Extrait

La réponse me frappe comme si j’avais reçu un pavé sur la tête.

— Votre bracelet, m’entends-je répondre, abasourdie.

On me l’a proposé à plusieurs occasions. Je ne le regardais jamais trop longtemps, parce qu’il me faisait tellement envie que j’en salivais.

— C’était celui de Cruce.

Mon regard se pose sur son visage.

— Et il était à son bras quand nous l’avons congelé !

Le bracelet protège celui qui le porte des Seelies comme des Unseelies et, selon Cruce, d’autres calamités diverses. Si ses affirmations sont exactes, avec ce bijou Jada pourrait littéralement traverser un mur d’Ombres et en sortir intacte. Je contemple le bracelet, envieuse.

— Cruce ? gronde Rath.

— Il a été détruit voilà longtemps, siffle Kiall.

— Souviens-toi du quatrième, quand on l’a baisée dans la rue, chuchote Rath à Kiall. Nous sentions une présence mais ne pouvions la voir.

— Tu as dit « congelé »… par le Gh’luk-ra d’J’hai ? Cruce est vivant ? demande Kiall.

— Enfin, congelé veut dire mort, réponds-je d’un ton détaché, essayant désespérément de rattraper ma bourde.

Leur commentaire désinvolte sur le viol qu’ils m’ont fait subir dans la rue m’a envoyé une décharge d’adrénaline en plein cœur. J’inspire lentement, expire encore plus lentement, attendant les provocations du Livre. Silence absolu.

Kiall ricane.

— Je crois que même celui que tu appelles le Roi du Givre Blanc ne pourrait pas détruire notre frère. Où est-il ? Tu vas nous le dire immédiatement.

Les princes unseelies sautent sur leurs pieds et se dirigent vers l’endroit où je me trouvais.

Je suis à une dizaine de pas, à demi cachée derrière un rayonnage de livres, les mains pressées sur mes lèvres, regrettant amèrement de ne pouvoir ravaler la plupart de mes paroles prononcées ce soir.

— Son cerveau a disparu en même que son corps, dit Ryodan à Barrons.

— On dirait, répond ce dernier.

— C’est faux ! m’écriai-je. J’ai été surprise quand j’ai compris, et j’ai parlé sans réfléchir. Veuillez m’excuser d’être atterrée en prenant conscience que la personne qui m’accusait si hargneusement de comploter avec le Sinsar Dubh en faisait autant de son côté. Et pourquoi personne ne regarde-t-il Jada d’un air soupçonneux ?

Comment diable a-t-elle obtenu ce bracelet du prince congelé ? Je veux le savoir. Cela m’inquiète. Énormément.

— Le Sinsar Dubh, murmure Kiall, les yeux brillants. Est-il également ici ? À Dublin ? Où ?

Rath et lui recommencent à émettre leurs stridulations aux intonations mates. J’imagine très bien leur effrayante conversation, dont je suis responsable : Notre frère est vivant et le Sinsar Dubh est près d’ici. Nous pouvons les réunir et gouverner le monde !

Ils ignorent que leur frère est le Sinsar Dubh et qu’il les détruirait plutôt que de faire équipe avec eux.

— Et elle continue de mettre les pieds dans le plat, s’émerveille Ryodan.

— Elle est le Sinsar Dubh, déclare froidement Dani. Elle le porte en elle.

— Voilà que Dani s’y met, fait observer Barrons d’un ton fasciné.