Extraits

« L’île disparaît derrière nous. Mon cœur se serre.

Je tente de faire bonne figure, mais après ces trois jours de rêve, monter dans le bateau – tout magnifique qu’il soit − qui me ramènera à la vie normale est la chose la plus difficile du monde.

Me réveiller aux côtés de Raphaël, passer toute la nuit dans ses bras… Nous avons fait l’amour tant de fois, avec une rare intensité, il m’a donné tant de plaisir que mon corps en est comme transfiguré.

Au pied de l’avion, le pilote nous salue. Avant d’entrer dans l’appareil, je me retourne pour admirer la mer scintillante une dernière fois.

Ai-je jamais été plus heureuse que pendant ces trois jours ? Non, je ne crois pas.

– Moi non plus, June.

J’ai parlé à haute voix ? Mince… Oh, et puis non… Autant que Raphaël le sache, puisqu’il est le premier concerné.

Je n’ai pas à rougir… Mais je rougis un peu tout de même.

– C’était merveilleux, je me suis pincée plusieurs fois pendant le séjour, avoué-je.

– Je n’ai pas toujours vécu dans ce genre de paradis, tu sais. Et ne crois pas que je m’y sois habitué ! »

Extrait de 

Ma vie, mes rêves et lui - Intégral

Kim Grey

Trop tard. Quels mots terribles. J’ai compris trop tard que le chauffeur n’était pas Josh. J’ai constaté trop tard que la voiture dans laquelle je m’étais précipitée ressemblait à celle de Raphaël mais n’était pas celle de Raphaël. Je me suis jetée trop tard sur les portières verrouillées de l’extérieur.

Il fait nuit. La voiture m’emporte dans les rues de New York. Je suis prise au piège.

– Je t’aime, lâche-t-il dans un souffle, un peu inquiet, guettant ma réaction.

Ces mots me font l’effet d’un coup de tonnerre. Foudroyée de bonheur, je reste quelques instants sans rien dire, les yeux brillant d’émotion. Bien sûr que je l’aime, moi aussi ! Je n’osais pas me l’avouer, mais sa déclaration fait éclater la vérité comme une évidence que je refusais de voir, de peur que mes sentiments ne soient pas partagés.

– Je t’aime moi aussi, soufflé-je dès que j’ai repris mes esprits.

Moi qui ai toujours eu du mal à exprimer mes sentiments et à faire le tri dans mes émotions, c’est la première fois que ce sentiment s’impose à moi aussi clairement. La première fois aussi que mes paroles sont en parfaite adéquation avec ce que je ressens.

Il me drague ?!

Mon cœur est sur le point d’exploser, mes poumons aussi. Mon cerveau, lui, est au bord de l’implosion. J’ai cru qu’on en voulait à ma vie ; on m’invite à prendre un verre. Heureusement qu’aucun son n’est sorti de ma bouche… Il faut que je me calme ! Je ne vais pas tenir longtemps comme ça.

Les meubles, renversés. Le sol, jonché de partitions déchirées. Le piano, massacré. Je n’en crois pas mes yeux. On jurerait qu’une tornade s’est abattue sur le studio de musique. À présent, c’est mon esprit qui est sens dessus dessous.

Pince-toi, June, tu vas te réveiller… Aïe !

Non, je ne rêve pas. Le cauchemar est réel. Quelqu’un s’est introduit dans le studio de musique et l’a saccagé.

J’ai du mal à regarder ce qui est advenu du précieux piano. Les cordes, coupées. Le couvercle, fendu en deux. Le bois, couvert d’éclats. Moi qui adore les instruments de musique, je ne comprends pas comment on peut détruire ainsi ce genre d’objet. J’en ai mal physiquement, comme si j’avais moi-même été frappée.

« Raphaël Warren est un assassin. »

L’écriture est fine et précise, sûre d’elle-même et de ce qu’elle avance, aussi incisive que si les lettres avaient été tracées au scalpel.

Les mots résonnent dans ma tête, les lettres dansent devant mes yeux. Je peux toujours tenter de faire disparaître le papier en le froissant frénétiquement dans ma main, rien ne pourra me faire oublier ce que je viens de lire.

Qui a glissé ce mot dans mon sac ? Quelqu’un qui me veut du bien, et qui cherche maladroitement à me mettre en garde contre l’homme que j’aime ? Ou quelqu’un qui me veut du mal et qui accuse mon amant afin d’instiller le doute dans mon esprit ?

Quand Raphaël sera de retour, je tenterai de le questionner habilement. Ou plutôt, non, je lui avouerai franchement ce qui s’est passé. Il faudra juste attendre le moment opportun…

Enfin accessoirement, il faudra déjà attendre qu’il rentre…

– Saluez Raphaël Warren pour moi la prochaine fois que vous le verrez, ajoute-t-il alors que je sors de son bureau.

Saluer Raphaël, j’aimerais beaucoup… Mais pour ça, il faudrait qu’il revienne.

Puisqu’il n’a pas jugé opportun de me donner sa destination, j’estime que je n’ai pas à la lui demander.

Une fois dans la rue, je me sens aussi légère qu’une plume de Stradivarius. Travailler aux côtés du grand compositeur, jamais je n’aurais espéré un tel privilège. Entre cet ambitieux travail et les concerts au lounge bar, mes journées vont être chargées. Mais tout cela me donne l’énergie de déplacer des montagnes. Me voilà officiellement en train de faire mes débuts comme musicienne et compositrice. Que demander de plus ?

Le lendemain, après avoir froissé une vingtaine de feuilles de papier à musique, je finis par me rendre à l’évidence. Sans nouvelles de Raphaël, je suis incapable de me concentrer. L’immense sentiment de manque et d’incompréhension qui me traverse est trop fort pour que je puisse le traduire en musique. Je n’ai même pas le cœur à courir.

Les larmes aux yeux, je pousse la porte du club. L’air frais du soir me frappe en plein visage et m’aide à reprendre mes esprits. J’ai l’impression de sortir d’une caverne dans laquelle je serais restée enfermée pendant des siècles.

Comment ai-je pu croire un seul instant qu’un homme tel que Raphaël Warren, riche, beau, charismatique et si sexy, puisse s’intéresser à moi, June Sachs, une petite pianiste classique fraîchement débarquée à New York, championne du monde de la gaffe et légèrement intimidée par le monde entier ? La question m’assaille, bientôt suivie par d’autres interrogations, qui me tombent dessus en rafale. Comment a-t-il pu parvenir à me donner l’illusion qu’il appréciait un tout petit peu ma compagnie ? Pourquoi pousser la cruauté jusqu’à m’inviter à un concert et me planter pendant toute la durée du show ? Qui est cette fille avec laquelle il semble si complice ? Comment ai-je pu être aussi naïve, moi qui n’ai pourtant jamais été très portée sur les contes de fées ?