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La ville résonnait des bruits habituels de la circulation. Certains klaxons rugissaient, des crissements de pneus se faisaient entendre. Les grandes routes comme les plus étroites étaient bondées, remplies de véhicules aux conducteurs désireux de se rendre quelque part, sous le soleil ardent. La chaleur rendait tout le monde de mauvaise humeur, coincé dans leurs habitacles qui accumulaient maintes odeurs de sueurs, mêlées à celles des gaz d’échappement des voitures. Au loin, hors de la ville, le grand tracé de l’autoroute permettait de rejoindre la capitale en une heure. Beaucoup de personnes désireuses d’y travailler s’étaient installées dans la ville et avaient profité de sa proximité pour éviter de s’engluer dans la masse déjà compacte d’habitants de la capitale. Tout autour du vieux centre, les commerces, les habitations s’étaient développés et avaient rendu la commune plus vaste et plus peuplée.

Parmi tout ce vacarme incessant devenu habituel, un quartier semblait moins fréquenté, plus posé. Des bâtiments colorés se succédaient, entourés par des grillages qui se voulaient protecteurs. Le quartier des écoles comportait plusieurs salles de classe, de la maternelle au primaire. Plus loin, un collège et un lycée se côtoyaient. Les façades des bâtiments étaient les mêmes, de longues plaques blanches ou jaune vif qui s’alternaient sur les parois et encadraient les nombreuses fenêtres. Les portails rouges délimitaient les cours qui permettaient de faire une pause. Celles-ci étaient vides, désertes. Le calme qui régnait dans le lieu contrastait totalement avec le vacarme de la circulation, de l’autre côté de la ville. Une porte claquait de temps à autre, rompait brièvement la quiétude du lieu. Sur le sol goudronné, le vent s’amusait à déplacer une feuille de papier où quelques lignes étaient griffonnées. Lorsqu’elle se posait sur le sol, elle s’envolait de nouveau dans un tourbillon. Elle finit pourtant plaquée contre le pied d’un banc en bois. Après quelques tentatives désespérées, elle s’envola de nouveau, avant d’être récupérée par un surveillant qui venait de sortir d’un bâtiment. Celui-ci y jeta un coup d’œil avant de poursuivre sa route et se diriger vers le bâtiment où se trouvait le propriétaire du devoir abandonné.

Quelques minutes plus tard, la sonnerie retentit, stridente. Peu à peu, les élèves sortirent, se retrouvèrent, se regroupèrent. Les grands amis se serrèrent la main, se racontèrent une blague et en rigolèrent, les amoureux se retrouvèrent, s’embrassèrent avant de rejoindre leur groupe. Chacun reprit sa conversation, interrompue à la dernière pause, certains révisaient une dernière fois, pour le devoir de l’heure suivante.

Fabien restait seul, assis sur un banc. Son sac noir, aux coutures usées par l’utilisation excessive, posé près de lui, était entrouvert. La tête légèrement penchée, ses cheveux châtains, d’habitude en bataille, retombaient devant ses yeux bleus, comme un léger voile. Dans ses mains, un livre ouvert relatait les faits d’Alexandre le Grand. Ses pupilles semblaient briller d’intérêt au fil des lignes qu’il lisait. Les rayons du soleil tombaient sur son dos, mais il n’y faisait pas attention. Les seuls bancs à l’ombre avaient été pris d’assaut par ceux qui étaient sortis en trombe de leurs cours. Fabien avait pris son temps, comme à son habitude. Il aimait les cours et les pauses étaient pour lui plus une sentence qu’un moment de repos. Il ne voyait personne, n’osait pas engager la conversation avec d’autres.

Aujourd’hui, pourtant, quelqu’un s’approcha de lui. L’esprit plongé dans sa lecture, Fabien sursauta lorsqu’il sentit une main fine se poser sur son épaule. Il releva la tête et croisa un regard d’un bleu bien plus profond que le sien. Encadré par de longs cheveux bruns et fins, le visage rieur de Lucie sembla lui bloquer la respiration. Gêné, son visage vira à l’écarlate tandis qu’il cherchait des mots à dire.

- Bon... Bonjour, balbutia-t-il.

- Il me semblait qu’on s’était déjà vu ce matin, répondit Lucie avec un sourire qui le désarma encore plus.

En effet, le matin même, il avait croisé la jeune fille dans le bus qui l’amenait au lycée.

- J’avais oublié, s’excusa-t-il.

- Je vais mal le prendre que tu m’oublies si vite, s’amusa la jeune fille.

- Non, non, ce n’est pas ça que j’ai voulu dire, répliqua rapidement Fabien qui sentit ses joues lui brûler tandis qu’il rougissait de plus belle.

- Quel livre lisais-tu pour être si déconnecté de notre monde ?

- Je... je... Un livre qui retrace la vie d’Alexandre le Grand…

- Toujours branché sur l’Histoire à ce que je vois, s’amusa Lucie avant de s’asseoir près de lui. Tu n’as pas chaud ici ?

- Non, la chaleur ne me gêne pas.

En réalité, depuis l’arrivée de la jeune fille, il se sentait en nage dans ses vêtements, pourtant légers. Il réprimait de longs tremblements qui cherchaient à secouer son corps, ses mains devenaient moites au contact du livre, son cœur s’emballait de plus en plus. Tout son corps semblait brûler de peur et de timidité face au regard désarmant de Lucie.

- Je voulais savoir si tu avais ton livre de mathématiques. J’ai oublié le mien dans ma chambre et il me le faut absolument. Peux-tu me prêter le tien ?

- Oui, si tu veux, répondit spontanément le jeune homme avant de plonger les mains dans son sac et abandonner temporairement son livre sur ses genoux.

Après quelques secondes, il sortit le bouquin demandé et le tendit à la jeune fille. ¬

- Merci, je te le rends ce soir dans le bus, dit celle-ci en se levant.

- Je ne prends pas le même que toi. Mon dernier cours a été annulé, je prendrais celui d’avant.

- Ah… alors, je m’arrangerais pour te le rendre avant ton prochain cours.

La jeune fille recula de quelques pas et lui adressa un dernier sourire, avant de se retourner, appuyé d’un rapide clin d’œil qui donna l’impression à Fabien que sa tête allait exploser tellement il se sentait mal à l’aise. Plusieurs mètres derrière elle, ses amies l’attendaient à l’ombre, scrutaient le jeune homme comme une personne à éviter, certaines même le regardaient avec l’impression de ne pas comprendre pourquoi Lucie s’approchait de lui. Fabien s’en moquait bien, heureux que Lucie soit venue lui parler même s’il trouvait qu’il avait lamentablement agi. Encore une fois, il n’avait pas réussi à rester calme et avait cédé à la panique. Malgré cela, un large sourire barrait son visage légèrement bruni par le soleil d’été précoce.

Il ouvrit son livre et s’y replongea, chercha la ligne où il s’était arrêté et recommença à lire. Mais ses pensées n’étaient plus aussi claires qu’auparavant et il dût rapidement renoncer. Il glissa son livre dans son sac et le referma. Il ferma les yeux et chercha à calmer son cœur qui restait emballé depuis sa discussion avec Lucie. Il réussit à reprendre le contrôle de lui-même et se leva pour aller se rafraîchir. Il prit la direction des toilettes, près desquelles se trouvaient plusieurs lavabos. Il posa la bretelle de son sac sur son épaule gauche et baissa la tête. Il sentit le soleil tomber sur sa nuque, le regard pesant de Lucie et ses amies sur lui, ce qui le fit accélérer tandis qu’il fixait le sol devant lui.

Un groupe se dirigea vers lui, lui fit relever la tête pour voir de quel côté passer sans être obligé de s’arrêter. Il ne se passa que quelques secondes, mais Fabien parvint à comprendre ce qu’il arriva sans pour autant avoir le temps d’esquiver. Un garçon qui mesurait une tête de plus que lui se détacha du groupe et s’avança vers lui. Il envoya son poing serré dans le visage du garçon qui recula et tomba assis sur le goudron. Celui-ci tenta d’amortir sa chute du plat de ses mains, s’écorcha quelque peu les paumes, mais n’y prêta pas attention. Son nez le brûlait, bien différent de la gêne qu’il ressentait quelques minutes auparavant. Il y porta la main et essuya une large coulée de sang qui en sortait.

- Qu’est-ce que tu as contre moi, Matthieu ? demanda-t-il, évitant de respirer par le nez.

Les garçons qui rigolaient autour du dénommé Matthieu le regardèrent, tout comme le bagarreur.

- C’est pour te rappeler de ne pas traîner de trop autour de Lucie, César ! dit-il d’une voix sévère.

Matthieu était un grand brun aux cheveux longs, attachés dans son dos. Sa barbe mal rasée lui donnait un air de voyou, son regard noir et froid faisait peur à plus d’un lycéen. Il était musclé et ne perdait jamais une occasion de le montrer pour impressionner les filles ou dissuader les garçons de chercher à se monter contre lui. Fabien n’y avait pas prêté attention à son arrivée, un an plus tôt. Il s’était attiré les foudres de Matthieu, qui prenait un malin plaisir à venir le malmener lorsqu’il s’ennuyait. Il lui avait donné le surnom de César après avoir découvert l’intérêt prononcé du jeune homme pour l’Histoire. C’était, d’ailleurs, sûrement le seul homme dont Matthieu avait pu retenir le nom. Il ne lui arrivait jamais rien, aucune punition, ni blâme puisque son père était le directeur du lycée. Il séchait les cours lorsqu’il n’y était pas pour faire du tapage. Il était dans son année de terminal, mais chacun savait, professeur comme élève, qu’il n’allait pas réussir à décrocher son baccalauréat. Son attirance pour Lucie avait été directe lorsqu’elle était arrivée en cours d’année précédente. Mais lorsqu’il essayait de la surprendre ou se rapprocher d’elle, la jeune fille le repoussait systématiquement. Elle avait même été jusqu’à le gifler lorsqu’il l’avait menacé de s’en prendre à ses amies si elle refusait ses avances. Il se contentait donc de dissuader tout autre prétendant pendant qu’il attendait de trouver le moyen pour qu’il puisse être avec elle.

- Je n’ai fait que lui parler, se défendit Fabien.

- Et bien, ce sont des paroles de trop. Je vais être gentil et te laisser pour le reste de la journée, pense à ce que je t’ai dit, César, répliqua Matthieu en se tapotant le nez avec un sourire moqueur.

