Extraits

— Eh bien, puisque le dîner est terminé, je pense qu’il est temps d’aller me coucher.

— Et de te glisser entre des draps frais, en te félicitant d’avoir réussi un jour de plus à nous imposer cette torture inutile ?

Au-delà de son ton empreint d’ironie, Maisie capta sa soudaine vulnérabilité.

— Elle n’est pas inutile, précisa-t-elle en retirant sa main.

— Tu ne peux pourtant pas nier qu’il s’agit d’une torture.

Il vida son verre de vin d’un trait et le reposa sur la table avant de se lever.

— Je vais donc suivre ton exemple et continuer de vivre dans le déni. Dors bien, gattina, ajouta-t-il en s’éloignant en direction de son bureau. 

Elle frissonna en sentant une de ses mains lui effleurer le cou et se poser sur sa nuque. La familiarité de ce geste réussit à chasser son angoisse et à la remplacer par une sensation de douce chaleur.

— Il n’avait pas d’enfant légitime. Il avait eu a priori l’intention de prendre contact avec moi, afin de m’attirer dans les affaires de la famiglia, mais il n’en a pas eu le temps, son décès est survenu avant. Il en avait cependant discuté avec son lieutenant qui a pris la décision de me contacter par l’intermédiaire de leurs avocats.

— Qu’attend-il de toi ?

— La famiglia est en train de se désintégrer. Ils ont besoin de jeunes membres et, plus encore, d’un apport de fonds.

— Et tu remplis ces deux conditions…

— Mais je ne suis prêt ni à les rejoindre ni à leur donner quoi que ce soit.

Elle observa avec attention son visage tendu, remarqua son regard soucieux et soudain comprit.

— Oh ! mon Dieu ! Tu penses qu’ils seraient prêts à se servir de Lucca pour arriver à leurs fins, c’est ça ?

Sa voix n’était plus qu’un murmure empreint de terreur. Romeo resserra son étreinte et lui souleva le menton pour l’obliger à le regarder droit dans les yeux.

— Je ne les laisserai jamais poser la main sur ton fils ou toi. Tu as ma parole, Maisie.

Malgré la sauvage détermination dont il faisait preuve, l’inquiétude de Maisie persista.

— Si tu en étais vraiment certain, tu ne te déplacerais pas sous la protection de six gardes du corps !

— Il existe un moyen de garantir ta sécurité, répondit-il.

— Lequel ?

— M’épouser, de façon que mon nom vous protège, Lucca et toi.

1.

Le manoir, avec sa façade ocre et ses volets bleus,

était aussi laid que dans son souvenir, pire même, ce jour-là, sous le soleil illuminant les grotesques statues de marbre blanc qui flanquaient le portail d’entrée.

Romeo Brunetti avait vu cette maison pour la dernière fois à l’âge de treize ans, par une nuit glaciale et pluvieuse. Tapi dans les buissons à l’extérieur du portail, ses vêtements élimés et trempés lui collant à

la peau, il avait prié pour ne pas être découvert et battu comme l’avait été, sous ses yeux, l’homme qui avait osé

le ramener chez son père.

Son père, Agostino Fattore, chef de la mafia régnante

à Palerme… Il l’avait traité de bâtard avant d’ordonner à

son lieutenant de le jeter à la rue et de s’assurer qu’il ne revienne jamais. Peu lui importait que la prostituée avec qui il avait couché une nuit ait refusé de s’occuper de l’enfant qu’il avait engendré, il n’avait rien voulu savoir.

Non… cet homme ne méritait pas le nom de « père ».

Romeo resserra les doigts autour du volant de sa

Ferrari de location en attendant que le portail s’ouvre et se demanda pour la énième fois pourquoi il avait accepté de revenir en dépit du serment qu’il s’était fait plus de vingt ans auparavant.

Sans doute parce qu’il espérait des réponses aux questions qui le hantaient afin de se débarrasser de ses vieux démons, et qu’il était curieux de savoir ce que Fattore, qui l’avait rejeté de manière si brutale de son vivant, pouvait bien vouloir de lui à présent qu’il

était mort.