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Ce soir, c'était donc la fête de la lumière mais quand Orchidée quitta les abords éclairés de la Préfecture pour gagner le palais du "comte Alfieri", les ténébres des ruelles où tremblaient de rares quinquets firent courir un filet glacé le long de son dos et elle referma la main sur la crosse de son arme.
Afficher en entierLa scène se passait dans les jardins du palais, à l’ombre du temple appelé Tour de la Pluie et des Fleurs dont le toit rayonnait, soutenu par des piliers d’or enlacés de dragons. Ts’eu-hi se tenait assise sur un banc auprès d’un buisson de jasmin dont quelques blancs pétales s’étaient posés sur le satin abricot de sa robe. Elle ne faisait pas un geste et gardait le silence mais des larmes lentes glissaient sur ses joues. C’était la première fois que sa jeune compagne la voyait pleurer et ce désespoir muet la bouleversa. S’agenouillant sur le sable violet de l’allée, elle demanda humblement s’il était en son pouvoir d’apporter un adoucissement à tant de douleur. Ts’eu-hi, alors, soupira :
Afficher en entierPrincesse Dou-Wan ! Orchidée ne répondait plus à ce nom depuis bien longtemps ! Exactement depuis ce jour, vieux de cinq ans, où Ts’eu-hi décidait qu’une Altesse, associée à une fille du peuple, quitterait la Cité Interdite et ses robes de satin pour s’infiltrer au cœur même du quartier des Légations, mêlée à la tourbe terrifiée des adorateurs chinois d’un dieu nommé Christ qui se pressait déjà pour demander aux armes des Blancs de la défendre du juste courroux des « Poings de Justice et de Concorde ». Il est vrai qu’il s’agissait d’une affaire grave : l’homme que l’Impératrice tenait pour le plus cher à son cœur, son cousin le prince Jong-Lu dont on chuchotait qu’il avait été son amant, cet homme entre tous aimé s’était oublié jusqu’à offrir à une jeune barbare dont il convoitait le corps blême le talisman offert autrefois par sa souveraine afin de le protéger de la mauvaise chance et des esprits néfastes. Il fallait impérativement retrouver le joyau et punir de mort celle qui osait s’en parer.
Afficher en entier« Le fils du prince Kung attend toujours l’épouse choisie dès sa naissance pour entrer dans sa maison sous le voile rouge de l’hyménée. Patient et magnanime, il n’a jamais cessé de croire que les dieux sauraient te ramener un jour, cependant il estime que ce jour ne saurait tarder davantage. Tu dois rentrer. Néanmoins, si son noble cœur est prêt à oublier des années où ton esprit s’est égaré loin de la terre des ancêtres, il ne peut fléchir sans ton aide le juste courroux de notre souveraine gravement offensée par ta trahison. Pour qu’elle t’ouvre à nouveau des bras maternels il faut que tu t’engages avec loyauté sur le chemin de la pénitence en rapportant avec toi un gage de repentir.
Afficher en entierEn désespoir de cause, elle se leva, enfila une robe de chambre et se rendit dans le bureau de son mari. Là, il lui sembla qu’elle respirait un peu mieux. L’odeur attardée du tabac anglais et celle, plus subtile, du cuir de Russie l’enveloppèrent à la manière de ces moustiquaires sous lesquelles, par les grandes chaleurs d’Extrême-Orient, on s’embarque comme sur un bateau de sauvetage et hors de portée des piqûres, des morsures, des formes suscitées par le clair de lune et de toutes les autres menaces de la nuit. La grande pièce habillée de livres qui servait aussi de bibliothèque lui parut amicale et même rassurante.
Afficher en entierL’angoisse !… Depuis des heures elle ne lâchait plus Orchidée. Elle l’avait tenaillée tout le long du jour, dans la salle de bains comme a la table de la salle à manger où elle la narguait, assise sur la chaise que le départ d’Édouard laissait vide. Incapable d’avaler quoi que ce soit et pensant lui échapper, Orchidée finit par se réfugier dans son lit devenu beaucoup trop grand mais le génie des pensées noires l’y attendait perché sur le pied d’acajou, ses griffes cachées sous ses ailes poisseuses, en guettant sa proie de son petit œil rond et méchant. Comment trouver le sommeil dans de telles conditions ?
