Extraits

Habituée à répondre aux ordres, cette dernière arrive aussi vite qu'elle le peut. C'est une femme d'un certain âge dont les rondeurs témoignent des kilos qu'elle n'est pas parvenue à perdre après ses quatre grossesses. Manuella scrute le visage de la femme. La douceur qui émane de ses traits, alors que ses yeux se posent sur le petit en souffrance, tranquillise la mère. Elle s'avance vert lui et passe un bras protecteur autour de ses épaules, avant de l'entraîner à l'extérieur. Elle baragouine quelques mots fermes au jeune homme, qui ne cherche pas à la contredire et s'éloigne en prenant soin de lancer un regard qui se veut rassurant à la mère de l'enfant. Manuella se laisse tombe sur la paillasse au son du cadenas qui se referme et la sépare à nouveau de celui qu'elle aime le plus au monde.

La musique redouble de vigueur et Manuella se laissait aller à quelques déhanchements sur les meilleurs tubes des années quatre-vingt. L'effet de l'alcool aidant, la danse lui donne la délicieuse sensation de parfaitement maîtrise son corps. Un sourire béat aux lèvres, elle observe celles et ceux qui l'ont accompagnée depuis tant d'années, dans les bons moments comme dans les périodes difficiles, ses copines de lycée, comme ceux que la vie lui a permis de rencontrer depuis. Les blagues de JP, les chorégraphies improvisées de Phil, l'humour de Marie, la maladresse attendrissante de Sonia, la naïveté de Fred... Elle les aime aussi bien pour leurs qualités que pour leurs défauts. La plupart sont désormais en couple, elle est l'exception, elle le réalise au moment où elle souffle les trente-cinq bougies réparties sur le gâteau. Depuis sa séparation avec le père d'Oscar, elle a assuré à tous qu'elle n'était pas près de "remettre ça", mais tous ces comptes qui l'entourent ce soir, leur tendresse réciproque, la ramènent cruellement à sa solitude. Elle donnerait cher en cet instant pour que deux bras l'enlacent, pour qu'une tête se pose sur son épaule, une tête masculine, songe-t-elle en sentant sa chère Daphné exécuter ce geste, comme si elle avait lu dans ses pensées. Matt aurait pu le faire, s'il n'était pas parti à Barcelone pour rencontrer un client. Il serait peut-être temps de se reconstruire. Serait-il le bon candidat ? Ils ne se connaissent que depuis deux mois, ne se voient que les semaines où Manuella n'a pas la garde d'Oscar. Un garçon brun, fin, long, séduisant, auquel sa mère trouverait des airs de gendre idéal. Encore faudrait-il qu'elle daigne le lui présenter. Les années ont rendu Manuella méfiante, et la beauté et la sensualité de Mat - qui l'ont attirée dans un premier temps - pourraient cacher un danger. Tout plutôt que de se tromper une nouvelle fois... Passer quelques nuits dans des bras d'homme n'engage à rien, mais envisager un avenir commun exige plus de confiance. Repartir pour une vie à deux, s'installer ensemble lui paraissent requérir une énergie démesurée. Et avoir un deuxième enfant ? Elle en a rêvé. Il faut être lucide, elle vient de souffler trente-cinq bougies. Elle devra bientôt faire une crois dessus... Aurait-elle l'alcool triste ? Ce n'est pas dans ses habitudes.