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Cet été-là, nous avons perdu les trois sœurs. On les a laissées se volatiliser à la manière des paroles d’une chanson à moitié oubliée et, lorsque l’une d’elles nous est revenue, ce n’était pas celle qui hantait le plus notre esprit.
Le printemps s’esquiva. Il s’éloigna furtivement dans les broussailles ; à sa place s’installa un été qui dessécha l’air, nous brûla les narines, encapsula la puanteur. Comme les couvercles des boîtes Tupperware.
Afficher en entierCe sont les agents de la police locale qui la trouvèrent. Ils aperçurent d'abord sa natte entre les blocs de pierre. On aurait dit un de ces signets, tressés, glissés entre les pages de la bible familiale. Après tout, c'était un dimanche après-midi.
Afficher en entierNi Lor ni moi n'évoquâmes l'incident. sans doute avions-nous le sentiment que ne pas prononcer les mots à voix haute était un moyen d'oublier les horreurs qu'on avait vues. De les nier. On se garda donc d'ouvrir la bouche. Et nos parents restèrent dans l'ignorance.
Une famille de quatre souris aveugles. La nôtre.
Afficher en entierOn se retourna brusquement : M.Avery, de la classe de CM2-A, raide et livide, se tenait dans l'embrasure de la porte donnant sur la véranda; il frappa sur le chambrale bien qu'elle fût grande ouverte. Cordie était à côté de lui, toujours en maillot de bain. Il serrait ses clés de voiture comme un badge et portait ses chaussures sans lacets. Les cheveux de Cordie, légèrement teintés de vert par le chlore, pendouillaient. Et, dans la semi-clarté où se découpaient leurs silhouettes, son ventre légèrement gonflé luisait comme celui d'un phoque.
Afficher en entierMaman ne m'en donnait jamais, même pas la petite monnaie du fond de son sac. Mais je n'avais aucune envie de partager mon goûter du matin avec Ruth. je n'obtenais rien en échange.
Afficher en entierDeux évènements se produisirent que - encore aujourd'hui - j'ai du mal à dissocier dans ma tête.
Le premier était la chute de Cordie. Le second ? Eh bien, c'était l'arrivée de M.Avery à l'école.
Afficher en entierTout le monde avait aperçu les soeurs.
Comme si elles étaient infiniment plus visibles qu'avant de se volatiliser.
Afficher en entierLe crépuscule. Comme des limbes. La pluie de Baltimore obscurcissait la ville. La crasse maculant les vitres du taxi se mêlait aux gouttes d’eau et, à chaque mouvement de balayage du pare-brise, les essuie-glaces décrivaient un arc graisseux semblable à un lever de soleil sale. Le chauffeur sentait la cigarette et les Tic-Tac à la menthe. Lorsque j’étais montée dans sa voiture, il m’avait poliment demandé si je me sentais mieux.
— Mieux, c’est-à-dire ?
— Mieux qu’avant ?
Afficher en entierLa silhouette fantomatique apparut au petit déjeuner, attirée par le râle des corn flakes dans leur boîte.
Elle marchait. Pieds nus. Jambes nues. Phalanges blanches. Vêtue d’une chemise de nuit claire qui s’accrochait à ses mollets et dévoilait une épaule, avec la désinvolture d’un chapeau incliné sur le côté. Des mèches raidies de ses cheveux trempés de sueur nocturne – qui ne transpirait pas cet été-là ? – encadraient son visage de jeune fille de treize ans, telles des œillères la tête d’un poulain.
Afficher en entier— Cordie ! C’est Cordie Van Apfel !
— Nom de Dieu, elle est somnambule ?
— À votre avis, elle nous entend ? Elle peut nous voir ?
Au même moment, M. Van Apfel apparut. Il s’avançait, bras tendus, paumes tournées vers le ciel, comme s’il déboulait du champ extérieur d’un stade de base-ball divin. Il cacha un instant le soleil. Puis il effectua un pas de côté qui mit fin à l’éclipse, et l’astre recommença à darder ses rayons implacables.
— Il n’y a rien à voir, affirma-t-il de sa voix calme de prédicateur laïc. Rien à voir.
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