Il se retourna et passa entre deux de ses acolytes, qui le suivaient plus par peur que par réelle amitié. Fabien en profita pour se relever et essuyer à nouveau le sang qui coulait de son nez, d’un revers du bras.

- Je parle à qui je veux, pensa-t-il.

Matthieu s’arrêta et se retourna, afficha un air surpris. Fabien comprit qu’il avait presque crié ce qu’il croyait avoir pensé.

- Pardon ? demanda le chef de bande en revenant sur ses pas. Qu’as-tu dit ?

- Je… je parle à qui je veux, répéta Fabien.

La douleur qu’il ressentait sur le nez semblait faire bouillir son cerveau, galvanisé par le fait qu’il ait plus de popularité que son bourreau auprès de Lucie.

- Je me force à être gentil et toi tu me manques de respect ? demanda calmement Matthieu, les sourcils froncés, l’air menaçant.

- Tu ne sais pas être gentil, Matthieu, tu le sais, dit Fabien d’un ton sec. De plus, du respect, j’en ai, mais pas pour toi.

Le tapageur sembla surpris du changement brutal de comportement du jeune homme, mais afficha un sourire.

- Elle te plait, c’est ça ? Petit César est amoureux, roucoula le garçon.

Des rires fusèrent de sa bande, légers. En réalité, ils étaient tous inquiets du sort que réservait Mathieu à Fabien. Ceux qui tenaient tête au jeune homme le regrettaient tôt ou tard.

- Ce qui est sûr, c’est qu’elle, elle ne veut pas de toi, répliqua Fabien.

Le silence s’abattit sur le petit attroupement, agrandi par d’autres étudiants qui s’inquiétaient de la révolte d’un garçon qui semblait si faible face à Matthieu. Mais Fabien commençait à bouillonner de rage à cause du traitement que lui infligeait son tortionnaire depuis son arrivée. Aujourd’hui, il avait un argument valable pour être en conflit avec lui.

- Retire ça tout de suite, grogna Matthieu en serrant les poings.

- Non, lâcha spontanément son rival.

Le poing tendu s’élança de nouveau vers le visage de Fabien qui eut le temps de voir arriver le coup, à nouveau. Il se pencha sur le côté et put l’éviter de justesse. Lorsqu’il vit le visage de Matthieu enragé, si près de lui, un réflexe le commanda avant que sa raison ne l’en arrête. Il serra à son tour son poing et frappa le menton découvert de son adversaire. Sous le choc, celui-ci recula de quelques pas, la tête encore tournée sous le choc. Visiblement, il n’était pas habitué que quelqu’un réplique à ses attaques. Fabien, lui, gardait le poing serré, mais ressentait une grosse douleur à la base de ses doigts, là où la mâchoire avait été en contact. Sur le menton de celui-ci, quelques traces de sang s’étalaient, mais provenaient de la blessure de Fabien.

Alors que Matthieu allait de nouveau attaquer, une voix forte résonna sur la cour.

- Qu’est-ce qui se passe ici ?

L’attroupement se dispersa, laissa Matthieu et sa bande face à Fabien qui restait sur ses gardes, tandis qu’il regardait apparaître celui qui avait stoppé la bagarre. Un homme d’une cinquantaine d’années, grand et corpulent, s’approcha. Son regard était sévère, dur, ses cheveux en brosse grisonnaient. Son manteau faisait penser à l’armée par sa ressemblance avec les tenues de camouflages, mais ce n’était qu’un simple surveillant. Mr Malon était le seul de l’équipe enseignante à ne pas craindre Matthieu et les réprimandes de son père. Il était arrivé avant lui et n’acceptait pas qu’il remette en cause la façon dont il blâmait les étudiants qu’il surprenait en train de mal se comporter.

- Faut-il que je me répète ? reprit le surveillant d’une voix plus forte.

- C’est Fabien qui vient de me frapper, répondit directement Matthieu, légèrement mal à l’aise.

- Vu comment il saigne, j’espère que ça t’a remis les idées en place, répliqua Mr Malon.

La sonnerie retentit, ce qui permit à Matthieu et ses acolytes de s’esquiver et prétexter des cours qu’ils n’allaient certainement pas suivre. Fabien resta seul avec le surveillant qui le regardait toujours sévèrement. Le jeune homme se sentait plus calme depuis qu’il avait donné le coup et réalisait ce qui venait de se passer. Il baissa les yeux, essuya à nouveau le saignement de son nez et prit la parole.

- Puis-je aller en cours, Monsieur ?

- Non. Viens avec moi.

***

Fabien releva son sac et après l’avoir remis sur son épaule, suivit le pion. Ils entrèrent dans un bâtiment et le jeune homme finit par s’apercevoir qu’ils se dirigeaient vers l’infirmerie. Lorsqu’ils arrivèrent dans la petite pièce blanche et propre, l’infirmière ouvrit de grands yeux ronds.

- Et bien, et bien ! Il y a de la bagarre dans l’air on dirait. Asseyez-vous ici, je prends ce qu’il faut.

Fabien s’exécuta et s’assit après avoir balancé son sac au pied de la chaise. Mr Malon le regarda d’un air rieur, l’épaule appuyée sur l’embrasure de la porte.

- On dirait que Matthieu a trouvé un adversaire à sa hauteur, plaisanta-t-il.

- Je ne crois pas, avoua Fabien. Il ne va pas me lâcher maintenant. Il va me pourrir la vie.

- Je vais aller parler à son père. Il commence à penser que son fils est un bon à rien. Si je peux lui faire ouvrir les yeux, il risque de devoir se mettre dans le rang comme les autres.

- Il serait temps…, chuchota Fabien.

L’infirmière revint et commença à nettoyer le sang que le jeune homme avait étalé sous son nez, ainsi que sur son avant-bras. Elle lui fit la morale alors qu’elle appliquait une crème et mettait du coton pour stopper le saignement. En quelques minutes, le sang disparut, ne laissa à Fabien qu’un nez gonflé d’où sortaient quelques peluches de coton.

Après l’avoir remercié, le garçon reprit son sac et sortit de la pièce, sous le regard de Mr Malon.

- Je te laisse rejoindre tes cours. Ne croise pas Matthieu en route. Ton nez a déjà suffisamment souffert pour aujourd’hui.

- Je pense que je me suis assez enflammé. Je n’ai pas spécialement envie de recommencer.

- File maintenant bonhomme ! Tu vas tout rater de ton cours !

- Merci pour votre aide et votre intervention. Vous m’avez vraiment aidé.

- Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, j’aurais raté ça si je n’avais pas été prévenu.

Fabien le regarda puis tourna les talons, chercha la personne qui avait pu prévenir le surveillant pour qu’il intervienne. Celui-ci le héla, des quelques mètres qui les séparaient désormais.

- Au fait !

- Oui ? répondit Fabien en se retournant.

- Beau crochet du droit ! Frappe plus fort la prochaine fois !

Le jeune homme resta muet, hagard. Il réalisait mal que le surveillant qui devait faire respecter le calme lui donne des conseils pour se défendre.

Il reprit son chemin vers la salle de classe, mais resta aux aguets, chercha une éventuelle embuscade de son bourreau. Il traversa rapidement la cour pour rejoindre le bâtiment situé en face puis monta au premier étage. Prudent, il regarda à travers l’un des hublots de la double porte qui permettait d’accéder à l’étage et au couloir des salles de classe. Brièvement, au milieu du couloir, il aperçut un homme vêtu de blanc. Il ouvrit lentement et prudemment la porte, mais se retrouva seul. Il rigola de lui-même puis longea le couloir aux couleurs chaudes, s’arrêta au milieu et frappa à la porte. Le professeur d’Histoire - Géographie le fit entrer, le salua de la tête et montra une place en fond de salle avec un petit sourire. Fabien vit tous les regards braqués sur lui, interrogateurs. Il ne dit rien, baissa les yeux et alla s’installer à sa place. Si le professeur ne lui demandait pas le motif de son retard, c’était qu’il en connaissait déjà la raison. Il sortit ses affaires, ouvrit son livre à la page marquée au tableau et rattrapa rapidement le retard qu’il avait pris. Le titre de la leçon tombait le bon jour pour le faire sourire : « L’Empire romain sous César »

Lorsque la sonnerie retentit, tous les élèves rangèrent leurs affaires en trombe et partirent tandis que le professeur donnait oralement les devoirs pour le lendemain. Seul Fabien prit son temps pour ranger ses affaires. Durant toute l’heure, son nez lui avait fait mal, comme si quelque chose avait été cassé. Il mit la bretelle de son sac sur son épaule et s’apprêta à sortir de classe lorsque le professeur l’interpella.

- Monsieur Alpon, s’il vous plait !

- Oui ? répondit celui-ci en se retournant.

- Avez-vous commencé le livre que je vous ai prêté la semaine dernière ?

- Oui, j’en suis à la moitié. C’est passionnant de connaître en détail la vie de cet homme.

- Si à l’avenir, vous désirez lire d’autres bouquins dans ce style, n’hésitez pas à me demander, je vous les prêterais avec grand plaisir.

- J’y penserais. Je vais finir celui-ci d’abord et je pense réviser un peu pour les examens.

- C’est une bonne idée, j’aimerais bien que tous soient comme vous.

- Je dois y aller, Monsieur si je ne veux pas rater mon bus.

- Je comprends. Bonne fin de journée. Et soignez-vous bien.

Fabien sourit et se retourna. Il sortit dans le couloir sans oublier de veiller à ce que Matthieu ne l’attende pas. Celui-ci ignorait que le jeune homme finissait plus tôt ce jour là, ce qui était un avantage : son souffre-douleur ne penserait pas à aller l’attendre tout de suite à la grille du lycée.

Lorsqu’il arriva sur la cour, Fabien força l’allure pour sortir au plus vite de l’établissement. Il passa la grille rouge d’un pas rapide puis respira mieux. Si Matthieu avait un minimum de pouvoir dans le lycée, il était réduit à néant une fois les grilles franchies. Dans les rues de la ville, bien des bandes pouvaient lui causer des ennuis. Le jeune homme ralentit sa marche et continua d’avancer.

