Extraits

Ces dernières paroles furent accueillies par des cris de haine. Le chef scruta le ciel d’un air songeur et eut un sourire distrait. — En résumé, vous ne vous appuyez que sur des impressions discutables et recherchez un bouc émissaire pour satisfaire votre vengeance. Et avec ceux qui sont rassemblés devant ces portes, vous contrevenez à la Cáin Chiréib. C’est mon deuxième avertissement, Brocc

 D’épouvantables assassinats se sont produits dans cette communauté. Des jeunes filles ont perdu la vie dans des circonstances atroces. La nuit dernière, Ballgel, une de mes cousines qui travaillait dans les cuisines de la forteresse de notre chef, a été sauvagement attaquée alors qu’elle rentrait chez elle. C’est la troisième jeune fille à avoir été tuée au moment de la pleine lune. Escrach, la seule fille de mon frère, a subi le même sort le mois dernier. Et quand ces assassinats ont-ils commencé ? Le jour où l’abbé Brogán a accordé l’hospitalité à ces étrangers à la peau sombre. Noire est la couleur de leur peau, et noires leurs actions. Ils doivent recevoir le châtiment qu’ils méritent

Quant à vous, en refusant de m’obéir vous contrevenez à la Cáin Chiréib, la loi sur les séditions. En vous obstinant dans vos stupides exigences, vous vous placez dans une situation qui risque de vous coûter cher. Ai-je été assez clair ? De nouvelles défections s’annonçaient déjà, mais Brocc leva la main et tout le monde se figea

Adag, Becc et quatre de ses guerriers arrivaient au galop de leurs montures. Ils forcèrent leurs chevaux à pénétrer dans la foule et les villageois reculèrent à contrecoeur devant leur chef et son escorte. Quant à frère Solam, il se laissa glisser de la monture qui l’avait porté, se précipita vers l’abbé et se posta près de lui en toisant la foule. Un silence lourd succéda à l’agitation fiévreuse, ce qui n’empêcha pas Brocc de poursuivre sur sa lancée 

Pourquoi s’en prennent-ils à eux ? Auraient-ils des preuves qu’ils ont tué Ballgel ? Frère Solam secoua la tête. — Non, mais ces paysans, conduits par la peur et des soupçons infondés, se montrent de plus en plus agressifs. — J’ai déjà prévenu la garde, seigneur, intervint Adag. On est en train de seller les chevaux. — Très bien, nous allons nous rendre à l’abbaye, lança le chef en sortant dans la cour. Frère Solam, vous monterez en croupe derrière un de nos guerriers

Becc fronça les sourcils, faillit s’énerver, puis se ravisa. Un vieil adage lui était revenu fort à propos à l’esprit : « Dans l’ébriété ou la sobriété, garde tes pensées pour toi. » Il se leva, s’habilla rapidement, ceignit sa ceinture et glissa son épée dans son fourreau

Son coeur cognait si fort dans sa poitrine qu’il avait l’impression que ses battements résonnaient alentour. La sueur perlait à son front. Il l’essuya d’un geste brusque et s’élança derrière la silhouette svelte et légère qui s’éloignait dans les bois. — Seigneur Becc, venez vite ! Becc, le chef des Cinél na Áeda, jeta un regard courroucé à Adag, son intendant, qui venait de faire irruption dans sa chambre sans même prendre la peine de frapper. Selon l’étiquette qui régissait la vieille demeure, c’était une liberté impardonnable, et Becc s’apprêtait à tancer l’importun, mais celui-ci ne lui en laissa pas le loisir

Tu veux passer par le Hallier aux cochons à cette heure de la nuit ? Avec les loups et les bêtes sauvages qui rôdent, merci bien ! Et puis tu sembles oublier ce qui s’est passé là-haut récemment. Il s’immobilisa et ouvrit les bras en un geste protecteur. — Ne suis-je pas là pour te défendre ? Ni bête ni homme ne s’aviseraient d’attaquer deux adultes. Allons, je suis moi aussi pressé de regagner mon foyer et j’habite encore plus loin que toi. Si nous choisissons ce trajet, nous gagnerons un bon quart d’heure

Ainsi prévenus, nous pouvons maintenant entrer dans le monde de Fidelma. Les événements de ce récit se situent en 667, juste après la nuit de Gelach a’bhruic, la lune du blaireau, qui marque la pleine lune d’octobre. Les Irlandais croyaient que, pendant cette période, le blaireau séchait l’herbe pour construire son nid

La maison de sainte Brigitte de Kildare, à laquelle appartenait Fidelma, compte parmi celles-ci. Quand Brigitte fonda son établissement à Kildare (Cill-dara = l’église des chênes), elle invita un évêque du nom de Conlaed à la rejoindre. Sa première biographie, écrite en 650, à l’époque de Fidelma, fut rédigée par un moine de Kildare du nom de Cogitosus, qui établit clairement qu’il s’agissait là d’une communauté dont la mixité se prolongea après la mort de Brigitte