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Extrait ajouté par eric_sibaud 2024-02-19T21:45:15+01:00

===== Prologue

Monsieur Gatineau fulminait. Il faisait les cent pas dans son agence immobilière, devant la vitrine donnant sur la nuit ardennaise. Dehors, un froid humide enveloppait la ville, une neige fondue et sale troublait la pureté de l’air, formant des flaques boueuses se changeant en verglas, rendant les routes difficilement praticables pour lui faire regagner son confortable domicile. Mais ce n’était pas là la raison de son courroux.

La fureur le faisait transpirer. Il épongea son front dégarni, le souffle court à force d’avoir fait mouvoir, sept minutes durant, sa corpulente masse aux quatre coins du local. Il n’était pas un homme à qui on opposait un refus. Il avait coutume de dire à ses subordonnés qu’un “non” n’était rien de plus qu’un “oui” ayant un peu de retard. Il connaissait le boulot sur le bout de ses dix doigts boudinés. Une masure insalubre sans eau courante ni électricité ? “Authenticité du rustique”, répondait-il. Une habitation ravagée par un dégât des eaux, les murs rongés par l’humidité ? “Quelques travaux à prévoir”, haussait-il des épaules. Une baraque paumée à quinze bornes du premier hameau ? “Je vous propose la tranquillité”, s’enthousiasmait-il. Un voisinage faisant résonner une musique de sauvages jusqu’à une heure avancée de la nuit ? “Quartier convivial”, rigolait-il. Une chambre de bonne sous combles, où seuls tiennent un lit et une armoire ? “Un nid douillet”, expliquait-il. C’était un vendeur hors pair, s’accrochant à ses ventes comme un molosse à un pantalon de facteur, détaillant avec volubilité les avantages des biens qu’il proposait, omettant distraitement leurs défauts. Bref, c’était l’élite du métier.

Alors, quel était donc le problème ? Il ne proposait rien de moins que la vie de château, rendez-vous compte ! Et pour une somme dérisoire, une bouchée de pain ! Si la déontologie ne le lui interdisait pas, il achèterait cette merveille lui-même,

tiens ! Voyez par vous-même : un nombre de pièces si élevé qu’il n’était pas sûr de savoir compter jusque-là, sans parler des dépendances ! Quinze hectares de propriété, en milieu forestier, de quoi chasser le cerf si le cœur vous en dit ! Et regardez donc ces pierres de taille, ce bien a été bâti pour traverser les siècles ! Un souterrain énorme pour y entreposer les crus de votre cave personnelle, des moulures au plafond, des parquets de chêne massif ! En comparaison d’un tel palais, Chambord n’est qu’une chaumière, une bicoque, une cabane de pêcheur ! Et les taxes locales ! La charité au premier mendiant venu vous coûterait davantage !

Pourtant, ce couple de Parisiens fortunés venait de lui opposer son quarantième refus d’acquérir cette somptueuse demeure. Quarante visites, quarante refus ! En trente ans de métier, il n’avait jamais vu ça ! Pour des raisons totalement farfelues, saugrenues, des balivernes, par-dessus le marché ! Gatineau avait eu beau argumenter, expliquer, apaiser, supplier, le couple de potentiels acquéreurs était resté inflexible. Tant pis pour eux ! Il est vrai que ce manoir avait connu plus d’occupants qui en étaient ressortis les pieds devant que sur leurs deux jambes, mais après tout, la loi des séries est faite pour être brisée, n’est-ce-pas ? Et l’histoire d’une maison lui donne un charme, une identité, il en était convaincu. Même s’il s’agit d’une histoire sanglante. C’est même mieux, tiens ! Son identité en devient plus forte, une chance pour la revente ! Soyons sérieux. Ce bien d’exception, bâti au siècle dernier, ne saurait en aucun cas être tenu responsable des choses qui se sont passées à l’abri de ses épais murs de pierre ocre (belle couleur d’ailleurs, très rare, pour la région), aussi regrettables fussent-elles !

Et finalement, ces événements, si on s’abstenait de les mettre bout-à-bout, étaient d’une banalité affligeante. Combien d’habitations se trouvaient dans la même situation, il vous le demande ? Vous seriez surpris de le savoir ! Alors, oui, en effet, un des acquéreurs, succédant au propriétaire historique

(décédé de mort naturelle, lui. La précision est importante, vous voyez bien que tous les occupants n’ont pas connu une fin sordide !) dans les années 1930, avait été retrouvé par ses domestiques, en tenue de nuit, grelottant de froid, errant dans la forêt domaniale, aux limites de la propriété, expliquant ne plus se souvenir de comment ou pourquoi il s’était retrouvé là, décrivant seulement un intense sentiment de terreur, la certitude d’un danger imminent et épouvantable l’ayant poussé à fuir. Le pauvre homme était d’un âge très respectable, souffrant certainement de démence sénile, voilà qui expliquerait bien des choses. Son état d’hypothermie avancé, conjugué au délabrement physique dû à sa vieillesse, l’avaient emporté avant que ses gens n’aient eu le temps de le ramener dans le château.

Le propriétaire suivant était un riche homme d’affaires belge. Il avait occupé paisiblement les lieux, sans jamais s’en plaindre, jusqu’en 1940, année où l’armée allemande avait eu l’idée d’envahir le pays en passant par la Belgique. En chemin, les officiers avaient dû trouver cette demeure cossue à leur goût. Assez, en tout cas, pour s’y arrêter et en expulser l’infortuné propriétaire. En guise de dédommagement, le pauvre homme avait été escorté dans les bois, et on lui avait tiré une balle dans la nuque. Sa confession religieuse avait déplu aux nouveaux maîtres des lieux, qui l’avaient fait savoir à leur façon.

