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Depuis six ans, il avait vécu en dehors du temps. Mais le monde avait poursuivi sa ronde. Sur le point d'affronter ce qui était pour lui un avenir étranger, il savait qu'il serait aussi confronté à son passé, car les réponses se trouvaient quelque part derrière lui.
Afficher en entierPersonne ne s’aperçut qu’Afra quittait le dortoir des domestiques. Elle évita de poser le pied sur les planches du parquet qui craquaient et parvint, sans se trahir, à descendre du grenier au rez-de-chaussée. Elle s’introduisit à pas de loup dans la lingerie et rassembla, à tâtons dans le noir, ses vêtements dans un balluchon sans oublier d’y adjoindre une paire de chaussures et quitta la maison pieds nus par la porte de derrière.
Afficher en entierElle fuyait à toutes jambes sitôt qu’elle entendait au loin sa jambe de bois marteler le sol. Quant à Melchior, il l’évita jusqu’à ce jour de septembre où il l’aperçut cueillant, dans le grand pommier derrière la grange, des petites pommes vertes que l’été froid et pluvieux n’avait pas fait mûrir.
Afficher en entierEn transe, elle emmaillota le nourrisson dans le reste des morceaux de tissu de sa jupe, le déposa dans le panier et, pour le mettre à l’abri des animaux sauvages, le suspendit à la branche la plus basse du sapin sur laquelle elle s’était appuyée pour accoucher.
Afra passa le reste de la journée dans l’étable avec les bêtes pour se soustraire aux regards des valets et des servantes.
Elle voulait rester seule avec ses pensées et se concentrer sur cette angoissante question : les six doigts du nouveau-né étaient-ils un signe du ciel ?
Afficher en entierÀ la tombée de la nuit, elle regagna le dortoir des serviteurs sous les combles. Agitée par de sombres pensées, elle ne put fermer l’œil. Bien que cette naissance secrète l’eût épuisée, elle s’inquiétait pour le nourrisson suspendu sans défense dans les branches de l’arbre. Il devait avoir froid dans son panier, et ses pleurs allaient attirer les hommes et les animaux. Afra n’avait qu’une envie : se lever et partir discrètement à la faveur de l’obscurité pour voir ce qu’il en était. Mais elle craignait de se trahir. Ce n’est que le lendemain, vers midi, qu’elle parvint à s’éclipser.
Afficher en entierCela endormit momentanément la douleur jusqu’au moment où un paquet de chair vivante tomba sur le sol moussu de la forêt : c’était un garçon avec des cheveux bruns et touffus semblables à ceux du bailli ; il se mit à pousser des cris si vigoureux qu’elle eut peur d’être repérée.
Afficher en entierDésormais marquée par le déshonneur et la honte, elle ne s’en ouvrit à personne, hormis au curé auquel elle confessa l’affaire dans l’espoir d’être lavée de sa culpabilité. Cela lui apporta un certain soulagement, tout au moins au début : chaque jour pendant trois mois, pour faire pénitence, elle récita cinq Notre Père et autant d’Ave Maria. Mais quand elle remarqua que le méfait commis par le bailli ne resterait pas sans conséquence, une colère désespérée s’empara d’elle et elle pleura des nuits entières.
Afficher en entierQuand approcha le temps de la délivrance, Afra, la jeune servante du bailli Melchior von Rabenstein, prit la corbeille dont elle se servait habituellement pour ramasser des champignons et, rassemblant ses dernières forces, se traîna dans la forêt derrière la ferme.
Personne n’aurait pu enseigner à la jeune fille à la longue natte les gestes rudimentaires qu’on effectue lors d’un accouchement, car sa grossesse était restée secrète jusqu’à ce jour. Elle avait réussi à dissimuler adroitement sous d’amples habits de gros drap son ventre qui s’arrondissait.
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