Il ne lui fallut que quelques minutes pour mouiller de sueur sous le soleil accablant. Depuis quelques jours, un grand coup de chaud s’était abattu sur la région. Certains prévoyaient un orage pour les jours prochains. Fabien continua de marcher, arriva près de l’arrêt de bus. Il ne put que regarder, dépité, celui-ci partir avant qu’il ne puisse monter à bord. Il réprima un juron et se rapprocha de l’arrêt, jeta un œil sur les horaires. Le prochain bus prévu demandait d’attendre une heure, ce qui faisait que le jeune homme serait rentré comme s’il avait eu toutes ses heures de cours. Il se consola en se disant que, de ce fait, il y verrait Lucie. C’était un mal pour un bien.

Il décida de se rendre dans le centre ville, pour s’occuper plutôt que d’attendre sous la chaleur. Il descendit une grande rue puis obliqua sur un sentier de terre, entouré d’herbe qui jaunissait par manque d’humidité et encadré par de petites palissades de bois qui masquaient les habitations de l’autre côté. Il passa sous quelques arbres, savoura l’ombre qu’ils projetaient. Dès qu’il la quittait, une nouvelle vague de chaleur le submergeait. Il continua de suivre le sentier, traversa quelques ruelles, coupa à travers les lotissements.

Il arriva près de la mairie au bout d’une quinzaine de minutes. L’activité était grande, comme tous les jours. Les petits commerces affichaient tous leurs produits de saison, tenues d’été ou promotion du jour. Un grand carré de verdure, encadré de buissons, abrité par de nombreux arbres, était au centre de la grande place, entourée par la ruelle pavée qui longeait les magasins. Fabien s’arrêta à une boulangerie pour s’acheter une viennoiserie et une boisson. En vue de l’heure, peu de clients patientaient et il fut rapidement servi.

Lorsqu’il ressortit, il se dirigea vers un banc sous les arbres, dans le parc pour se reposer. Il souffla lorsqu’il s’assit, laissa tomber sa tête en arrière. Il regarda au-dessus de l’arbuste, le magasin de vêtements qui se trouvait derrière lui. Il releva la tête et posa son regard sur son goûter. Il ouvrit la canette et but la moitié de sa boisson d’une seule traite. Il sentit le liquide passer dans son corps, ce qui le rafraichit. Après un rapide coup d’œil autour de lui, il entama son croissant, finit la canette en même temps. Lorsqu’il eut terminé, il scruta le banc de l’autre côté du parc, vide. Il laissa vagabonder ses pensées, chercha une idée pour expliquer l’état de son nez à ses parents. Il se remémora l’incident ainsi que son esquive puis sa riposte qui l’avait tant surpris. Il ne se doutait pas qu’il puisse être capable de faire une telle chose. Il était toujours resté loin des conflits, mais cette fois-ci, il avait délibérément empiré la situation dans laquelle il était. Une voix, autrefois insignifiante avait pris le dessus sur lui, l’avait forcé à tenir tête à Matthieu.

Après s’être reposé, Fabien se leva, reprit son sac sur son épaule puis se dirigea vers une poubelle, près de lui. Il y déposa ses déchets puis continua son chemin. Il repassa sous le soleil qui effaça totalement la fraîcheur agréable que lui avait procurée sa petite pause. Il traversa la ruelle et se faufila entre deux longs bâtiments hauts, gravit les quelques marches mal entretenues qui s’y trouvaient. Plus loin, de nouvelles lui firent prendre de la hauteur. Il déboucha sur une nouvelle place, plus petite et plus silencieuse. Face à lui, l’église de la ville s’élevait, imposante avec son clocher qui semblait vouloir toucher le ciel. Tout autour, des pavés s’étalaient, servaient de stationnement. Quelques voitures s’y trouvaient, mais ne gâchaient pas la vue qu’avait Fabien. Le monument était ancien, âgé de plusieurs siècles. Fabien avait passé plusieurs années à tourner autour afin de repérer des traces des temps passés. Depuis longtemps, il adorait l’Histoire, encore plus depuis le lycée, qui lui avait fait comprendre qu’il fallait qu’il se lance dans cette période, et y faire son métier. L’idée lui avait fait peur, puis l’avait conquis. Aujourd’hui, il avait hâte d’en savoir plus, lisait et dévorait le moindre livre qui pouvait retracer cette époque.

Fabien finit par longer l’édifice, puis s’en éloigna, remonta dans les rues et lotissements plus récents. Il rejoignit un petit arrêt de bus entouré de vitres où se dessinaient quelques gravures réalisées par des étudiants en manque de support pour dévoiler leur flamme ou déblatérer quelques sottises. Il savait que le véhicule qui l’emmènerait près de chez lui s’arrêterait ici quelques minutes plus tard, Fabien y patienta donc, scruta rapidement quelques gravures pour patienter. Le long car blanc barré d’une large bande bleue finit par se présenter et s’arrêta devant le poteau qui marquait l’arrêt. Fabien suivit les autres passagers puis entra dans le véhicule, salua d’un signe de tête le chauffeur qu’il voyait chaque jour, tandis qu’il lui montrait sa carte. Il avança dans l’allée, jeta un œil de chaque côté, à chaque rangée, chercha Lucie du regard, mais ne la vit pas. Déçu, il prit une place, non loin de la sortie arrière, contre la vitre. Il posa son sac sur le siège voisin et regarda à l’extérieur. Le car trembla et reprit son chemin.

***

Après plusieurs arrêts rapides, le car sortit de la ville et se retrouva dans la campagne. Les lotissements et immeubles cédèrent leur place à de nombreux champs qui s’étalaient, dorés par le soleil. Quelques prés contrastaient, rompaient la monotonie des champs de blé. Au loin, un bois délimitait ces nombreux hectares de céréales. Quelques kilomètres plus loin, le car ralentit puis s’arrêta sur le bord de la route, à une intersection, près d’une borne d’arrêt. Fabien se leva, prit son sac et descendit après avoir salué le chauffeur. Il se retrouva seul, le long de la route. Après s’être assuré qu’aucune voiture n’arrivait rapidement, le jeune homme traversa la route et se mit à longer celle qui se trouvait face à lui. D’un pas rapide, il avança, marcha sur le pan d’herbe qui bordait la voie. Il jeta un œil sur les champs qu’il connaissait par cœur, par habitude. Tous les matins et tous les soirs, il faisait ce chemin qui séparait son bus de la maison de ses parents. Il ne lui fallut que quelques minutes pour y parvenir. Face au chemin d’accès, de l’autre côté de la route, une allée menait à une maison en retrait. Elle était peu large, sur deux étages. De grands volets bleus ornaient la façade d’une couleur beige. Un toit en ardoises finissait de donner à la bâtisse un air coquet. De nombreux parterres de fleurs donnaient des couleurs devant la bâtisse. Cette maison était celle des parents de Lucie. Ils s’y étaient installés, un an plus tôt et étaient venus se présenter chez la famille du jeune homme.

Lorsqu’il avait aperçu Lucie, Fabien avait ressenti un sentiment encore inconnu pour lui, bien différent de ces attirances fugaces envers quelques filles qu’il avait pu croiser. Il avait senti un pincement au cœur avant qu’il ne batte à tout rompre, lourd comme la pierre, brûlant comme le feu. Il s’était empourpré, avait baissé les yeux et cherché à s’éclipser. Son père l’avait rattrapé avec un sourire, et lui avait demandé de saluer les arrivants. Lorsqu’il avait approché Lucie pour lui faire la bise, il avait été envahi par le parfum qu’elle portait, comme un courant d’air qui amenait des notes fruitées à son environnement. Le moment s’était déroulé en quelques secondes, bien trop court pour lui. Lorsqu’il s’était reculé promptement, son regard avait croisé celui de la jeune fille. Il était resté captivé, prêt à se noyer dans ce bleu qui lui semblait si pur et attirant. Ce souvenir, il se le relatait souvent, assis dans les marches de l’escalier, quand il fixait le hall où s’était déroulée la scène. Lucie, quant à elle, n’avait jamais cherché à se rapprocher et faire connaissance, hormis quelques saluts timides de la tête lorsqu’ils se retrouvaient à l’arrêt de bus. Venir lui parler pendant la pause au lycée était une première, et il s’en était tiré avec un accrochage avec Matthieu. Une partie de lui ne souhaitait pas lui reparler, si cela devait s’attirer les foudres du fils du directeur, l’autre criait de se rapprocher d’elle puisqu’il était déjà en rage contre lui.

***

Lentement, Fabien avança sur le chemin, souleva de la poussière blanchâtre à chacun de ses pas. Face à lui, le chemin s’élargissait pour finir en petite cour. Une maison tout en longueur s’imposait devant lui. Ses volets entrouverts et sa porte en bois vernis contrastaient avec le crépi jaunâtre de la façade. Sur le toit, des ardoises bleutées, propres, s’étalaient sur toute la bâtisse. Seules deux lucarnes perçaient son unité, laissaient entrer le soleil par les fenêtres vernies. Entre la cour et la base de la maison, un petit trottoir de goudron permettait d’en faire le tour. Quelques fleurs étaient disposées à chaque coin de la façade. Sur la gauche, un garage à double porte permettait aux propriétaires de ranger leurs voitures. Fabien sortit ses clés de sa poche et s’approcha, fit jouer la serrure de la porte d’entrée.

Il entra dans la maison, referma à clé derrière lui. Il souffla et déposa son sac près du porte-manteau. Il était chez lui. Il se trouvait dans le hall d’entrée, sobre. Un fin carrelage mat ornait le sol de celui-ci, tout comme la cuisine, sur sa gauche. Elle était bien rangée, comme à l’ordinaire. Les chaises étaient à leur place, autour de la table ronde familiale. Derrière celle-ci, de longs et hauts meubles gris encadraient l’évier et les surfaces de travail. Une grande porte de la même couleur dissimulait le frigidaire, tout comme une double porte cachait le lave-vaisselle, non loin de l’évier. Une fenêtre en long éclairait la pièce, près de la porte de la chaufferie qui permettait d’accéder à l’arrière de la maison et au jardin.

Face à Fabien, un escalier de bois vernis permettait d’accéder au palier qui menait aux chambres ainsi qu’à la salle de bain. Sur sa droite, un long et large salon s’étendait. Un grand canapé de cuir noir faisait face à une télévision récente, plate, près d’un fauteuil du même style. Une table basse de verre les séparait. Dans la seconde partie, une longue table rectangulaire entourée de six chaises permettait de recevoir des invités. Un haut et long vaisselier aux portes vitrées laissait apercevoir les verres à pied ainsi que les assiettes et les plats utilisés à l’occasion.

