Extraits

-Vous savez, les outils ne sont pas des objets comme les autres. Ce sont des excroissances du corps par lesquelles l'homme, suppléant à son intrinsèque insuffisance, projette et amplifie ses pouvoirs, et sans lesquelles il n'existerait plus, tant elles lui sont devenues nécessaires. Ce mandat que nous avons, dès l'aube de l'humanité, concédé à nos outils - cette procuration de notre corps biologique à notre corps culturel - est irrévocable: on ne congédie pas un outil. L'homme moderne n'a pas plus la faculté de se soustraire à ses obligations alimentaires à l'égard des machines qu'il n'a celle de priver d'air ses poumons. Il faut se faire à cette évidence: l'autonomie de la machine est à l'exacte mesure de notre dépendance à son égard. Immense et exponentiellement croissante.

-Si je tire la prise, je meurs...

Selon lui, si depuis qu'il observait la voûte céleste l'homme s'était appliqué à y reconnaître des arrangements invariables d'étoiles, c'était pour conjurer l'horreur de sa dérive solitaire dans l'immensité insane. "Il sait qu'elle ne mène nulle part, avait-il ajouté, mais ce lui est moins cruel en compagnies des Ourses, d'Orion et d'Andromède. Il en va de même des fragiles agrégats qu'il forme ici-bas - familles, communautés, réseaux, nations - pour conférer un semblant de sens à l'essentielle absurdité de son existence."

L'homme n'est pas le vecteur approprié pour répandre la vie dans les étoiles. Pas davantage que les grenadiers de Napoléon n'étaient faits pour porter les aigles impériales à travers les steppes glacées de Russie, mortelles pour un organisme dont la tolérance aux variations de température ambiante est de quelques degrés à peine. Sans parler de son appétit extravagant pour le carbone, l'oxygène, l'eau et autres aliments exotiques...de ses caprices en matière de pression atmosphérique, de radiations, de gravité...de sa durée de vie dérisoire, au regard des millions d'années-lumière à franchir...Et ce grognard chichiteux voudrait conquérir l'Univers ? En vérité, avec l'homme, l'intelligence stagne dans un cul-de-sac. Piégée dans un optimum local, diagnostiqueraient les mathématiciens. Je m'étonne que cette évidence n'ait pas encore frappé les grosses têtes de nos agences spatiales.