Extraits

- J'ai envie de prendre soin de toi, Madi. Tellement envie... J'ignore si c'est ce que l'on appelle de l'amour, mais c'est ce que je désire. Tu veux bien ?

Éberluée, elle tarda à répondre. Ylsi, le cœur battant, angoissé par la réponse qui ne venait pas, fronça les sourcils.

- Oui, souffla-t-elle. J'aimerais beaucoup que tu veilles sur moi.

L'ange en aurait soupiré de soulagement.

- Tu me montreras comment t'aimer ? Tu m'apprendras ?

- Ça ne s'apprend pas, chuchota Madimi au comble de l'émotion. Il suffit d'accepter les sentiments de l'autre, d'assumer ce qu'on l'on ressent et de ...

- Alors, je crois que je suis amoureux, murmura-t-il. très amoureux.

Madimi sourit de découvrir qu’Ylsi lui offrait ce soir-là une opportunité de passer à l’attaque. À son retour chez elle, après quelques heures de travail au Luxuria, elle le trouva assoupi sur son canapé, manifestement assommé par les programmes de la télévision. Elle ne résista pas à la tentation de l’approcher. Comment l’aurait-elle pu ? Il n’était couvert que d’une serviette autour des reins.

Enfin… elle avait dû être nouée à moment donné, mais l’ange avait bougé dans son sommeil, et le tissu éponge dévoilait beaucoup de ce qu’il aurait dû dissimuler.

Déposant son sac sur la table du salon, Madimi se dirigea vers le sofa. Son regard se posa sur une cuisse musclée ombrée d’une légère pilosité blonde, s’attarda un instant sur le sexe au repos puis remonta du ventre plat au torse puissant. Arrivés à destination, ses yeux avaient trouvé les lèvres d’Ylsi, pleines et sensuelles, auxquelles le repos avait subtilisé le pli dur et amer qu’elles arboraient habituellement. Elles n’en étaient que plus attirantes. La démone eut envie d’y poser les siennes.

Madimi s’agenouilla et approcha son visage de celui d’Ylsi avec précaution, prenant garde à ne pas le toucher alors qu’elle déposait un baiser sur sa bouche. Il fit naître un petit frisson d’excitation en elle. C’était loin de lui suffire. Ces lèvres si affolantes appelaient d’autres baisers, beaucoup d’autres, bien moins sages. La démone les lui aurait volontiers donnés si elle n’avait pas été certaine d’être repoussée.

- Qu’est-ce que tu fous ? articula Ylsi sans ouvrir les yeux, surprenant Madimi qui cilla.

- Je te regarde, répondit-elle tout bas.

Ylsi souleva ses paupières ; son regard rencontra immédiatement celui intensément vert de Madimi penchée au-dessus de lui. Il s’y perdit un instant.

D’ordinaire, aux toutes premières secondes de conscience, la colère et la lassitude fondaient sur lui impitoyablement pour ne plus le quitter. Puis une sensation de souillure l’enveloppait, lui collait à la peau jusqu’à ce que la prochaine phase de sommeil l’en délivre. Le sursis fut de courte durée.

Une douche. J’ai besoin d’une autre douche.

- Tu es beau, murmura Madimi.

Elle semblait sincère. Il ne lisait aucune duplicité dans ses jolis yeux. S’il avait appris une chose sur cette fille, c’était qu’elle était dénuée de la moindre malice et disait toujours ce qu’elle pensait. Seulement, elle se trompait. Il n’était pas beau. Refusait de l’être. Rien ne l’était ici ! L’univers où il avait évolué auparavant, peut-être, ou à tout le moins lui avait-il convenu. Mais ce monde où il était désormais condamné à vivre, terne, sale et violent en comparaison, le déprimait, le contaminait corps et âme. Il se sentait devenir à son image.

Ylsi abaissa à demi ses paupières, pour s’éviter de répondre à ce compliment dont il n’avait rien à foutre. Une bouffée de rage le submergea. Elle était trop gentille, trop patiente, trop douce et trop mignonne. Trop proche de lui. Mais surtout, elle méritait bien mieux ; il ne comprenait pas pourquoi elle s’acharnait à se préoccuper de son sort.

- Je ne suis pas beau, dénia finalement Ylsi.

- Alors, disons que tu me plais, rectifia la démone avec douceur.

Madimi haussa les épaules.

— Tu fais ce que tu veux.

Il baissa la tête, plus chiffonné par cette indifférence qu’il ne voulait bien l’admettre. Surpris également. Elle avait donc abandonné toute idée de se mêler de ses affaires. Pourquoi est-ce que ça le foutait autant en rogne ? C’était tellement le bordel dans sa tête qu’il avait envie de la frapper contre un mur dans l’espoir d’y remettre de l’ordre.

— Je ne sais pas ce que je veux, soupira-t-il.

Les mots étaient sortis tous seuls. Il n’avait aucune intention de se confier à quiconque, pas plus que de pleurnicher. Ainsi, il avait donc encore un soupçon de dignité ! C’était trop drôle! Et si pitoyable en même temps.

— Je ne veux rien en fait, ajouta-t-il.

— J’en suis désolée pour toi, murmura la démone, un peu radoucie. Mais c’est ton problème.

Ylsi releva vivement le nez, rivant son regard à celui de Madimi.

— Ouais. Cette existence de merde est mon problème. Je me dégoûte, je me sens sale, …

— Je sais, soupira-t-elle en se levant.

— … inutile, …

Madimi ne répondit pas et commença à s’éloigner.

— … et mort. La vie me fait mal.

Choquée, la démone s’arrêta net puis se retourna. Les iris de l’ange luisaient d’un éclat fiévreux et malsain. Elle eut peur qu’il ne devienne violent, plus que ses mots. Il replongeait. Tout était sa faute, son influence sur lui était catastrophique. Elle aurait dû s’éloigner mais en était incapable. Son regard la clouait sur place.

— Je suis allé voir une pute tous les soirs depuis que tu es partie, lui annonça-t-il en la regardant droit dans les yeux.

Il semblait espérer une réaction de sa part. Elle ne laissa rien paraître de ce qu’elle ressentait et attendit, le coeur déjà serré par les aveux qu’il venait de faire.

— Je… je voulais quelqu’un comme moi, quelque chose de sale, de… Merde, je…

— Et maintenant ? Comment te sens-tu ?

— Je sais pas.

— Tu vas y retourner ?

— Je l’ignore, je… ça ne suffit pas, je crois. J’ai besoin de… d’autre chose mais je ne supporte pas l’idée d’être touché. Enfin sauf…

— J’ai compris, le coupa Madimi en rebroussant chemin, de quelques pas seulement.

Ysli se figea et retint sa respiration. Son coeur battait à toute allure. Il savait ce qui allait suivre, le redoutait, l’espérait mais le refusait également. Mieux valait rester assis, il était pris d’une sorte de vertige. La terreur sans doute.

Madimi laissa filer quelques secondes puis parcourut la distance les séparant encore. Elle baissa les yeux sur l’ange, trouvant les siens venus à sa rencontre.

- Touche-moi, s’entendit-il demander malgré lui, tout bas.