Fabien alla se servir un verre d’eau dans la cuisine, fouina par la même occasion dans les placards pour trouver de la nourriture qui pouvait combler son ventre qui réclamait. Après avoir englouti un paquet de gâteaux secs, le jeune homme grimpa les marches. Il arriva sur le palier et bifurqua sur la gauche, vers la salle de bain. Elle était spacieuse et claire. Sur le mur, de grands carreaux de faïence bleutée étaient alternés avec d’autres d’un blanc très clair. Un grand lavabo blanc était posé devant un haut miroir sans traces. Sur la droite de celui-ci, un placard permettait de ranger les affaires de toilettes des membres de la famille. De l’autre côté, une grande cabine de douche faisait l’angle, adaptée aux combles qui réduisaient le plafond. À côté, un grand portique comportait trois serviettes de différentes couleurs.

Fabien se regarda dans la glace, soupira, puis ôta ses vêtements. Il entra dans la cabine et fit couler l’eau le long de son corps. La fraîcheur le détendit puis il se délassa sous le jet. Il passa ses mains sur son visage et remarqua qu’il avait omis d’enlever les cotons qui avaient stoppé le saignement de son nez. Il les enleva rapidement, les mit dans un coin de la cabine pour les jeter par la suite. Délicatement, il nettoya son nez, espéra que les traces partiraient avec l’eau qui s’écoulait. Il n’avait guère d’espoir, mais il cherchait tout de même à atténuer la marque qui barrait son nez dans sa largeur.

Au bout de dix minutes, il sortit de la douche, se sécha, puis passa sur le palier, la serviette sur la taille. Il traversa l’étage, vérifia que personne n’était dans le hall en passant le long de la rambarde qui protégeait des chutes. Il arriva face à une porte qu’il poussa et entra dans sa chambre. Il fut saisi par la chaleur qui y régnait, lourde, pesante. Il alla entrouvrir ses volets et sa fenêtre puis chercha des vêtements légers qu’il enfila. Sa grande armoire à double porte comportait un miroir entre la penderie et les étagères, ce qui lui permit de regarder si sa blessure se voyait toujours autant. Il sourit face à son reflet, remarqua que le coup avait laissé peu de traces. Il se retourna et observa sa chambre.

Face à lui, la fenêtre entrouverte laissait passer un faible courant d’air qui faisait onduler les rideaux. Son lit à sa droite était près d’une table de chevet où étaient posés lampe et radio-réveil. Un cadre comportait une photo de famille et trônait en retrait. Fabien s’approcha, s’assied sur son lit et la regarda fixement. Son père et sa mère avaient leur regard posé sur lui, protecteur. Lui riait aux éclats. Avec le temps, lui-même ne savait plus quelle en était la raison. Il ne put s’empêcher de penser à la vérité qui se cachait derrière cette photo. Un an plus tôt, lors d’un repas tardif sur la terrasse, près du jardin, son père l’avait fixé gravement, tout comme sa mère. Il s’était attendu à une réprimande de leur part, mais la vérité était tout autre. Ils lui avaient avoué qu’ils n’étaient pas ses parents. Ils n’avaient jamais pu avoir d’enfants alors ils avaient fini par aller demander le droit à l’adoption. Quelques mois plus tard, ils l’avaient recueilli dans l’orphelinat St Marc, dans la grande ville proche. Il n’avait qu’un an quand cela était arrivé, il n’en avait aucun souvenir, les seuls qu’il avait été ceux avec eux. Le choc avait été dur et durant deux jours, il leur avait très peu parlé. Après une longue nuit de réflexion, il était revenu vers eux, les avaient serrés dans ses bras, l’un après l’autre. Ils l’avaient élevé depuis qu’il était petit, qu’il soit adopté ou non n’y changeait rien. Mais il n’avait pas eu de réponses lorsqu’il avait demandé ses origines. Personne ne savait quoi que ce soit, ce qui le décevait à chaque fois qu’il en parlait.

Le jeune homme regarda l’heure sur son réveil, se releva et alla chercher son sac de cours dans le hall. Il remonta les marches deux à deux, manqua d’en rater une et vint s’installer à son bureau. Il commença ses révisions ainsi que ses devoirs pour le lendemain. Avec entrain, il entama sa première feuille, motivé.

Au bout d’une heure de travail, les feuilles de cours se trouvaient éparpillées, entassées, çà et là sur le bureau. Fabien écrivait, vérifiait un terme sur une feuille voisine et reprenait son écriture. Il mettait du cœur à l’ouvrage, toujours très studieux. Il ne sortait que très rarement, ce qui lui laissait de nombreuses heures pour plancher sur ses devoirs, bien plus que la moyenne de ses camarades.

Une demi-heure plus tard, la porte d’entrée s’ouvrit brièvement avant de se refermer, les clés émirent un son léger lorsqu’elles s’entrechoquèrent. Fabien ne s’arrêta pas pour autant. Il savait qui était entré. Quelques minutes passèrent puis des pas se firent entendre dans les marches, montèrent à l’étage. Parvenus au palier, ils se rapprochèrent de la chambre du jeune homme. La porte s’ouvrit lentement et la personne apparut. Les cheveux longs et châtains étaient noués en un chignon qui remontait sur le sommet du crâne de la femme. Ses yeux marron étaient encadrés de petites rides dues à son âge. Le calme qui se lisait dans son regard ne pouvait qu’amadouer ceux qui le croisaient. La silhouette fine, le pas léger, Catherine Alpon s’approcha de son fils et vint lui déposer un tendre baiser sur le front. Elle regarda par-dessus l’épaule de son fils, pointa du doigt et signala une faute qui avait échappé au garçon. Elle lui glissa ensuite quelques mots dans l’oreille qui le fit sourire. Puis elle s’écarta pour retourner dans la cuisine, là où elle travaillerait ses dossiers. Elle s’arrangeait souvent pour être rentrée à heures fixes, pour ne pas rater sa vie de famille qui était cruciale pour elle. Sur le seuil de la porte de la chambre, elle se retourna et fixa son fils, fronça légèrement des sourcils.

- Qu’as-tu eu à ton nez ?

- Rien de méchant, une porte qui s’est ouverte alors que je passais. C’est arrangé !

- Bien. Fais attention la prochaine fois.

- Pas de problème, répondit Fabien avec un sourire.

Celui-ci se crispa lorsqu’il fut à nouveau seul. L’avait-elle cru ? Ou avait-elle compris ce qu’il cherchait à lui cacher ? Il secoua la tête, comme pour chasser ces idées puis se replongea dans ses textes, chercha la réponse à la question sur laquelle il planchait.

À peine une heure plus tard, la porte s’ouvrit de nouveau, discrètement. Fabien, attentif à ses textes, sursauta lorsque son père lui posa la main sur l’épaule. Ses yeux bleus étaient rieurs, malgré la fatigue qui se lisait sur son visage. Ses cheveux blancs, coupés courts faisaient ressortir les traits de sa figure et particulièrement ses yeux. Sa carrure était athlétique, même si le travail commençait à peser de plus en plus sur sa musculature. Sur son torse, un tee-shirt clair sali par la journée de travail contrastait avec le bas du bleu de travail qu’il portait.

À son tour, Luc Alpon chuchota quelques mots à l’oreille de son fils. Il se recula et tendit sa main que Fabien serra de bon cœur. Il s’appuya contre le rebord de la fenêtre et le questionna sur sa journée. Il insista particulièrement sur l’épisode où son fils s’était battu contre Matthieu. Fabien n’avait pas cherché à mentir à son père. Il savait qu’il ne le croirait pas et qu’il pouvait lui parler sans craindre de trop grosses colères de sa part. Il lui expliqua en détail la scène, ainsi que la raison de l’affrontement, ce qui ne manqua pas de tirer un large sourire à son père, mi-satisfait, mi-surpris.

Luc réprima un bâillement, se redressa et sortit de la pièce après avoir mis fin à la discussion. Il travaillait dans sa propre menuiserie et devait faire face à une hausse d’activité due à l’arrêt de travail de son ouvrier.

Fabien termina son dernier devoir et referma cahiers et livres, rangea son bureau comme à son habitude, replaça souris et clavier face à l’écran d’ordinateur. Il se lança sur son lit, son livre qu’il avait sorti de son sac avant de le refermer, à la main. C’était pour lui une période de détente, sublimée par ce livre qui le captivait tant.

***

Une demi-heure plus tard, la sonnette d’entrée retentit, ce qui intrigua le garçon. Il en sortit de sa lecture, referma le livre et le posa sur le matelas. Il se leva, s’étira puis se dirigea vers la porte. Il sortit sur le palier, caché par un mur. Il s’arrêta à sa limite, là où commençait la rambarde qui menait jusqu’à la rampe de l’escalier. Il entendit son père faire tourner la clé dans la serrure et ouvrir lentement. La porte grinça rapidement, signe qu’elle avait été grande ouverte après un instant de précaution. La voix amusée de Luc fut suivie par une voix féminine, si douce aux oreilles de Fabien qu’il lui sembla que son cœur allait exploser de joie. Lucie se tenait sur le seuil et parlait avec le père du jeune homme qui ne parvenait pas à comprendre ce qui se disait, assourdi par les battements de son cœur qui semblaient faire écho à chaque fois.

Après quelques secondes interminables, Luc s’approcha de la première marche de l’escalier et parla fortement.

- Fabien ! Lucie voudrait te parler !

Sa voix trahissait l’amusement qui l’animait. Il savait que son fils n’était pas indifférent à la jeune fille et que se retrouver face à elle le perturberait grandement.

Fabien ne réagit pas immédiatement. Il semblait paralysé par la peur, s’attendait à des réprimandes de la part de la jeune fille. Un nouvel appel de la part de son père lui fit reprendre le contrôle de son corps. Il tira la porte pour la refermer et avança sur le palier, légèrement tremblant. Marche après marche, il descendit lentement, se concentra pour n’en rater aucune et ainsi éviter de se ridiculiser devant la jeune fille.

Lucie portait une robe d’un bleu foncé, tenue légère qui ne manqua pas de plaire au jeune homme. Ses longs cheveux bruns retombaient dans son dos, libérés de toute attache. Ses yeux bleus ne semblaient pas quitter le garçon du regard depuis son apparition en haut des escaliers.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’un ton qu’il voulait sûr.

