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Michel a regardé sa fille. Il l’avait appelée du même prénom que sa propre mère. Amélie, sa femme, n’avait pas eu le choix. Non, ce ne serait pas Juliette. Ou Jeanne. Ou Angèle. Ce serait Zélie. Point. Leurs désaccords, par la suite très nombreux, avaient peut-être commencé là : avec le choix du prénom de leur fille. Et, comme pour en rajouter, Zélie ressemblait à Zélie. Du moins, c’est ce que tout le monde disait. Tine la première. Mado aussi, qui avait noté cette ressemblance dès que Michel et Amélie étaient venus à Ercé avec leur bébé de quelques semaines. Mado en avait presque pleuré. Elle n’était pourtant pas connue pour sa sensibilité. Au contraire. On ne rigolait pas avec Mado. On marchait à la baguette. Mari, enfants, saisonniers, tous ceux qui avaient affaire à elle, de près ou de loin. Michel l’a compris très tôt. Il s’était d’ailleurs souvent demandé s’il aimait sa grand-mère. Quand il disait ça à Tine, à qui il disait tout, elle souriait avec une expression de miséricorde totale. De toute façon, Tine acceptait tout de Michel, y compris qu’il lui balance que sa mère n’était pas un cadeau !
Afficher en entierÀ 7 h 10 le lendemain matin, le téléphone a sonné dans la maison d’Ercé. C’était l’hôpital. Michel, arrivé de Paris dans la soirée, a répondu. Il a juste dit : « Merci. Nous serons là dans vingt minutes. »
Tine était finalement moins coriace qu’elle ne le pensait. Et les fantômes, une belle bande de menteurs.
Tine a été enterrée dans le petit cimetière d’Ercé. Le regard tourné vers le lever du soleil. Avec ses parents, Mado et Émile. Et avec Zélie, sa sœur chérie. C’est ce qu’elle voulait. Elle qui ne s’était jamais mariée et n’avait pas eu d’enfant – pas d’enfant à elle en tout cas – disait qu’elle n’aurait pas d’autre demeure pour vivre l’éternité. Se savoir avec eux, ça la rassurait un peu.
Afficher en entierZélie avait beau essayer de se préparer au pire, elle n’arrivait pas à se faire à l’idée que Tine puisse mourir. C’était bien trop tôt. Elle n’était pas prête à perdre ceux qu’elle aimait le plus au monde. Elle n’était pas prête à voir le sol se dérober sous ses pieds, à sentir le socle de son univers vaciller. Tine était ce socle, cette muraille. Avec Michel. Les deux seules personnes auprès desquelles elle se sentait encore en parfaite sécurité, aujourd’hui, à vingt-trois ans, comme lorsqu’elle était enfant. Quand ses parents avaient divorcé, huit ans plus tôt, les murs avaient un peu tremblé. Mais Zélie était allée se réfugier dans les bras de Tine, qui l’avait cajolée, dorlotée, consolée. Tine et ses histoires d’avant. Tine, ses confitures et ses croustades1. Tine et ses longues promenades vers les granges de Cominac. Tine qui connaissait le nom de tous les monts des Pyrénées.
Afficher en entierElle paraissait calme. Dormait-elle ? Grâce aux deux petits tuyaux dans ses narines, elle respirait normalement. Le moniteur qui suivait son rythme cardiaque était régulier lui aussi.
Zélie posa sa main sur celle de Tine, qu’elle avait toujours considérée comme sa grand-mère. En réalité, Léontine, dont on avait toujours contracté le prénom, était sa grand-tante, la sœur jumelle de sa grand-mère Zélie (oui, comme elle), qui était morte d’une septicémie trois jours après la naissance de Michel.
Afficher en entierLa dernière fois que Michel était venu à Ercé, Tine avait observé son neveu décrypter attentivement les ordonnances et les bilans sanguins. Elle lui faisait totalement confiance. Il était peut-être gynécologue-obstétricien – rien à voir avec la mécanique chaotique de son cœur –, il n’en était pas moins médecin. Elle avait bien vu ses sourcils froncés et sa bouche crispée. Et si elle ne l’avait pas mis au monde, elle le connaissait pourtant comme s’il était sorti de ses entrailles. Pas une de ses expressions ne lui était étrangère. Ce jour-là, Tine avait compris que rien de bon ne l’attendait.
Afficher en entierZélie avait approché la chaise du lit médicalisé. Elle regardait Tine, qu’elle avait dû faire hospitaliser trois jours auparavant. Insuffisance cardiaque. Le médecin ne leur avait guère laissé le choix. À son âge, avait-il dit, c’est plus prudent. Zélie pensait que la prudence n’avait pas grand-chose à voir là-dedans. L’âge, par contre… Tine avait quatre-vingt-cinq ans et le cœur fatigué. Alors, Zélie l’avait emmenée à l’hôpital Jean-Ibanès de Saint-Girons.
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