Extraits

Rainer Maria Rilke à Lou: " C'est à travers toi que je veux voir le monde, car, du même coup, je verrai, non plus le monde mais toi seule, toi, toi ! "

Lou, elle-même, féministe hérétique, note que c'est là que la femme s'accomplit le mieux, et, aux clameurs des féministes de son temps contre l'oppression masculine, répond en substance : "Ne vous préoccupez pas de ce que veulent les hommes, faites ce que demande Dieu, qui doit être votre seul maître. Là est la liberté."

Mais ses conseils ne semblent pas avoir été massivement écoutés ! Aujourd'hui, on peut dire, me semble t-il : une femme libre, c'est celle qui a la faculté de choisir sa vie. C'est la meilleure définition qu'on en puisse donner.

Mais enfin, qu'est-ce qu'ils ont, ces hommes incapables d'amitié, oui, d'amitié, tout simplement ?"

"Nous devons faire ceci, nous devons faire cela..." Je n'ai aucune idée de qui est ce nous. C'est seulement de moi que je sais quelque chose. Je ne puis vivre selon un idéal, mais je puis très certainement vivre ma propre vie, et je le ferai quoi qu'il advienne. En agissant ainsi, je ne représente aucun principe, mais quelque chose de beaucoup plus merveilleux, quelque chose qui est en moi, quelque chose qui est tout chaud de vie, plein d'allégresse et qui cherche à s'échapper."

Elle a été, je crois, la première femme libre des Temps Modernes, sans avoir eu à secouer le joug masculin ou familial, sans avoir été ni reine, ni veuve, ni héritière d'un mari ou d'un père. Elle est entrée dans la vie les mains nues, armée seulement de sa beauté, d'une forte intelligence et d'une pension que la Russie impériale accordait aux enfants d'officiers supérieurs décédés.

Néanmoins, elle va accéder à la notoriété grâce à ses écrits, et son livre est resté un texte de référence. On peut dire qu'il l'a lancée.

Mais, toute sa vie, elle a porté la tache d'avoir "rejeté" Nietzsche. Pas un commentateur ne lui a épargné ce grief récurrent.

En fait, ce qu'on ne lui a pas pardonné, c'est d'avoir été une femme capable de comprendre la pensée de Nietzsche et de l'éclairer. Et ce son de cloche-là résonne encore...

"Éteins-moi les yeux, je pourrai te voir bouche-moi les oreilles, je pourrai t'entendre sans pieds je pourrai marcher jusqu'à toi même sans lèvres je pourrai t'évoquer romps-moi les bras et je te saisirai avec mon cœur comme une main suspends mon cœur et mon cerveau battra et si tu mets le feu à mon cerveau je te porterai sur mon sang..."

Poème écrit par Rilke pour Lou.

C'est ainsi qu'un beau matin la jeune fille se retrouve agenouillée devant un autel, jurant de devenir un membre fidèle de l'Eglise Chrétienne. Ce qu'elle avait toujours refusé. Mais elle n'a plus le choix. En fait, c'est à Gillot, plus qu'à l'Eglise, qu'elle fait serment de fidélité. Tout cela ressemble au demeurant à une messe de mariage, heureusement prononcée en hollandais, si bien que Mme von Salomé n'y comprend goutte.

Que dit en fait le pasteur Gillot ? "Ne crains point. Car je t'ai rachetée. Je t'ai appelée par ton nom. Tu es mienne ..." Et il la bénit.

Jamais il n'a pu prononcé son nom, Liola, et il va pour la première fois l'appeler Lou. Elle en fera son nom pour toujours. Quelque chose en elle lui restera éternellement attaché, ce qui ne lui ressemble pourtant guère ...