Extraits

Son sourire s'accentua et j'inclinai la tête pour le dessiner de la langue, les mains croisées sur sa nuque. Il entrouvrit les lèvres mais je lui refusai le baiser désiré pour partir à la découverte de sa mâchoire. Sa barbe courte m'irrita mais chaque pique, chaque petite brûlure occasionnée par ses poils rudes soufflèrent sur le désir qui renaissait de ses cendres. Comme le phœnix.

Au clapotis de l'eau suivit le bourdonnement des abeilles, qui dansaient parmi les fleurs odorantes et variées qui poussaient dans son petit jardin.

Je pris le heurtoir métallique et frappai à sa large porte de bois. Rien n'avait changé. Je retrouvai les odeurs et les sons de mon enfance qui me donnaient l'impression de revenir en arrière, à une époque où j'étais moins refermée et plus sauvage. Plus hardie et impulsive.

— Entrez ..

La voix, lointaine et étouffée, ne fit, elle, remonter aucun souvenir. Elle était plus chevrotante et plus rauque que dans ma mémoire. Au moins, j'étais assurée maintenant que seize ans s'étaient écoulés.

Je poussai le battant et pénétrai la seule et unique grande pièce de la maison. Plongée dans l'obscurité, je distinguai à peine les meubles de la cuisine et n’entrevoyais le salon que grâce au rai de lumière dans mon dos.

— Grand-mère ?

Une quinte de toux me répondit et je cherchai des yeux le large lit, au fond à gauche. La forme des draps m'indiqua qu'elle était toujours couchée et l’inquiétude me serra le cœur.

— Tu es malade ?

De nouveaux toussotements s'élevèrent et je m'approchai, déstabilisée de ne pas entendre sa voix rassurante. La culpabilité m'étreignait également. Je n'avais pas fait un geste vers elle pendant des années et je la retrouvai dans un état tel qu'elle ne prononçait aucun mot. Quoique … ne m'avait-elle pas dit d'entrer ? La méfiance supplanta l'angoisse. Je doutais fortement, à moins qu'elle soit devenue sénile, qu'elle ne m'ait pas reconnue. Alors pourquoi restait-elle silencieuse, emmitouflée dans son lit ? Parce qu'elle m'en voulait ? Ou parce qu'il y avait autre chose ?

Quoique, quel genre de crapule irait se cacher dans un lit ?

Un psyché se tenait debout au milieu des débris, à quelques mètres de moi. Auréolé par un fin rayon de lune, son cadran était noyé par les plantes grasses et fleuries qui avaient envahi les lieux. Je m'en approchai, la main tendue, à l'image d'une princesse inconsciente au sommeil éternel. Mais lorsque le bout de mes doigts en effleura la glace, je ne m'évanouis ni ne tombais dans un profond sommeil

Je croisais simplement le regard d'une jeune femme que je ne reconnus pas.

Elle semblait épuisée et ses grands yeux cernés n'exprimaient que peur et perdition. Une grimace

étira ses lèvres gercées, probablement par le froid glacial qui régnait dans cette chaumière délabrée, et elle recroquevilla ses doigts sur la glace avant de laisser tomber son bras le long de son corps. Son geste, que je reproduisis à l'identique, attira mon attention sur la large chemise écarlate qui dissimulait sa poitrine et le haut de ses cuisses. Elle était l'image même de la femme qui avait fait l'amour toute la nuit.