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Chapitre 1
« Où le jeune homme consulte un oncle riche
Il était une fois un jeune homme qui voulait devenir riche.
Parce qu'il était né pauvre.
Et que, toute sa vie, il en avait souffert.
Comme d'une véritable infirmité.
Il aurait certes pu penser, comme bien des gens, que l'argent ne fait pas le bonheur.
Mais il ne faut pas avoir connu l'humiliation de la pauvreté pour penser ainsi.
Il faut être riche.
Ou résigné.
Et il n'était ni l'un ni l'autre.
Forcé très jeune d'abandonner des études que son père trouvait ruineuses et inutiles, il n'avait pas eu la chance de démarrer dans la vie avec ce petit bout de papier à la fois surestimé et décrié qui pourtant ouvre bien des portes: un diplôme. Il avait exercé divers petits métiers – plongeur, commis, vendeur – avant d'aboutir dans une agence de publicité.
Il y occupait un poste obscur d'assistant, c'est-à-dire qu'il s'acquittait tous les jours de toutes les petites tâches ingrates que son patron ne s'abaissait pas à faire, en plus de lui suggérer des idées, souvent brillantes, pour lesquelles il n'obtenait aucun crédit, aucune augmentation.
Il se considérait donc comme sous-estimé et mal payé, et il était malheureux quarante heures par semaine, un sort dont la banalité ne le consolait pas.
Si au moins il avait pu obtenir une promotion. Mais, d'entrée de jeu, son supérieur hiérarchique l'avait catalogué, trop heureux d'avoir sous sa coupe un tâcheron indispensable à sa confortable paresse: bon second, il ne serait jamais chef!
Pourtant, malgré ses dettes, malgré la médiocrité de sa situation, la modestie de son appartement, le jeune homme persistait à croire que seule la malchance l'avait détourné de sa véritable place dans la vie. Il avait, il en était certain, une bonne étoile. Un jour elle brillerait pour lui, et son existence s'en trouverait transformée.
Quand?
Il n'aurait pu le dire.
Mais il commençait à trouver le temps long.
Et à chaque nouvelle semaine qui passait, il entrait de plus en plus à contrecœur au bureau, et son espoir de jours meilleurs rétrécissait comme une peau de chagrin.
Il avait rédigé une lettre de démission qu'il gardait toujours dans sa poche, mais qu'il n'osait remettre à son patron. Tout abandonner est bien beau: encore faut-il savoir vers quoi l'on part!
Or il l'ignorait.
Il savait seulement qu'il en avait assez.
Et il se sentait mourir à petit feu.
D'ennui.
De frustration.
Un jour où il était particulièrement découragé, l'idée lui vint d'aller trouver un vieil oncle riche qu'il ne voyait qu'une fois par année, à Noël!
Peut-être lui donnerait-il un conseil.
Ou de l'argent.
Ou les deux à la fois.
Mais son oncle préféra lui donner une leçon plutôt que de l'argent.
Il était philosophe.
Ou avare.
Ou les deux à la fois.
«Ce serait te rendre un mauvais service», expliqua- t-il philosophiquement au jeune homme aux paumes moites.
Ce dernier n'était pas ennemi de la philosophie, mais il trouvait qu'un petit prêt lui aurait rendu grand service. Il découvrait la valeur de l'argent: il suffit de tenter d'en emprunter!
Confortablement calé dans un immense fauteuil, derrière son imposant bureau de bois sombre, l'oncle au teint couperosé par des excès de cognac grillait un havane avec la tranquille assurance d'un homme assis sur une importante fortune.
«Quel âge as-tu, maintenant? lui demanda-t-il après avoir exhalé quelques habiles volutes de fumée.
—Vingt-six ans, fit le jeune homme en rougissant: il sentait un reproche derrière la question.
—Savais-tu qu'à ton âge Aristote Onassis, qui s'était lancé en affaires avec trois cent cinquante dollars empruntés, avait déjà amassé plus d'un demi-million? Qu'à vingt-trois ans, Jean Paul Getty était déjà millionnaire?
—Euh, non... »
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