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Deux tables plus loin, un couple est plongé dans ce que sa petite amie, à la fac, aurait appelé « la conversation ». Les voix sont calmes, les échanges physiques limités aux gestes, aux regards, et aux déplacements sur la nappe d’objets divers (cuillers, gobelet de sucrettes, verre d’eau, tasses à café), comme un jeu, mais la substance de leur discours est identique à ce qu’il a entendu sur le balcon, la nuit dernière.
Afficher en entierIl s’agit de son troisième jour ici. Et, au regard de la serveuse, il se rend compte qu’elle le reconnaît. C’est le meilleur endroit pour ce qu’il s’apprête à faire, mais maintenant il va devoir changer.
L’homme qu’il observe arrive toujours aux environs de neuf heures, à cinq minutes près. Il gare sa Hyundai vieille d’un an près de l’un des palos verdes étiques au fond du parking. Il prend son repas au restaurant à un demi-pâté de maisons de là, sur la vitrine duquel, en majuscules jaunes, on lit CUISINE FAMILIALE et SPÉCIALITÉS DU JOUR. Périodiquement, on peut apercevoir sa tête et ses épaules par l’une des fenêtres du deuxième étage. Il n’est pas parmi les premiers à partir, ni parmi les derniers.
Afficher en entierMais il y a un autre bruit. Dans l’avant-toit de ce motel bas de gamme loué à la semaine, sous une poutre d’angle juste sous le rebord, un pigeon s’est fabriqué un nid, dont l’un des oisillons est tombé. Affolé et impuissant, le père, ou la mère, regarde vers le bas, tourne la tête, papillote des yeux, tandis que l’oisillon essaie de se remettre sur ses pattes, bat de ses courtes ailes et piaule si doucement qu’on l’entend à peine.
Il reste là un long moment, à regarder, avant de se retourner et de rentrer.
Dans la chambre voisine, ou à la radio, ou à la télévision, quelqu’un pleure.
Afficher en entierUne fois dans la salle de bains, il remplit le verre qu’il emporte partout avec lui car il déteste l’odeur et la consistance du plastique, et il boit. Les comprimés lui laissent la bouche pâteuse en permanence.
Afficher en entierDans la chambre voisine, une radio, ou une télévision, bourdonne, comme elle le fait depuis quatre jours qu’il est là. Elle est réglée sur une chaîne de débats, et on ne distingue pas les mots, seules la cadence et les inflexions changeant selon les animateurs, les gens qui appellent, les invités ou les spots publicitaires. De temps en temps s’y mêle une autre voix, celle de l’occupant de la chambre, comme dans une conversation.
Afficher en entierIl est de nouveau éveillé, sans aucune idée de l’heure qu’il est, sans même savoir s’il a vraiment dormi. Ces temps-ci, il dort mal. C’est étrange, comme tout devient flou. Au départ, on commence à perdre le sens de l’heure, puis les jours eux-mêmes cèdent, et finalement ce sont les années. Jusqu’au moment où seuls les changements de saison marquent un nouveau passage, un nouveau déclin. Pour se souvenir, il doit se rappeler les endroits où il a vécu, une chambre de location, ou un appartement minable, à Gary, à Gretna, à Memphis, à Seattle.
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