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— Bon Shabbath, monsieur. De quoi s'agit-il ? De votre mariage ?
— C'est une longue histvare et, comme votre excellonte épouse mé dit que votre déjeuner est prêt, jé voudrais pas vous rétarder.
— Je dispose encore de quelques minutes. Que puis-je pour vous ?
Yankélé secoua la tête :
— Il n'est pas qvestion que jé vous retienne dons cé vestibile, on plein couront d'air.
— C'est égal, je ne sens pas de courant d'air.
— Voilà bien lé donger : vous né remarquez rien et un beau jour vous vous retrouvez raide dé rhumatismes, et lé Rémords sur la Conscionce, ajouta Yankélé avec son habituelle étincelle dans le regard. Votre existonce est si précieuse… Si vous mourez, qui c'est qui consoléra la communauté ?
La formule était pour le moins ambiguë mais le rabbin l'interpréta dans son sens le plus flatteur et ses petits yeux rayonnèrent.
— Je vous demanderais bien d'entrer mais j'ai une visite.
— Aucune importonce. Cé que j'ai à vous dire, monsieur lé rabbi, n'est pas dé l'ordre privé. Un étronger peut écouter.
Afficher en entier— Alors, que faire ?
— Jé peux attondre la fin du déjeuner, dit Yankélé avec une aimable nonchalance. Jé né dors pas, moi.
Avant que le rabbin ait pu répondre, sa femme entra avec un rôti qu'elle déposa sur la table. Son mari lui lança un regard incendiaire mais, ponctuelle comme une horloge et tout aussi inconsciente, elle ajouta une bouteille noire, remplie de schnaps. C'était à son mari de se débarrasser de Yankélé ; son affaire à elle était d'apporter le repas. SI elle avait pris du retard, il lui en eût tenu rigueur. Non seulement elle était épouse mais aussi bonne à tout faire.
Devant l'état avancé des préparatifs, Manasseh da Costa s'installa pendant que Mme Hareng du Remords, sur un coup d'œil de son mari, s'asseyait en bout de table. Pour sa part, le rabbin s'octroya la place d'honneur, derrière le plat. C'était toujours lui qui servait, étant le seul à qui se fier pour jauger ses capacités. Yankélé était resté debout. Le fumet de la viande et des pommes de terre imprégnait l'atmosphère d'une poésie poignante. Soudain, le rabbin leva la tête et eut des intonations charmeuses pour s'adresser à lui :
— Voulez-vous imiter notre exemple ?
Le cœur du Schnorrer sursauta d'un bonheur insensé. Il posa la main sur l'unique chaise vacante et s'empressa, aimable :
— Ma foi, jé veux bien.
— Eh bien, rentrez déjeuner chez vous.
Afficher en entier— Eh, vous là-bas !
— Qué voulez-vous ?
— Il est où, vot' billet ?
— J'ai pas bésoin dé billet.
— Ah ouais ? Moi, si, rétorqua le préposé, en veine de plaisanterie.
— M. da Costa m'a donné une siège dons sa loge.
— Oh, vraiment ? Vous en deriez serment à la barré ?
— Voï ! Sur ma tête.
— Une siège dans sa loge ?
— Voï.
— C'est bien M. da Costa qu'vous dites ?
— Voï.
— Bon ! Alors, par ici.
Et l'humoriste lui montra la rue.
Yankélé ne bougea pas.
— Par ici, mon gars ! répéta le joyeux luron d'un ton sans appel.
— Pvisque jé vous dis que jé vais dons la loge dé M. da Costa.
— Et moi yé vous dis d'aller voir dans lé rouissau si j'y souis !
Et saisissant Yankélé par la peau du cou, il s'aida du genou pour le pousser au-dehors.
Afficher en entier— Alors tu comptes supprimer toute ma ribrique d'anniversaires ?
— D'anniversaires ? Qu'est-ce que c'est ?
— Commont ? Tu né sais pas ? Quond un homme a un anniversaire, il sé sont charitable cé jour-là.
— Tu veux dire lorsqu'il commémore l'anniversaire de la mort d'un parent ? Nous, les sépharades, nous appelons cela " faire des années ". Mais y a-t-il un nombre suffisant de jours anniversaires, comme vous dites, dans votre communauté ?
— Il pourrait y on avoir pliss, jé né gagne que quinze livres onviron. Comme tu dis, notre colonie est trop réçonte. Lé cimétière dé Globe Road est aussi vide qu'une synagogue un jour dé sémaine. Les pères ont laissé leur père sur le continont, alors ils privent lé pays dé beaucoup dé jours anniversaires. Mais dons quelqués années, des pères et des mères mourront ici et chacun laissera deux ou trois fils pour célébrer l'anniversaire et chaque onfont deux ou trois frères et un père. Et pvis, chaque jour, d énouveaux Jvifs allemonds débarquent ici, c'est-à-dire dé pliss on pliss qui vont mourir. On vérité, jé ponse qu'il sérait juste dé doubler cette somme.
— Non, non, des faits. Il serait inique de spéculer sur les malheurs de nos semblables.
— Il faut bien que quelqu'un meure afin que jé pvisse vivre, répliqua Yankélé, malicieux : c'est dons l'ordre des choses. Tu n'as pas dit : « La Charité délivre dé la Mort » ? SI les geons vivaient éternellement, les Schnorrers ils pourraient plus vivre du tout.
— Chut ! Le monde ne saurait exister sans Schnorrers. Comme il est écrit : « Et le repentir, et la prière et la charité conjurent le décret fatal. » La charité est citée en dernier : c'est le summum, la chose la plus grande de ce monde. Et le Schnorreur est l'homme le plus grand en ce monde car il est dit dans le Talmud : « Celui qui suscite est plus grand que celui qui agit. » Par conséquent, le Scnorrer, qui suscite la charité, est plus grand que celui qui la fait.
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