Extraits

J'apprends à redevenir bipède ; c'est difficile.

Ceci fait, j'espère que je ne devrai pas apprendre à redevenir humain.

Si on a les proches qu'on mérite, tu es sans doute une meilleure personne que tu ne le crois.

Il est 21h40 selon certaines sources, or la dernière conversation téléphonique passée du portable de Shaitan ensuite abandonné dans une poubelle l'a été à 21h42, or les caméras de surveillance de la rue affirment que l'assaut a commencé à 21h47.

Quelle importance ?

Dedans, le temps abdique. Le réel se distord en surréel. Extérieur dissout, l'enclave devient tout, le moment l'univers, rien d'autre, nul ailleurs car aucune échappatoire.

L'hyper horreur est une faille spatio-temporelle.

De retour chez lui quelques semaines plus tard, il poursuit sa convalescence entre les mains de Justine. Un matin, alors que la jeune kiné lui masse le mollet, la même scène se répète : frissons, engourdissements, larmes. Justine est secouée. Elle conseille à l’écrivain de consulter Anne-Cécile, une ostéopathe qui ne dédaigne pas travailler sur les énergies du corps humain. Curieux de différentes pratiques, de différentes manipulations, de différents regards, notre homme prend rendez-vous. Il parle à Anne-Cécile de ces deux réactions émotionnelles à trois mois d’écart suite aux manoeuvres de deux kinés différents. Elle fronce les sourcils.

« Ne m’avez-vous pas dit que quelqu’un était accroché à votre mollet pendant des heures, au Bataclan ? »

Les énergies de la personne blessée qui serrait désespérément la jambe de l’écrivain seraient restées gravées dans sa chair ? Le corps aurait une mémoire, qui emmagasinerait elle aussi les traumas ?

Allons bon ...

Tu pénètres dans la salle. Sensations familières, plénitude immédiate : un concert de rock. Tu ne les comptes plus mais à chaque fois le même enchantement, la même excitation, allez, vas-y, tu peux bien avouer maintenant que si tu devais avoir un regret, ce serait de ne pas être devenu une rock star.

Tu souris.

À partir de là, ce n’est plus ton histoire. Plus seulement ton histoire.

À partir de là, ce n’est plus seulement ton histoire, c’est aussi la nôtre.

À partir de là, guerre, chaos, gros titres racoleurs et alarmistes – on veut tout savoir, racontez-nous, n’omettez aucun détail.

À partir de là, récupération politique. Mentons volontaires, regards noirs face caméra, déclarations martiales. On va voir ce qu’on va voir. Choisissez votre camp. Aux armes, citoyens !

À partir de là, génération ceci et cela, des philosophes internationalistes redeviennent français, d’autres retrouvent la foi, ou la voix, « Je vous l’avais bien dit », on occupe des créneaux, on pense en double file, sans les warnings.

À partir de là, un avant et un après.

À partir de là, j’omets, je falsifie, je mens peut-être, les pronoms n’ont plus rien de personnel. Il faudra vous y faire.

À partir de la commence une histoire que je ne voulais pas raconter.

Voilà quelques années que tu as décidé de dire que tu les aimes à ceux que tu aimes, de dire quand c’est bien, quand c’est beau, quand c’est touchant. D’exprimer tes sentiments. D’essayer d’être gentil et bienveillant contre le cynisme ambiant et ton fond fier et égoïste. Ça change tout. L’amour autour, en donner, en recevoir, ça change tout. Tant pis pour les pisse-froid.