- J’aimerais te parler si tu le veux bien. On va faire un tour ?

Le ton utilisé ne semblait pas accepter le refus, Fabien mit donc ses chaussures et suivit la jeune fille qui s’était déjà éloignée quelque peu. Lorsqu’il sortit, il croisa le regard de son père, amusé de la situation.

Il accéléra le pas pour rejoindre Lucie qui semblait vouloir mettre de la distance entre eux et la maison de ses parents. Lorsqu’il fut à ses côtés, il fut saisi par la douce odeur qui émanait des cheveux de celle qu’il aimait. Mais lorsqu’ils lui fouettèrent le visage, il ferma les yeux. Rapidement, il les rouvrit et se trouva face au visage sévère de Lucie.

- Tu n’es pas mieux que Matthieu ! dit-elle brusquement. Pourquoi cette bagarre ?

- Il m’a frappé sans que je lui dise quoi que ce soit ! se défendit Fabien. Il aime la bagarre et tu le sais !

- Il y a une raison pour qu’il soit allé jusqu’à te frapper aussi fort.

- Il nous a vu parler tous les deux. Rien que ça.

Lucie perdit tout signe de colère, remplacé par la gêne.

- Tu veux dire qu’il t’a frappé à cause de moi ? Si c’est le cas, j’en suis désolée.

- Je ne suis pas le premier à qui ça arrive, avoua Fabien.

- Que veux-tu dire par là ? demanda Lucie, surprise.

- Matthieu dissuade tous ceux qui essaient d’être proches de toi depuis quelques mois, il est normal que je sois moi aussi dans cette catégorie.

- Pardon ?

L’énervement, revenu suite à la surprise était palpable chez Lucie. Visiblement, elle n’était pas au courant de ce qui se passait autour d’elle.

- Tu ne le savais pas ? s’inquiéta Fabien.

- Bien sûr que non ! Je ne supporte pas qu’il se mêle de ma vie ! Je le lui l’ai pourtant déjà fait comprendre !

Une légère tension se devinait autour de la jeune fille. Fabien ne savait pas quoi dire pour la calmer.

- Je ne pensais pas que tu savais te battre, avoua-t-elle enfin sur un ton plus calme.

- Je ne le savais pas non plus. C’était une pulsion sur le moment. Je ne sais pas l’expliquer. Mais j’aurais vite été mis à terre par Matthieu si Malon n’était pas intervenu.

- J’ai bien fait de le prévenir alors ! répliqua Lucie dans un sourire.

- C’est toi qui l’as prévenu ? Je t’en remercie alors.

- Je te devais bien ça si c’était à cause de moi que tu étais dans ce pétrin.

- Mais tu ne le savais pas à ce moment-là !

- Oui, répondit la jeune fille en rougissant légèrement. Ça aurait été dommage de te faire battre le jour de ton anniversaire.

Fabien la regarda, surpris.

- Comment le sais-tu ? Je ne l’ai dit à personne !

- Je l’ai vu sur la première page de ton livre de mathématiques que tu m’as prêté. Tu l’avais marqué sous ton nom.

- Bien vu, avoua Fabien.

- D’ailleurs, j’ai pensé à t’amener un petit cadeau, dit la jeune fille.

Elle baissa les yeux et montra un petit coffret couleur émeraude.

- Il ne fallait pas, répondit Fabien, gêné.

- Si, je voulais faire un cadeau à celui que j’… que j’admire.

- Que tu admires ? répéta le jeune homme.

- Oui. Tu tiens tête à Matthieu, tu es gentil… intelligent… mignon…

Le cœur de Fabien s’emballa, ses joues lui brûlèrent le visage, il commença à manquer de souffle. Lucie leva les yeux et plongea son regard dans celui de Fabien. Celui-ci s’y noya, se sentit attiré, se rapprocha d’elle. Lucie fit de même, se colla à lui. Leurs lèvres se touchèrent puis se séparèrent. Elles revinrent se toucher, le baiser se fit plus long. Fabien enlaça la jeune fille et l’embrassa à nouveau. Après quelques minutes qui semblèrent trop éphémères pour lui, ils se séparèrent et Lucie lui tendit le petit coffret long. Fabien l’ouvrit délicatement et regarda ce qu’il s’y trouvait. Bien positionnée en son centre, une chaînette dorée parcourait toute la longueur du boitier. Au milieu, un cœur de même couleur brillait. De fines pierres émeraude scintillaient, éparpillées sur le pendentif qui semblait tressé de filins d’or.

Fabien observa son cadeau, caressa du bout des doigts le cœur d’or, prit la chaîne dans sa main.

- C’est le pendentif que m’a offert mon parrain, expliqua Lucie. J’y tiens beaucoup, mais je veux que ce soit toi qui le portes.

- J’y ferais très attention, je te le promets.

- Tu as intérêt ! répliqua la jeune fille dans un sourire.

Tandis qu’ils s’embrassaient, un grondement roula dans le ciel. Un orage était prêt à éclater.

- Rentrons avant qu’il se mette à pleuvoir, décréta Fabien.

Alors qu’ils s’approchaient de la maison, la pluie se mit à tomber, brutalement et intensément. Aussitôt après, le ciel fut illuminé par de nombreux éclairs, suivis de lourds coups de tonnerre. Lucie s’arrêta et leva les yeux au ciel, afin de se délasser sous la fraîcheur de la pluie qui succédait à la canicule. Fabien fit quelques pas avant de réaliser que sa petite amie ne le suivait plus. Il se retourna et l’observa, avec un sourire. Après quelques minutes, il frissonna, rattrapé par le froid qui commençait à le saisir. Il alla chercher Lucie qui semblait endormie sous ce déluge.

Lorsqu’il ne fut qu’à quelques pas d’elle, la foudre se déchaina et vint s’abattre entre lui et elle. Sous le choc, Fabien fut soufflé en arrière, il se crut emporté dans un tourbillon, ses pieds ne touchaient plus le sol, il était balloté par un vent anormal, accompagné d’une forte lumière aveuglante. Seul le cri de détresse de Lucie aurait pu le ramener à la réalité.

- FABIEN !!!!

Sa tête heurta une surface dure, il se sentit tomber au sol puis il perdit connaissance.

La matinée commençait à peine et déjà une forte chaleur s’était abattue sur le canton. Les quatre jours précédents avaient aussi été sujets à cette période de canicule inhabituelle. Quelques personnes âgées n’avaient pas pu résister au coup de chaud qui s’était abattu brutalement sur eux. Le travail était adapté, beaucoup de personnes ne travaillaient qu’à l’aube et à la nuit tombée, profitaient de la fraîcheur relative de la soirée et de la nuit. Mais les habitants étaient familiarisés à ces extrémités de température. Quelques années auparavant, une période de grand froid avait frappé le royaume, mais, malgré de nombreuses pertes, ils avaient survécu et s’en étaient relevés.

Malgré tout, dans un coin isolé, près d’un grand bois, un fermier faisait face à la chaleur. Le front perlé de sueur, Myan Nalt portait à bout de bras de lourds seaux remplis d’eau. Il marchait le long d’un chemin qui, par le passage fréquent lors des épisodes pluvieux, se creusait peu à peu. Parvenu près d’une large barrière en bois fendu par le temps, le long du sentier, il posa ses seaux et entrouvrit le passage qui menait au champ. Lorsqu’il entra dans la parcelle, les animaux qui s’y trouvaient se dirigèrent vers lui, assoiffés. Lentement, le fermier versa ses récipients dans la large auge où chacun put boire jusqu’à étancher sa soif. Par l’emplacement du pré, aucune ombre n’était accessible durant la matinée, hormis un minuscule box.

Myan épongea son front avec un chiffon qu’il remit rapidement dans sa poche. Il ébouriffa ses cheveux bruns, quelque peu rêches qui avaient tendance à grisonner avec l’âge. Il regarda son maigre troupeau se désaltérer goulûment. Par sa faible richesse, il n’avait guère la possibilité de se doter de plus de bétail. Il en profita pour faire le tour des bêtes, une chèvre, deux vaches et un âne. Il vérifia scrupuleusement leur peau, leurs oreilles afin de déceler une éventuelle maladie ou la présence de parasites qu’il pourrait rapidement chasser. Habituées, les bêtes ne furent pas gênées et continuèrent de boire l’eau qui les désaltérait.

Après avoir soigné ses animaux, Myan sortit de son pré et veilla à bien refermer la barrière de bois pour éviter que ses pensionnaires ne prennent la fuite comme cela s’était produit quelques jours auparavant. Le fermier avait mis trois jours à retrouver la totalité de son troupeau. Lentement, il avança le long du chemin en direction de sa ferme en contrebas, profita des quelques arbres le long pour apprécier leur ombre protectrice.

Parvenu dans la cour de sa ferme, Myan se dirigea vers le puits, construit le long de la maison, près de la grange. Il posa les seaux à proximité et se rapprocha de la margelle de pierre avant de s’y appuyer. Après avoir repris son souffle et s’être quelque peu reposé, le fermier descendit le récipient au fond du puits et le remonta plein d’eau fraîche. Myan le posa sur le rebord avant d’y plonger les mains pour se rafraîchir le visage, ainsi que la nuque. Il laissa échapper un soupir de plaisir, apprécia la sensation de froid sur sa peau. Il resta prostré, appuyé contre la margelle quelque peu abîmée à certains endroits, profita de l’ombre de la grange qui s’étendait péniblement sur le puits.

Après s’être complètement relaxé, Myan entra dans sa demeure pour prendre un quignon de pain. Il en ressortit immédiatement après, savoura ce petit déjeuner frugal. Il se dirigea vers le grand bâtiment de bois à quelques pas de sa maison. Lorsqu’il fit coulisser la lourde porte d’entrée, un hennissement se fit entendre.

- J’arrive, dit le fermier de sa voix rocailleuse.

Il entra dans le bâtiment, grandement éclairé par de larges lucarnes près du toit. De la paille jonchait le sol, autour des quelques outils qui se trouvaient rangés çà et là. Au fond, plusieurs grandes cases de bois avaient été montées. Dans l’une d’elles, par-dessus la porte basse, un cheval passait la tête et l’agitait en voyant son maître. Dans la case d’à côté, la porte grande ouverte laissait apparaître un amas de paille fraîche qui servait pour le renouvellement de la litière de l’équin.

