Extraits

— Les Forces spéciales amenaient autrefois ici tous ceux qui appartenaient à leur chaîne de commandement. Pas uniquement les officiers mais aussi leurs soldats. Et cela parce qu’en dehors des situations de combat elles se foutent éperdument de la hiérarchie. Donc il y avait ici toutes les troupes des Forces spéciales qui s’empiffraient de bons steaks et se rinçaient l’œil avec Phénix. Cela a fini par exaspérer les autres généraux, qui ne supportaient pas la présence des Brigades fantômes. Ce que je vous raconte là remonte au tout début de leur existence, quand l’idée de soldats âgés de moins d’un an filait les jetons aux vrais-nés.

:: Tu as du mal à te rappeler ton nom, hein ? ::

:: Oui. ::

:: C’est parce que tu n’en as pas, expliqua Curie. Aimerais-tu en avoir un ? ::

:: S’il te plaît. ::

:: Eh bien, voici ton nom : Jared Dirac. ::

Il sentit ce nom se dérouler dans son cerveau. Jared : un prénom biblique (la définition de « biblique » se déroula à son tour, le menant à celle de « livre » et de « Bible » ; il ne les lut pas, pressentant que cette lecture et les déroulements consécutifs prendraient quelques interminables secondes), le fils de Mahalalel et le père d’Énoch. Chef des jarédites dans le Livre de Mormon (qui resta également fermé). Définition : le descendant. « Dirac » comportait plusieurs définitions, la plupart dérivées du nom de Paul Dirac, un savant. Jared se tourna vers Curie.

:: Suis-je un descendant de Paul Dirac ? :: s’enquit-il.

:: Non. Ton nom a été choisi au hasard dans une liste. ::

:: D’accord, mais mon prénom signifie « descendant », insista Jared. Et le deuxième correspond toujours au nom de famille. ::

:: Même pour les vrais-nés, les prénoms ne signifient rien, expliqua patiemment Curie. Et, pour nous, le nom de famille non plus. Ne va pas chercher midi à quatorze heures dans tes noms, Jared. ::

était en panne. On l’a portée à réparer. Boutin l’a mise hors service, l’a rangée dans la zone de stockage de son labo privé puis l’a connectée à son serveur et à sa source d’alimentation personnels. Le serveur était déconnecté du système général et la cuve mise hors service, et seul Boutin avait accès à cette zone de stockage.

— Donc il a bel et bien chouravé un clone dans un placard, conclut le général Mattson. Le petit enculé !

Le doigt qui presse la détente restera toujours la seule arme capable de faire toute la différence.

Le génome de l'homme, comme on sait, est conçu pour « engrammer » l'information génétique provenant d'autres génomes (la méthode naturelle qui permet d'aboutir à ce résultat et qui, entre nous, se pratique avec bonheur, s'intitule le « sexe »).

L'appareil est autopilotage pendant presque toute la traversée. Je suis à bord uniquement afin qu'en cas de crash ils puissent déclarer qu'il y a un mort.

Avez-vous un âme, vous lieutenant Sagan?

Moi ? Pas que je sache, administrateur Cainen. Chercher à quantifier l'improbable, ce serait un pari bizarre, non ?

Quand le Cerf-Volant fit son apparition au-dessus de la planète baptisée Gettysburg par ses colons humains, il se matérialisa, comme surgi du néant, à un quart de seconde-lumière du croiseur rraey, ses canons à accélérateur magnétique chauffés et en position de tir. Il avait fallu à l’équipage moins d’une minute pour les pointer en direction de l’infortuné croiseur, réduit à préparer sa riposte au pied levé. Les projectiles, électromagnétiquement accélérés, franchirent la distance qui les séparait de leur modeste cible en deux secondes trois dixièmes.

Leur fulgurance leur permit de transpercer sa coque sans aucune difficulté et de s’infiltrer jusque dans ses entrailles, comme une balle de fusil à travers une motte de beurre. De surcroît, ces projectiles se multipliaient comme des petits pains en explosant au moindre contact avec la matière.

Une fraction de seconde après que le premier obus à sous-munitions eut pénétré le croiseur rraey, il se fragmenta ; des éclats se dispersèrent dans toutes les directions par rapport à la trajectoire initiale, faisant de ce projectile le fusil de chasse en entonnoir le plus rapide de cet univers. Comme chaque éclat était lui-même bourré de toute une énergie en réserve, la moindre salve avait largement le temps de causer des dégâts terribles sur son parcours avant de ressortir du vaisseau et de se lancer dans un ultime long périple à travers l’espace.

Vu les positions relatives du Cerf-Volant et du croiseur rraey, les premiers obus électromagnétiquement accélérés frappèrent ce dernier simultanément à l’avant et à tribord ; les fragments recrachés s’infiltrèrent en diagonale et en hauteur, pulvérisant, comme une horde de brutes enragées, plusieurs niveaux du bâtiment, et réduisant un nombre important des membres de l’équipage à l’état de brume sanguine. Le point d’entrée dessinait un cercle parfait, large de dix-sept centimètres, et le point de sortie une brèche purulente d’environ dix mètres, dont la sécrétion de métal, d’air et de morceaux de corps déchiquetés explosait dans le vide sans aucun bruit

- Je m'appelle Judy Curie.

- Bonjour, Judy, articula-t-il, après que son cerveau eut déballé le concept de noms, ainsi que le protocole pour répondre à ceux qui fournissaient le leur afin de s'identifier.

Il voulut s'identifier mais se heurta à un blanc. Il perdit contenance. Curie lui sourit.

- Tu as du mal à te rappeler ton nom, hein ?

- Oui.

- C'est parce que tu n'en as pas, expliqua Curie. Aimerais-tu en avoir un ?

- S'il te plaît.

- Eh bien voilà ton nom : Jared Dirac.