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Un des rêves : des urinoirs volants
J'arrive à Paris et descends l'escalier d'une gare assez semblable à la gare de l'Est. J'éprouve le besoin d'uriner et m'apprête à traverser la place, de l'autre côté de laquelle je sais pouvoir me satisfaire lorsqu'à quelques pas de moi et sur le même trottoir, je découvre un urinoir de petites dimensions, d'un modèle nouveau et fort élégant. Je n'y suis pas plus tôt que je constate la mobilité de cet urinoir et que je prends conscience, comme je n'y suis pas seul, des inconvénients de cette mobilité. Après tout c'est un véhicule comme un autre et je prends le parti de rester sur la plate-forme. C'est de là que j'assiste aux évolutions inquiétantes, non loin de nous, d'un second « urinoir volant » semblable au nôtre. Ne parvenant pas à attirer l'attention de mes co-voyageurs sur sa marche désordonnée et le péril qu'elle fait courir aux piétons, je descends en marche et réussis à persuader le conducteur imprudent d'abandonner son siège et de me suivre. C'est un homme de moins de trente ans qui, interrogé, se montre plus qu'évasif. Il se donne pour médecin militaire, il est bien en possession d'un permis de conduire. Étranger à la ville où nous sommes, il déclare arriver «de la brousse» sans pouvoir autrement préciser. Tout médecin qu'il est, j'essaie de le convaincre qu'il peut être malade mais il m'énumère les symptômes d'un grand nombre de maladies, en commençant par les différentes fièvres : symptômes qu'il ne présente pas, qui sont d'ailleurs de l'ordre clinique le plus simple. Il termine son exposé par ces mots : «tout au plus suis-je peut-être paralytique général». L'examen de ses réflexes, que je pratique aussitôt, n'est pas concluant (rotulien normal, achilléen dit tendineux* dans le rêve, faible). J'oublie de dire que nous nous sommes arrêtés au seuil d'une maison blanche et que mon interlocuteur monte et descend à chaque instant le perron haut d'un étage. Poursuivant mon interrogatoire, je m'efforce en vain de connaître l'emploi de son temps « dans la brousse ». Au cours d'une nouvelle ascension du perron il finit par se rappeler qu'il a fait là-bas une collection. J'insiste pour savoir laquelle : «une collection de cinq crevettes». II redescend : «je vous avoue, cher ami, que j'ai très faim», et ce disant il ouvre une valise de paille à laquelle je n'avais pas encore pris garde. Il en profite pour me donner à admirer sa collection qui se compose bien de cinq crevettes, de tailles fort inégales et d'apparence fossile (la carapace, durcie, est vide et absolument transparente). Mais d'innombrables carapaces intactes glissent à terre, quand il soulève le compartiment supérieur de la valise. Et comme je m'étonne : «non, il n'y en a que cinq : celles-là». Du fond de la valise il extrait encore un râble de lapin rôti et sans autre secours que celui de ses mains, il se met à manger en raclant des ongles de part et d'autre de la colonne vertébrale. La chair est distribuée en longs filaments comme celle des raies et elle paraît être de consistance pâteuse. Je supporte mal ce spectacle écoeurant. Après un assez long silence mon compagnon me dit : «Vous reconnaîtrez toujours les grands criminels à leurs bijoux immenses. Rappelez-vous qu'il n'y a pas de mort : il n'y a que des sens retournables».
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