Les nazis ont ensuite trouvé l’endroit si confortable qu’ils y avaient installé la Kommandantur locale. On les comprend, il en faut des chambres, pour accueillir tout ce monde. Alors, certes, des rumeurs couraient, à l’époque, selon lesquelles l’occupant utilisait les caves pour questionner des prisonniers de manière peu amène, et que lorsque ceux-ci ne répondaient pas, ou mal, ils croupissaient là-dessous jusqu’à en mourir de dénutrition, quand ce n’était pas sous les coups de leurs geôliers. Mais c’était la guerre, c’est différent, ça ne compte pas !

Après avoir été laissé plusieurs années en déshérence, le château avait été repris par un riche entrepreneur ayant fait fortune dans la logistique, grâce à son entreprise de transport routier. Il avait entrepris d’ambitieux travaux de rénovation. Des mois de chantier s’écoulèrent avant qu’il ne puisse y emménager avec toute sa famille. Son épouse et ses nombreux enfants. Puis le choc pétrolier de 1973 vint troubler la quiétude du foyer. Son affaire périclitait. Le prix de l’essence ayant subi une flambée, ses bénéfices furent réduits à peau de chagrin. Pire encore, le pauvre homme avait misé toute sa fortune sur les marchés financiers, dans l’espoir de la faire fructifier, et le krach boursier qui avait suivi le choc pétrolier lui porta le coup de grâce. C’était la banqueroute. Il avait acquis la demeure en souscrivant un crédit, peu soucieux des taux d’intérêt, et fut rapidement pris à la gorge, asphyxié financièrement. Il préféra la mort à la misère et au déshonneur. Chasseur chevronné, il avait abattu sa femme et plusieurs de ses sept enfants à la carabine. Sa femme en premier. Il eut le temps de tirer sur quatre des enfants, dont son dernier-né, encore pleurant dans son berceau, avant que les autres ne comprennent le drame qui se jouait et décident de se cacher ou prendre la fuite. Il traqua le fuyard en premier, dans les bois, le pistant comme du gibier (quand il vous disait que c’était l’endroit idéal pour chasser le cerf !) avant de l’acculer et lui faire subir le même sort qu’à ses frères. Il regagna la bâtisse et la retourna de fond en comble, avant de trouver les deux derniers enfants. Deux sœurs, des jumelles, tapies dans une chambre de l’étage. Il était malheureusement à court de cartouches. Mais, en qualité de chasseur prévoyant, il portait sa dague. Il poignarda la première. Devant l’horreur de la scène, la dernière survivante choisit de tenter sa chance en sautant par la fenêtre. À la réception, la pauvre enfant se brisa la nuque. Le père appela alors la gendarmerie, expliquant son geste et désignant l’emplacement des corps. Avant de raccrocher, il expliqua à son interlocuteur que le sien serait pendu, dans le grenier. Se remémorant cette précision,

Gatineau se frappa le front. Il avait oublié de le préciser : les combles sont aménageables ! De l’espace en plus, si vous le désirez ! Voyez ces poutres apparentes, du solide ! Et cette hauteur sous le plafond rampant ! Sans toutes ces qualités, le pauvre homme aurait été bien en peine d’accomplir ses sombres desseins !

La propriété était tombée en succession, qui fut liquidée au profit d’un lointain cousin, qui n’avait ni l’envie ni les moyens d’occuper ou d’entretenir un si colossal logis. Il avait confié à Gatineau et ses confrères des environs le soin de tirer le meilleur prix de la transaction qui, Gatineau l’avait assuré, ne prendrait que quelques semaines, quelques mois, tout au plus ! Cela ferait bientôt quinze ans qu’il l’avait sur les bras. Le cousin était mort, et c’était à son fils qu’il devait maintenant rendre des comptes. Un jeune freluquet, un Parisien, un Môssieur haut-fonctionnaire, qui le prenait de haut et qui, bien qu’il souscrive aux travaux d’entretien ou d’amélioration, nécessaires au maintien en bon état du bâtiment, le traitait à demi-mots d’incompétent ! Lui ! Le meilleur agent à l’ouest de la Meuse ! Était-ce sa faute, s’il était tenu de déclarer toute mort violente survenue dans les lieux aux personnes intéressées ? Certes, aucune disposition légale ne le lui imposait, mais il y avait la déontologie du métier. S’il ne la respectait pas, il était évident qu’un confrère jaloux s’empresserait d’aviser les nouveaux propriétaires, qui se retourneraient alors contre lui ! Il avait déjà eu le cas, pour une maisonnette en bord de route où un fermier ivre mort avait battu sa femme un peu trop fort. Gatineau avait refusé d’annuler la vente. Après tout, la maison restait la même, une fois les taches de sang nettoyées ! Le superstitieux propriétaire l’avait trainé devant les tribunaux ! Et obtenu gain de cause ! Gatineau avait dû reverser l’intégralité du prix, sa commission comprise ! Ils cachaient leurs craintes archaïques sous des termes savants tels que “vice du consentement”, ou “dol” ! C'étaient des croyances de bonne femme, des fariboles, voilà tout ! Nous n’étions plus au Moyen Âge, mais en 1983 !

Et en 1983, tout le monde sait que les malédictions, les fantômes, et toutes ces fadaises, ça n’existe pas ! Il faut croire que non.

Gatineau consulta sa montre en reprenant son souffle. Il allait être en retard, et en ce vendredi soir, il avait invité des amis et leurs enfants à dîner. En enfilant son manteau pour affronter le vent glacial jusqu’à sa voiture, il maugréa dans sa barbe, se demandant à qui et comment il allait pouvoir refourguer cette baraque du diable.

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