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— C’est toute une histoire. L’histoire d’un saxophoniste talentueux qui se rendit un soir aux fêtes de mardi gras, et qui plut à une reine fée. La reine lui demanda de venir avec elle, parce qu’il était beau, jeune, charmant, et que sa musique enflammait les âmes. Mais le musicien refusa, car il avait déjà une femme, et son amour pour elle passait toute la beauté de la reine fée. Furieuse d’être éconduite, celle-ci le prit de force et l’emmena au pays de Nulle Part, le contraignant à la distraire. Mais en dépit des merveilles de la Faerie, et malgré les efforts de la reine, il ne put jamais oublier sa femme du monde mortel. Même après avoir perdu jusqu’au souvenir de son propre nom.
A l’expression de mon prince, à l’ombre qui passa dans ses yeux tandis qu’il me parlait, je compris qu’il n’avait pas simplement entendu conter cette histoire. Il l’avait vue se dérouler sous ses yeux. Oui, s’il savait où trouver un
Emblème, c’était parce qu’il se rappelait le joueur de saxophone
à la cour de la reine. Un autre mortel victime de la cruauté des fées.
— Le temps passa, poursuivit Ash, et la reine finit par relâcher le musicien, parce que cela l’amusait. Et quand le jeune homme, la tête remplie de souvenirs à la fois réels et imaginaires, revint vers sa femme bien-aimée, il la trouva
âgée de soixante ans, alors que lui-même n’avait pas vieilli d’un jour depuis son enlèvement du monde mortel. Elle portait toujours la bague qu’il lui avait offerte, et n’avait jamais repris de mari ou d’amant, persuadée qu’il finirait par revenir.
Ash s’arrêta, et j’essuyai une larme. Les deux squelettes allongés sur la table ne me paraissaient plus aussi sinistres, maintenant. Au moins pouvais-je poser mon regard sur eux sans que mon estomac se soulève.
— Que s’est-il passé après ?
J’espérais une fin heureuse. Ou, du moins, une fin qui ne soit pas totalement horrible. J’aurais pourtant dû me douter qu’il n’en serait rien.
— Quelques jours plus tard, poursuivit Ash, les voisins découvrirent un jeune homme et une vieille femme allongés dans leur lit, leurs doigts entremêlés et le visage tourné l’un vers l’autre. Le sang de leurs poignets avait déjà séché sur les draps.
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