Afficher en entierPierre Bault ferma les yeux, peut-être pour empêcher une larme de couler. Quelle folie d’avoir cru un instant qu’elle pouvait être revenue, elle, la seule qu’il eût aimée parmi ces trois femmes dont, en quittant Paris quatre ans plus tôt, il emportait le souvenir avec lui comme on emporte une fleur séchée dans le repli d’un portefeuille. Elles étaient sa jeunesse et la jeunesse ne se recommence pas. Toutefois il est doux d’y revenir aux heures sombres de la vie et Pierre savait qu’il demanderait encore à ces ombres légères d’illuminer les jours qui lui restaient à vivre.
Le train démarra sans qu’il eût seulement entendu le sifflet du chef de gare. Le convoi courait à présent vers la nuit. Pierre se laissa bercer un moment par le balancement familier, par le rythme des boggies qui lui avait tellement manqué. C’était bon tout de même cette impression de rentrer chez soi…
Afficher en entierIl leur tendit quelques pièces prises dans la poche de sa veste posée auprès de lui. Ils remercièrent, saluèrent avec ensemble et s’en allèrent chercher d’autres brancards. À cet instant, une infirmière apparut à l’autre bout du wagon – ceux-ci étaient reliés entre eux par des plates-formes couvertes – et resta là. Elle parlait avec un médecin-major et le cœur de Bault manqua s’arrêter : cette silhouette mince, ce visage étroit à la peau mate, ces pommettes hautes, ces yeux sombres… Le nom vint tout seul à ses lèvres : Orchidée !… Se pouvait-il qu’elle fût là, dans ce train alors que…
Afficher en entierLe train sanitaire allait bientôt partir. Il alignait le long d’un quai ses vingt-trois voitures frappées de la Croix-Rouge dans lesquelles les brancardiers embarquaient les blessés avec des soins pieux avant de les confier au personnel médical qui allait s’occuper d’eux jusqu’à Lyon.
La journée avait été chaude, accablante même. Un orage qui éclata vers cinq heures apporta cependant une fraîcheur appréciée de tous. On respirait enfin et, même si l’on s’épongeait encore le visage ou le cou, la bonne humeur revenait. Le spectacle de la gare où voltigeaient les voiles blancs des infirmières était presque joli. D’ailleurs, on commençait à espérer que la grande tuerie tirait à sa fin. L’entrée massive des États-Unis dans la guerre changeait la face des choses en apportant aux Alliés un soutien important. Un moment, pourtant, on crut que tout était perdu : la Grosse Bertha tirait sur Paris et les Allemands campaient à soixante kilomètres de la capitale. Le 15 juillet, ils franchissaient la rivière pour laquelle on s’était déjà tant battu quand eut lieu la seconde victoire de la Marne : sous les ordres de Foch, généralissime de toutes les armées alliées, les généraux Gouraud, Pétain et Mangin rejetaient Ludendorff bien au-delà des positions occupées jusque-là. Les blessés que l’on emmenait étaient ceux laissés à terre par la vague furieuse de la bataille mais l’espoir revenait et c’était bien le meilleur des médicaments…
Afficher en entierLe train sanitaire allait bientôt partir. Il alignait le long d’un quai ses vingt-trois voitures frappées de la Croix-Rouge dans lesquelles les brancardiers embarquaient les blessés avec des soins pieux avant de les confier au personnel médical qui allait s’occuper d’eux jusqu’à Lyon.
La journée avait été chaude, accablante même. Un orage qui éclata vers cinq heures apporta cependant une fraîcheur appréciée de tous. On respirait enfin et, même si l’on s’épongeait encore le visage ou le cou, la bonne humeur revenait. Le spectacle de la gare où voltigeaient les voiles blancs des infirmières était presque joli. D’ailleurs, on commençait à espérer que la grande tuerie tirait à sa fin. L’entrée massive des États-Unis dans la guerre changeait la face des choses en apportant aux Alliés un soutien important. Un moment, pourtant, on crut que tout était perdu : la Grosse Bertha tirait sur Paris et les Allemands campaient à soixante kilomètres de la capitale. Le 15 juillet, ils franchissaient la rivière pour laquelle on s’était déjà tant battu quand eut lieu la seconde victoire de la Marne : sous les ordres de Foch, généralissime de toutes les armées alliées, les généraux Gouraud, Pétain et Mangin rejetaient Ludendorff bien au-delà des positions occupées jusque-là. Les blessés que l’on emmenait étaient ceux laissés à terre par la vague furieuse de la bataille mais l’espoir revenait et c’était bien le meilleur des médicaments…
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