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— Ils m'ont arrêté pour la vente de mes propres papillons. Vendre ses propres bestioles n'est pas illégal. Mais ce faux ange est un fou furieux. Et maintenant, là, je suis dans une situation qui dégénère, Rip. J'ai contrarié le juge, et ils vont me flanquer en taule pour outragissement à magistrat.
Je soupirai.
— Je lui ai dit que le seul juge qui m'importait, ce n'était pas lui. Il m'a flanqué trente jours de prison, et quand je lui ai dit que trente, ça n'était pas si mal quand on pense que Notre Seigneur en a passé quarante dans le désert, il m'en a ajouté dix de plus !
Afficher en entier— Rip, estime-toi heureux de ne pas être assez riche pour être obligé de fouiller tes invités. L'immense fortune s'accompagne d'une grande peur. Personnel de sécurité. Clôtures électriques. Polices d'assurances. Caméras et murs. La chose même que tu croyais tirer de l'argent – la liberté – s'envole. Et puis, il y a la séparation. La distance entre toi et ton voisin augmente. Tu finis sans aucun ami. Sans communauté. Et ensuite, tu éprouves toute cette culpabilité envers les gens que tu as piétinés pour obtenir ce que tu as. Car il n'y a pas de succès sans quelqu'un de piétiné. Pas de palais élevé sans indigent rabaissé.
Afficher en entierLe phénomène était si effrayant et le timing si extraordinaire (plus tard, Isabelle m'expliquerait qu'il s'agissait de la chaleur dilatant le bois) que je les refermai et me retirai de la pièce, me parlant à voix haute, me dédoublant pour créer de la compagnie :
— Tout le monde est peut-être sorti.
— Alors, pourquoi ne vas-tu pas regarder ?
— Oui. Bonne idée. Je vais aller jeter un œil.
— Oui, vas-y.
Afficher en entierJe tenais à leur montrer (et surtout à elle) que j’avais davantage à offrir qu’une vie intérieure. Je me suis levé, j’ai ôté mes vêtements pour ne garder que mon caleçon, et me suis détourné car je sentais renfler une certaine excitation. J’ai retiré ma montre – un souvenir de mon père décédé – que j’ai soigneusement déposée sur mon short. Je me suis dirigé vers la corniche avec la sensation, sous le regard de cette jeune femme, que j’avançais sur une planche au-dessus de flots infestés de requins. Je suis resté un moment à contempler le bassin en contrebas, à calculer sa profondeur. Un instant, j’ai songé à la réfraction trompeuse de la lumière, ma crainte accentuant la distance qui me séparait de l’eau et minimisant la profondeur de celle-ci. Depuis la rive, Joe m’encourageait :
— Allez-y ! Plongez !
Afficher en entierJe ne savais pas très bien où poser mon regard : sur le colosse du rocher ou bien sur la naïade. Joe était immense : un mètre quatre-vingt-quinze et pas un soupçon de graisse sur une carcasse athlétique ; il était de proportions parfaites, bâti comme une statue de discobole grec. Sa présence physique sidérante rendait sa voix d’autant plus incongrue. Aiguë et enfantine, tellement improbable que je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un subterfuge, d’une voix destinée à leurrer et à vous pousser à sous-estimer le personnage.
Afficher en entierC’est un monstre. Un monstre absolu !
Le timbre était américain. Bien entendu : je me trouvais en Amérique.
J’ai ouvert les paupières, et il était là, éclipsant le soleil. Torse nu, pieds nus, un filet à papillons à la main, me contemplant avec un large sourire. Les verres de ses lunettes lui faisaient des yeux comme des soucoupes, semblables à ceux des galagos. Ses cheveux courts sur le devant et longs sur la nuque le gratifiaient d’un air moins intelligent qu’il ne s’est avéré. Je lui donnais une vingtaine d’années, peut-être un peu plus âgé que moi. Un gamin dans un corps de Superman.
— Ne bougez pas, monsieur, a-t-il dit.
Afficher en entierJe l’ai rencontré il y a l’espace d’une vie de papillon. C’est-à-dire six mois, si vous êtes un papillon exceptionnellement grand, fort et chanceux. Nous étions début mai. J’étais allongé au bord d’une rivière dans les Catskill Mountains, à lire et à fumer, lorsque je me suis assoupi, et me suis laissé glisser dans un rêve. Une de ces agréables rêveries intermittentes qui accompagnent le sommeil peu profond. Je venais de lire l’histoire de Rip Van Winkle, le héros de la nouvelle de Washington Irving, l’homme qui s’était endormi au pied d’un arbre pour se réveiller vingt ans plus tard dans un monde qui avait évolué sans lui, et il était là dans mon rêve.
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