Myan s’approcha et caressa les naseaux de l’animal qui remua la tête. Le fermier l’avait acheté et élevé très jeune. De ce fait, une grande complicité animait les deux êtres. Tax, c’était comme ça qu’il s’appelait, était un étalon à la robe grise, couverte par de nombreuses taches sombres. Ses oreilles étaient du même noir. Sa musculature était bien développée puisque l’animal aidait souvent pour les travaux de la terre.

Après lui avoir passé son harnais, le fermier le sortit à l’air libre, du grand bâtiment qu’il avait construit de ses mains. La chaleur le saisit de nouveau dès qu’il quitta l’ombre. Myan souffla pour se donner du courage avant de tirer sur le harnais pour que Tax, quelque peu réticent, le suive. Ils contournèrent le grand bâtiment de bois et s’approchèrent d’une petite charrue de bois entreposée là. Le fermier tapota sur l’arrière-train de son animal pour le positionner afin de pouvoir l’attacher et commencer son travail.

Une ombre passa sur ses épaules, ce qui lui fit lever la tête pour en vérifier l’origine. De gros nuages commençaient à s’accumuler devant le soleil, la température chuta brutalement. Un vent fort et brutal souleva un nuage de poussière dans un léger tourbillon. Myan dut protéger ses yeux de ses bras. Le temps faisait des caprices.

Un lourd roulement dans le ciel se fit entendre, le vent retomba aussi brusquement qu’il était apparu. Un éclair s’abattit avec fracas dans les bois, ce qui fit sursauter le fermier. Tax prit de frayeur lança un hennissement apeuré, se dressa sur ses pattes arrières, se cabra pendant quelques secondes, puis partit au galop vers les bois, sauta les barrières qui auraient pu arrêter sa course.

- Tax ! Reviens par ici, espèce de sale bourrique ! hurla Myan.

Précipitamment, le fermier rentra dans la grange, saisit la corde attachée à une poutre basse, la passa autour de son bras, attrapa un long bâton et ressortit rapidement. Sur le seuil de la maison, sa femme l’interpella.

- Que s’est-il passé Myan ? Pourquoi tant de bruit ? Tu vas bien ?

- Tax s’est enfui ! Il a eu peur de la foudre qui s’est abattue dans les bois, je pars à sa recherche !

- Sois prudent !

Myan partit au pas de course sur la même trajectoire que celle empruntée par son étalon. Il enjamba les barrières et continua sa course. Malheureusement, il manquait d’entrainement et il dut ralentir le rythme, essoufflé. Il continua d’avancer sur un pas plus lent, mais pressant. Il était à peine remis de sa course pour retrouver ses animaux, il fallait désormais qu’il fasse de même pour retrouver son cheval. Intérieurement, il bouillonnait contre lui. Mais il s’inquiétait également. Ce qui s’était passé était mystérieux. Aucun nuage n’était assez proche pour que la foudre s’abatte aussi brusquement. En y réfléchissant, il n’avait pas entendu d’autres impacts ni de grondements. Les Dieux devaient être en colère et ils se défoulaient à des endroits inhabités afin de se calmer. C’était la supposition de Myan, mais il savait que sa théorie ne tenait pas debout. Mais il ne savait pas quoi en penser autrement.

***

Lorsqu’il approcha de la lisière du bois, la pluie se mit à tomber finement puis très rapidement. Ce fut des trombes d’eau qui s’abattirent sur les épaules du fermier. Celui-ci fit la grimace, mais ne renonça pas pour autant. Il était proche de Tax, il le savait. Il y avait longtemps, l’animal s’était déjà enfui. Myan l’avait retrouvé quelques heures plus tard, en train d’attendre paisiblement dans une clairière dans les bois.

Il passa entre les arbres, marcha sur les branches tombées qui craquaient sous son poids, avança doucement, prudemment. Cela remontait à quelques mois qu’il n’était pas venu dans ces bois, il ne connaissait pas tous les moindres recoins. Une branche lui griffa le bras à son passage, mais il n’y prêta pas attention. Il continua son avancée. Brusquement, il perdit pied et l’une de ces jambes s’enfonça dans un trou dissimulé par des branches, rempli par l’eau qui tombait toujours en grande quantité. Il poussa un juron, secoua son pied pour chasser l’eau de sa chaussure de toile. Il recommença à avancer, s’assura de la stabilité de l’endroit où il posait le pied, ralentit son allure. Il héla son cheval à plusieurs reprises, mais aucun hennissement ne lui répondit. Il écarta les branches pour continuer à avancer. Il lui semblait que les arbres eux-mêmes voulaient entraver son avancée. Mais Myan n’abandonnerait pas aussi facilement son étalon.

Au fur et à mesure qu’il avançait, la pluie se fit moins dense, jusqu’à arrêter, ce qui le laissa dégoulinant de pluie et frissonnant à l’air qui s’était rafraîchi. Son bâton glissa sur la terre humide et boueuse, manqua de lui faire perdre pied plus d’une fois. Il finit par se repérer et obliqua quelque peu pour se diriger vers l’endroit où il avait retrouvé Tax, quelques années auparavant. Lorsqu’il arriva à proximité, son pied heurta une longue pierre grise qui attira son attention. De nombreuses branches avaient été écrasées, comme si le petit rocher avait roulé dessus. La pierre n’était à cet endroit que depuis très peu de temps. Le fermier serra sa main tremblante de froid sur son bâton qu’il leva, prêt à frapper en cas de danger. Lentement, il avança et entra dans la petite clairière. Son bâton retomba au sol quand Myan fut saisi par la stupeur. D’ordinaire, un rocher pointait vers le ciel et se dressait fièrement au milieu de la clairière. La foudre était tombée dessus, avait réduit en miettes ce bloc de pierre. Partout, des morceaux, plus ou moins gros jonchaient le sol où certaines herbes avaient roussi sous l’impact de la foudre. La force brutale de la foudre serra d’inquiétude le cœur du fermier. Près de l’un de ces blocs de pierre étalés sur le sol, Tax cherchait paisiblement une touffe d’herbe verte qui aurait survécu à l’averse pour pouvoir la brouter.

- Te voilà ! dit Myan. Je n’ai pas que ça à faire de te courir après mon vieux ! Allez au travail !

Le fermier s’approcha de son étalon et attacha la corde au harnais de celui-ci, tout en observant le reste du rocher, comme explosé. Tax s’approcha de lui et le poussa de sa tête, ce qui le fit reculer de plusieurs pas.

- Ça ne te plait pas ? Tu dois t’y faire !

Tax recommença, plus fortement.

- Mais que veux-tu ? s’énerva Myan en se retournant. Il n’y a rien par là b…

Il ne termina pas sa phrase. Masqué par un rocher au sol, un corps gisait, immobile. Myan s’approcha doucement pour observer, garda son bâton serré dans sa main. Il découvrit le corps d’un jeune homme inconscient. Il respirait faiblement, son teint était livide. Sous quelques cheveux collés à son front, une légère entaille laissait s’échapper quelques gouttes de sang. Myan posa un genou au sol et souleva le corps, posa le dos sur sa cuisse. Il tapota sur la joue du blessé afin de lui faire reprendre ses esprits. Le garçon ouvrit péniblement les yeux, observa le fermier avant de retomber inconscient. Myan l’observa tout en cherchant à le faire revenir à lui à nouveau. Ses vêtements étaient différents de tous ceux qu’il avait pu voir. Ses cheveux étaient tachés par le sang, collés par la terre boueuse qui s’étalait sur ses joues. Dans la main du jeune homme, bien serrée, une chaînette d’or pendait. Myan l’ouvrit délicatement et découvrit un pendentif doré, un cœur tressé de filins d’or parsemé de petites émeraudes. Myan la mit dans l’une de ses poches avant de prendre le garçon dans ses bras, le posa péniblement sur le dos de Tax et partit doucement en direction de sa ferme pour aider le blessé, survivant de la violence de l’impact de la foudre…

Un petit gazouillis frais et chantant résonna dans son esprit. Guidé par ce bruit, Fabien fut peu à peu ramené à la réalité, l’éloignant de l’inconscience où il se trouvait quelques minutes plus tôt. Ses paupières s’ouvrirent lentement, une lumière vive lui fit froncer les sourcils et fermer les yeux. Il tourna la tête à l’opposé et les ouvrit de nouveau. De grandes flammes dansaient devant lui, cantonnées dans l’âtre d’une cheminée de pierres grisâtres noircies par la suie. Devant elles, un petit grillage de fer empêchait les brindilles enflammées de se rapprocher de lui.

Fabien remua les pieds, ce qui fit grincer le sol sur lequel il était allongé. Il laissa glisser ses doigts dessus et découvrit une paillasse quelque peu abîmée, aux brins tordus par endroits. Le jeune homme prit conscience de l’endroit où il se trouvait et fixa ce qu’il pouvait apercevoir de sa position. Au-dessus de lui, un plafond laissait apparaître les poutres basses. Entre elles, une sorte de plâtre gris s’écaillait avec le temps. Près de la cheminée, une large armoire bancale longeait le mur de la même couleur et de la même vétusté que le plâtre qui se trouvait au plafond.

Fabien se releva puis s’appuya sur ses coudes. Il fut pétrifié par de longues courbatures qui se firent connaitre dans tout son corps. Doucement, il cantonna ces douleurs et observa la pièce où il était. Face à lui, un grand lit en bois occupait le coin de la pièce où il se trouvait. Une petite commode y était opposée, l’une des portes légèrement entrouverte. Le sol était composé de petites dalles, de terre cuite semblait-il, reliées entre elles par un joint sale qui avait tendance à s’effriter. Le jeune homme enleva la couverture qui le recouvrait. Il portait un pantalon de toile noire qu’une personne lui avait mis pendant qu’il était évanoui. Il remarqua que son haut avait également été remplacé par un petit boléro de laine qui laissait ses épaules à nu.

