Extraits

L’asphalte de la route ne pouvait se dérober à son emprise. Mais cela n’empêchait pas la grosse berline Toyota de filer bon train, pressée d’atteindre sa destination, un petit village distant d’encore une cinquantaine de kilomètres. Plus tard, le chauffeur referait le trajet en sens inverse. Il raccompagnerait sa passagère à l’aéroport de Ji’nan, où il l’avait prise en charge le matin même. La brume se sera alors volatilisée, comme par enchantement, laissant place à un air brûlant et âpre ; le feu du dragon.

Charly accéléra et prit la première à droite. Dans le même temps, il ouvrit la boîte à gants et en sortit un gros pistolet. Un Beretta M9, mais ça, la gamine ne pouvait pas le savoir. Elle vit seulement l’arme, aussi noire que la nuit, dans la main de Charly.

Shi Xiaoling comprit que son héros était en colère. Elle eut peur. Peur de le décevoir et qu’il ne l’aime plus. Qu’il ne souhaite plus la garder dans son groupe. Que le beau rêve pour lequel elle s’était enfuie avec lui, cinq mois plus tôt, ne parte brusquement en fumée. Elle aurait aimé lui répondre, mais elle était choquée. Un miracle qu’elle s’en soit sortie. Sans doute Charly réussit-il à le comprendre :

– Bon, ne reste pas comme ça. Grimpe dans la voiture.

Il ne t’arrivera rien. Je suis là maintenant.

Exactement les mots qu’elle rêvait d’entendre.

Il lui restait une grande artère à traverser, beaucoup plus encombrée que celles qu’elle venait de quitter. Elle s’arrêta à la limite de la chaussée et se retourna. Personne ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle les avait semés.

Dunfu n’avait pas eu cette chance.

Dunfu, lui, faisait équipe avec Charly depuis presque deux ans. Il en avait suffisamment appris pour pouvoir, à son tour, montrer toutes ses ficelles à sa jeune protégée ; les bons endroits où planquer, selon les horaires de leurs longues journées ; repérer les clients, savoir les aborder et leur donner confiance ; se méfier des flics en civil, trop souvent à l’affût ; apprendre à dissimuler l’argent et à se fondre dans le paysage. Plus tant d’autres choses encore.

Les lourds nuages noirs qui s’étaient amoncelés dans le ciel de Pékin avaient précipité la tombée de la nuit d’au moins une heure. De leur masse opaque s’échappait un très léger voile de pluie, irrégulier. Après s’être mêlée à l’air vicié, la bruine couvrait rues et trottoirs d’un film gras et luisant.