostensiblement le tas de patates de Perry, et Perry enfourna une autre fourchetée automatiquement.