Lentement, le garçon se leva pour découvrir l’endroit où il se trouvait. Il avança d’un pas, se tint les hanches, se sentit brisé comme s’il venait de faire un cours intensif d’endurance dans son lycée. Sa tête lui tourna, il y porta la main comme pour l’empêcher de tomber. Sous ses doigts, il découvrit un bandage qui entourait la base de son crâne et masquait en partie son front, relevait ses mèches de cheveux en épis hirsutes. Il chercha dans sa mémoire encore embrouillée ce qui s’était passé. Lorsqu’il ferma les yeux, un flash lui revint. La foudre le séparait de Lucie, l’emmenait dans un tourbillon aveuglant. Il espéra trouver sa petite amie non loin, la chercha du regard, se retourna brusquement pour voir si elle se trouvait derrière lui. Il fut pris d’un malaise, ses genoux tremblèrent, il dut aller s’appuyer sur le bord de la cheminée pour reprendre ses esprits. La chaleur qui émanait des flammes dans l’âtre lui fit tourner la tête, rendit son étourdissement encore plus intense.

Lorsqu’il eut repris la maîtrise de son corps et calmé son mal de tête, le jeune homme reprit ses recherches et fit le tour de la pièce. Il ne trouva rien et poussa donc ses observations. Il sortit de la pièce par le passage dissimulé derrière un rideau beige. Il découvrit une grande pièce illuminée par la lumière extérieure qui lui fit cligner des yeux. Une table encadrée de deux bancs, un vaisselier collé contre un mur, c’était le seul mobilier présent dans ce qui semblait être un salon. L’âtre de la cheminée présent dans la chambre réapparaissait de ce côté-ci, entouré de gamelles, chaudrons et paniers de bois. Fabien posa ses mains sur les meubles, comme pour vérifier qu’il ne rêvait pas.

- Déjà debout ? demanda une voix douce derrière lui.

Le jeune homme se retourna, fixa la personne qui venait de passer la porte qui semblait mener à l’extérieur. Le visage fin, maigre, une femme d’une quarantaine d’années le regardait avec de petits yeux d’un bleu pâle, amplis d’une douce gentillesse accentuée par le léger sourire qu’elle afficha. Ses cheveux grisonnants tombaient en une natte dans son dos. Sa coiffure et ses quelques rides accentuaient la maigreur de la silhouette.

- Où suis-je arrivé ? demanda Fabien.

- Tu es chez moi et mon mari. Je m’appelle Xan. Xan Nalt.

- Je m’appelle Fabien Alpon. Que s’est-il passé ? Pourquoi suis-je ici ?

- Nous pensions que tu serais plus apte à nous le dire. Nous t’avons juste trouvé dans la clairière dans le bois, évanoui. La foudre a dû te frapper de plein fouet quand tu étais là-bas.

- Je n’étais dans aucun bois. J’étais devant chez mes parents avec ma petite amie.

- C’est étrange. Habites-tu loin d’ici ?

- Où suis-je déjà ?

- Dans notre ferme. Au sud-est de Nalam.

- Où ça ? demanda Fabien crédule.

- Nalam, répéta Xan. Et toi ?

- Près de Paris, répondit prudemment le jeune homme.

- Où est-ce ? Un village près de Faryl ? Mikaly ?

- Un village ? répéta Fabien, abasourdi. Paris est une capitale !

- Tu n’es pas Numélien ? demanda Xan.

- Un nu-quoi ?

Le jeune homme se tut, et chercha dans ses connaissances, des lieux qui pouvaient ressembler à ceux que la femme venait de prononcer.

- Je te trouve bizarre, vas-tu bien ? demanda Xan.

- Je n’arrive pas à situer votre ville. Je n’en ai jamais entendu parler. Ni même de vos Numélians.

- Cela te reviendra peut-être avec le temps, dit doucement Xan. Veux-tu une tisane ?

- Je préfèrerais un café, s’il vous plait.

Le regard hébété et interrogateur de la femme le fit changer d’avis.

- Non, laissez tomber. Une tisane sera parfaite, dit-il avec un sourire.

- Assieds-toi en attendant. Tu n’es pas encore remis.

Fabien obéit. Son cerveau bouillonnait de pensées. Il ne connaissait ni l’endroit où il se trouvait, ni les habitants qu’avait cités son hôte. C’était comme si lui et elle n’avaient pas grandi au même endroit.

Lorsque Xan posa la tasse fumante devant lui, Fabien sursauta avant de se reprendre et de la remercier. Le jeune homme la prit à deux mains, la porta à ses lèvres après avoir soufflé dessus. Un délicieux goût de caramel mêlé aux odeurs de foin acheva de le réveiller et le fit revenir totalement à la réalité.

- C’est délicieux, félicita-t-il.

Un nouveau sourire, furtif, apparut sur le visage de la femme tandis que ses joues rosirent légèrement.

- Recette de famille, avoua Xan.

***

Alors qu’il finissait lentement la tisane, Fabien entendit des pas à l’extérieur qui se rapprochaient rapidement. Quelques secondes plus tard, un homme à la forte carrure apparut dans l’embrasure de la porte d’entrée. Il fixa Fabien de ses yeux marron qui disparaissaient sous une mèche de cheveux grisonnants. Il devait être âgé d’une quarantaine d’années, comme Xan. Son imposante stature démontrait qu’il valait mieux être son ami que son ennemi.

- Enfin debout bonhomme ! dit-il d’une voix rocailleuse. Ça fait un moment que tu étais couché !

- Myan ! s’exclama Xan. Il a été sérieusement blessé. Il faut qu’il se remette !

- Je sais bien. C’est un miraculé !

Le fermier s’approcha et tendit une main musclée vers Fabien.

- Myan Nalt ! se présenta-t-il. Je t’ai trouvé dans la clairière, l’autre jour.

- Je m’appelle Fabien Alpon, répondit le jeune homme en serrant la main qui lui broya presque la sienne.

- Alors d’où viens-tu ? Nalam ? demanda immédiatement Myan. Tu as de la famille dans le coin que nous pourrions prévenir ?

- Myan, il dit venir d’une capitale que je ne connais pas. Pyris.

- Paris, rectifia Fabien.

- Je ne connais pas du tout, avoua Myan. C’est à l’ouest de la Spicie ? Ou peut-être au sud de la Mer Mythique.

- Je ne sais pas de quels endroits vous parlez. Je n’en ai jamais entendu parler.

- Ça pose problème. Que sais-tu de Numélie ?

- Rien, répondit simplement et directement Fabien.

Myan fit la grimace. Après quelques secondes de réflexion, il tira le banc devant lui et s’assit face à Fabien.

- Les Dieux doivent y être pour quelque chose. La foudre est tombée dans la clairière alors qu’aucun nuage n’annonçait une telle chose.

- La foudre est tombée à quelques centimètres de moi, confirma Fabien. Mais je n’étais pas dans la clairière, mais…

- Devant la maison de tes parents, compléta Xan.

- Exact, approuva le jeune homme.

- Il est possible que Zius y soit pour quelque chose dans ce voyage que tu as fait. Dans le fait que tu ne te réveilles pas au même endroit qu’avant.

- Zeus ?

- Non, Zius ! répéta Myan.

- Moi, j’ai déjà entendu parler de Zeus, le maître de la foudre.

- Ça fait un lien ! s’exclama le fermier.

- Mais c’est faible, avoua Fabien.

- Tu as raison, se résigna Myan.

Xan sembla réfléchir pendant plusieurs minutes puis tapota sur le bras de son mari.

- Tu n’avais pas entendu parler d’une légende de Griska au sujet du monde de Zius ?

- Tu as raison, répondit celui-ci après une brève réflexion. Il a créé un monde à part, hors du contrôle de ses parents. Il en était le maître. Quel était son nom déjà ?

- Je ne m’en souviens plus. Les Terres du Mont. Non ?

- Il manque quelque chose. Le nom où ils se trouvaient lui et d’autres comme lui…

Fabien réfléchissait aussi. Un mot pourrait les aider, lui et les fermiers, à faire le lien. Il semblait déjà que le jeune homme ne soit plus dans le monde où il avait grandi, mais dans un autre, totalement différent du sien. Seul Zeus était le point commun. Le Dieu semblait vouloir quelque chose depuis son Mont… Le Mont ?

- Olympe ? lança Fabien sans conviction.

Myan frappa lourdement du poing sur la table.

- Je l’avais sur le bout de la langue.

- Tu n’étais pas obligé d’abîmer notre table pour autant, le réprimanda Xan.

- C’est la première fois que l’on rencontre l’un des habitants des Terres d’Olympe, oublie un peu ta table, répliqua Myan avec un sourire.

- Et comment je repars ? demanda Fabien.

- Je n’en sais rien, se renfrogna l’homme. Quand Zius le voudra.

Le jeune homme se rembrunit et pensa à sa famille. Ils devaient s’inquiéter. Lucie lui manquait déjà. Il passa doucement sa main sur son torse pour sentir le réconfort du pendentif qu’elle lui avait offert. Ses doigts glissèrent, mais ne trouvèrent rien hormis de la peau. Fabien baissa la tête, chercha à retrouver le cœur doré. Il releva la tête, paniqué. Myan tenait sa main levée, le sourire aux lèvres. Au bout de ses doigts, une chaîne retenait le pendentif qui se balançait de droite à gauche.

- Tu le tenais bien serré dans ta main quand je t’ai trouvé. Tu dois y tenir énormément.

- C’est le seul objet qu’il me reste de mon monde. Et de ma petite amie. D’ailleurs, pourquoi suis-je habillé comme ça ?

- Tes vêtements étaient trempés et sales, expliqua Xan. Je n’ai trouvé que ces vêtements qui étaient à ta taille. Il me reste du tissu, je prendrai tes mesures pour t’en fabriquer d’autres.

- Je vous remercie.

- Inutile de dire que tu es ici chez toi le temps que tu saches comment rentrer dans ton monde, dit Myan. Bienvenue en Numélie, bonhomme !

Les jours passèrent et Fabien put se rétablir assez rapidement. Son bandage fut enlevé, il regarda son reflet dans la bassine d’eau pour observer sa blessure. Il n’était pas trop estropié, le choc avait seulement été violent sur le coup. Le jeune homme avait revêtu les nouveaux habits fabriqués par Xan. Il se sentait mieux que dans les précédents, plus libre et moins déguisé.

