Extraits

— Oh, mais tu fais erreur. Les mortels me fascinent, et cela, depuis toujours. Ils sont si fragiles et influençables. Prêts à trahir au moindre prétexte. En tant qu'esprit supérieur vagabondant sans enveloppe charnelle après ma mort humaine, il y avait plein d'expériences que j'enviais, que je jalousais. Et je ne pouvais les revivre qu'à condition de me trouver un corps. Le sexe, parmi bien d'autres choses en fait partie. Alors, pourquoi s'en priver ?

— Vous enviiez les Hommes ?

— Vous ne savez pas quelle chance vous avez. Votre existence limitée sur Terre fait que chacune de vos expériences est unique. Vous vivez l'instant présent, car vous ne savez pas de quoi sera fait le jour suivant. Accident, maladie, vieillesse. Vous foncez, peu importe les conséquences, et c'est ce qui fait de vous des êtres influençables, vous n'avez pas le droit à l'erreur...

La voix basse et posée de Richard m’indiquait ce que je devais faire en pensée. J’étais un arbre, et mes bras, les branches. Je devais faire en sorte que tout mon être devienne dur comme du bois et mes pieds ses racines. Cette sensation était en effet très relaxante. Ensuite, Richard me demanda de me concentrer sur le bout de mes doigts.

Je perçus un léger picotement les parcourir, puis une douce chaleur glissa le long de mes mains et de mes bras, comme si une rivière chaude se déversait à l’intérieur de moi, et les picotements s’intensifièrent, mais je ne paniquai pas.

Ce flux commença par envahir la totalité de mon corps et je le sentis traverser mes pieds, à présent. Mais loin de s’y arrêter, il poursuivit son chemin par de là ma chair et, comme une continuation de moi-même, l’énergie s’insinua dans les végétaux, la terre, les insectes rampants. L’énergie remonta le long des milliers de tiges de plantes, de brins d’herbe nous avoisinant, puis s’engouffra dans les racines du cornouiller. Je pouvais percevoir la moindre partie de l’arbre, c’est comme si nous ne faisions plus qu’un, la nature et moi. Tout était relié, l’énergie roula jusqu’aux extrémités des branches nues de l’arbre.

Cette perception de vie que je pouvais désormais ressentir, me donna envie de pleurer, non pas de chagrin, mais d’un sentiment que je n’arrivais pas à gérer tant il était intense.

Je sentis une double tape sur mon épaule gauche.

— Eh bien, tu vois, ce n’était pas si dramatique. La prochaine fois, s’il te plaît, arrête de paniquer, je ne m’entends plus réfléchir.

Je me retournai, étonnée. Caleb me passa devant.

— Quoi ? Je n’ai rien dit !

— Non, mais tu l’as pensé. Trop fort.

Caleb continua son chemin ainsi que Daniel alors que j’avais stoppé net.

Pouvait-il réellement lire dans mon esprit ? J’avais lu un passage sur le sujet dans un des guides d’Olivier, mais je ne l’avais pas pris au sérieux du tout.

Oh, mon Dieu ! Ce n’est pas possible, pitié, tout mais pas ça !

— Mais comment… ?

Puis, je les rattrapai en accélérant le rythme, car l’embarquement n’allait pas tarder.

Une fois de plus, je me sentais violée dans mon intimité. Je n’étais même plus en sécurité dans ma propre tête. Il fallait que je lui demande s’il pouvait vraiment m’entendre ou s’il avait juste remarqué que je n’étais pas très à l’aise et m’avait simplement chambrée. Hum… Caleb, dire des blagues. Je ne pensais pas que l’humour fasse partie de ses qualités. Qu’avait-il de positif hormis son caractère de chien et sa façon de m’énerver pour rien ?

Je voulais juste sortir de cette maison et fuir le plus loin possible pour tout recommencer en oubliant le passé.

Était-ce réalisable ? Pouvais-je effacer ces deux dernières semaines de mon esprit, en étais-je capable ?

Assise en tailleur sur le lit avec mon oreiller posé sur les genoux, je fixai le miroir contre le mur. Mes joues rougies et humides faisaient ressortir mes yeux clairs, mes longs cheveux châtain retombaient sur mon buste.

Cette expression, ce regard, ça n’était plus moi, Leïla

Berger.

Je n’étais plus cette fille-là. J’étais en train d’observer une étrangère, une fugitive.