Myan l’avait emmené à l’extérieur, fier de lui faire découvrir sa ferme. Fabien cligna des yeux lorsqu’il sortit de la demeure, mais il s’accommoda rapidement à la lumière et put avancer à la suite du fermier. Un long sentier se perdait dans les collines, menait à la route la plus proche. Autour de lui, de longues barrières de bois délimitaient les champs, maintenaient captifs les quelques animaux que lui montra Myan du doigt. Ils longèrent la maison, tombèrent sur un puits légèrement rongé par le temps. Un peu plus loin, un bâtiment de bois s’allongeait vers eux, une grande porte en verrouillait l’entrée. Ils s’y dirigèrent et Myan poussa la porte sur le côté. Elle coulissa sans grande résistance. À l’intérieur, la clarté permettait d’éclairer la majorité de la bâtisse. Un cheval hennit à l’opposé de l’entrée tandis qu’il passait sa tête par-dessus la petite porte d’un box.

- Lui, c’est Tax, dit Myan en pointant l’équin du doigt.

Fabien s’approcha doucement puis vint lui caresser le museau et laissa glisser ses doigts le long de son encolure.

- On dirait qu’il m’a déjà adopté, lui fit-il remarquer.

- Cela ne m’étonnerait pas ! C’est lui qui m’a mené à toi et qui t’a ramené ici.

- Alors, je te remercie, Tax, tu m’as bien aidé !

L’animal le fixa dans les yeux, durant quelques secondes. Son regard se fit portail, le jeune homme sembla tomber dans une chute sans fin, dans l’obscurité de la pupille de l’animal. Fabien secoua la tête pour se sortir de son regard. Myan l’interrogea du regard.

- Un petit mal de tête encore ! le rassura-t-il.

- Ça se passera, le rassura le fermier.

Fabien lui sourit puis le suivit pour sortir du bâtiment tout en regardant ce qui s’y trouvait. Mais intérieurement, le jeune homme était troublé. Durant l’instant où son regard avait été captivé par celui de l’étalon, il lui avait semblé avoir furtivement entendu une voix s’élever dans sa tête.

Peu à peu, jour après jour, la convalescence se termina et Fabien put aller donner de sommaires coups de main à Myan sous la chaleur toujours pesante. Au fur et à mesure, il put effectuer de plus grands travaux, ce qui allégea la charge de travail de Myan. Sa peau devint plus mate, sa musculature se développa. Xan lui refit de nouveaux vêtements, aidée elle aussi par le jeune homme qui mettait du cœur à l’ouvrage. La vie des deux fermiers fut grandement chamboulée en peu de temps. Il fallut aménager une partie de la maison pour Fabien qui y logeait temporairement pendant qu’il attendait son retour chez lui. Il proposa plusieurs améliorations, tirées de ses nombreuses lectures qui furent mises en pratique, à grand renfort de jurons de la part de Myan lorsque ça n’allait pas dans leur sens. Le troupeau s’agrandit quand le fermier alla en chercher sur le grand marché de la ville voisine. Il refusa obstinément que le jeune homme l’accompagne. Il craignait pour sa sécurité, étant donné ses origines.

Myan se remit au braconnage, art selon lui, qu’il avait dû abandonner par manque de temps. Les réserves se remplirent, les repas se firent de plus en plus consistants. Xan semblait heureuse pendant qu’elle regardait les deux hommes se jeter sur la nourriture avec plaisir. Ils profitaient du temps chaud, s’asseyaient le long de la demeure, regardaient les étoiles ainsi que les deux lunes. Cela avait grandement surpris Fabien qui était resté bouche bée devant ce spectacle peu commun pour lui. Mais il s’y était parfaitement accommodé et passait de nombreuses soirées à les observer minutieusement.

***

Lors d’un repas tardif, Fabien remarqua un élément qui lui avait échappé durant les deux mois qu’il venait de passer chez les Nalt. Myan, à côté de lui, qui portait un haut à manches courtes, laissa apparaître une cicatrice, à moitié masquée par le vêtement. Xan, face à lui, s’en aperçut et avertit son mari d’un regard. Myan se dépêcha de recouvrir complètement la cicatrice.

- Qu’est-ce ? demanda Fabien.

- Ne t’en occupe pas, ronchonna Myan. Ça appartient au passé.

- Myan ! s’offusqua Xan. Ça sera toujours d’actualité !

- C’est du passé pour moi. J’ai arrêté de me battre.

- Vous battre ? Contre qui ?

Myan le regarda puis reposa le regard sur sa femme. Après un soupir, il commença son récit.

- Contre Niag…

- Qui est-ce ?

- Laisse-moi donc tout te dire bonhomme. Ne sois pas impatient.

- Désolé…

- Niag est notre roi. Il règne avec la peur sur les Numéliens. Il a pris le pouvoir il y a environ douze ans…

- Seize, rectifia Xan.

- Déjà ? Je ne compte plus depuis un moment... Donc, il y a seize ans, il a renversé Satel, notre roi de l’époque. J’ai rejoint ses rangs afin d’éviter que Niag ne réussisse. Mais nous avons échoué. Et faits prisonniers. Nous avons été relâchés après avoir été marqués au fer rouge comme opposants.

Ce disant, Myan releva sa manche et laissa apparaître un Y encadré dans un cercle. Toute la peau qui avait été brûlée contrastait avec le reste de la peau burinée par le soleil, ce qui rendait la cicatrice encore plus visible. Fabien fixa le fermier puis sa femme qui confirma le récit de son mari en hochant de la tête, l’air grave.

- Et… et Satel ? lâcha-t-il.

- Mort, comme la reine Lasnir… Niag n’a eu aucune pitié pour eux. Depuis il s’impose par la terreur. Ses soldats sillonnent les routes pour collecter les taxes et punir ceux qui ne suivent pas ses règles.

- Mais c’est affreux !

- Myan, tu te trompes. Tu sais bien que certains ne veulent pas de Niag comme roi.

- Oui, les Marfins. Nous sommes des traîtres aux yeux de Niag et il traque n’importe quel rebelle qui n’a pas déposé les armes.

- Donc, personne ne peut se dresser contre lui ?

- Certains le font, répondit Myan. Ils se cachent dans la grande forêt du Mersador, au nord du royaume, près de la ville de Mersa. Niag n’a jamais pu mettre la main sur leur campement tellement la forêt est immense.

- Pourquoi ne pas les rejoindre ?

- Parce que nous devons rester ici. Si nous disparaissons, le temps que nous arrivions, nous serions traqués et tués. C’est pour ça que nous sommes ici. Nous n’avons pas le droit d’être proches de la forêt pour nous dissuader de rejoindre nos camarades.

- Votre famille pourrait vous aider non ?

- Mon père m’a totalement renié quand j’ai rejoint Satel. Il a préféré être proche de Niag. C’est lui qui m’a marqué au fer. Depuis il est mort dans une embuscade tendue par les Marfins.

- D’où sortait Niag pour rassembler suffisamment d’hommes pour renverser un roi ?

- C’était un cousin de Satel. Leur oncle, Silma, n’a pas eu d’enfants et il a désigné Satel comme héritier. C’est à partir de là que Niag a cherché à renverser son cousin. Et il a malheureusement réussi.

- Il n’est pas le roi légitime, il faut se battre !

- Malheureusement, pour moi, la bataille est terminée.

- Pourquoi s’être rendu ?

- Ils me tenaient captive avec d’autres femmes pour le forcer à rendre les armes, expliqua Xan.

- Et ils ont gagné, lâcha Myan en fixant sa femme d’un regard lointain. J’ai choisi mon amour plutôt que la rébellion.

- Je comprends, répondit Fabien.

Un silence pesant s’installa, Myan évita le regard du jeune homme, mis mal à l’aise par le récit, chercha un autre sujet de conversation.

- Je vais chercher le dessert, lança Xan en se levant.

Elle revint quelques minutes plus tard, tenant dans ses mains une tarte garnie de petites cerises et mures, le sourire aux lèvres.

- Il y a du favoritisme, lança Myan avec un regard en coin vers le jeune homme.

En effet, Fabien adorait cette tarte et Xan ne se privait pas d’en refaire régulièrement au grand bonheur du garçon.

***

Après avoir fini le plat, le jeune homme aida la fermière à débarrasser et alla chercher de l’eau au puits afin de pouvoir nettoyer la vaisselle. Quand il eut fini de l’aider, il sortit de nouveau pour jeter le seau d’eau et le ramener au bord du puits. Lorsqu’il revint, il aperçut Myan, assis le long du mur de bois, près de la porte d’entrée. Il fixait les lunes qui apparaissaient, lumineuses dans le crépuscule qui prenait le dessus sur le jour. Doucement, le jeune homme vint s’asseoir près de lui et regarda à son tour les astres. Il attendit que la nuit fût totalement tombée pour relancer la conversation là où il voulait la reprendre.

- Si Xan n’avait pas été capturée, vous auriez continué le combat ?

- J’ai vu bon nombre de mes amis d’enfance tomber sous les lames des soldats de Niag, répondit Myan d’une voix monocorde. Rien que pour les venger, un à un, j’aurais continué à me battre. J’y serais peut-être mort, mais libre et fier de mon choix.

- Xan vous doit la vie, répliqua doucement Fabien. Sans vous, elle serait morte.

- J’ai eu peur de la perdre quand j’ai vu cette lame sur son cou. J’ai déposé mes armes immédiatement, sans chercher à la délivrer autrement. Trois rebelles sont tombés parce qu’ils ont refusé d’obtempérer et que j’ai cessé de protéger leurs arrières. Je ne suis pas fier de ça.

- Il fallait faire un choix. Dans l’autre sens, vous l’auriez autant regretté.

- Je suis coincé désormais, dans cette petite vie de fermier, alors que j’aurais pu lui offrir une vie de liberté comme tous les Numéliens en rêvent.

- Vous êtes vivants ! Et sans ça, je serais resté allongé dans cette clairière, perdu dans ce royaume que je ne connais pas.

Myan déporta son regard sur le jeune homme, un sourire passa sur son visage éclairé par les lunes.

- Vu comme ça, j’avoue que ça m’enchante un peu plus.

Lentement, il se leva, s’étira puis se tourna vers Fabien.

- Je vais aller dormir. Passe une bonne nuit, bonhomme. Tu es en sécurité ici.

- Bonne nuit à vous aussi, répondit Fabien.

Le fermier rentra dans la demeure, laissa la porte entrouverte pour permettre au garçon de rentrer à son tour, puis rejoignit Xan. Fabien resta seul, à contempler les lunes. Son esprit vagabonda vers les rebelles et la tyrannie de Niag. Lentement, ses yeux se fermèrent, il s’endormit dans la fraîcheur de la nuit, adossé au mur de la maison, rêvant de chevauchées et de Marfins…

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