Extraits

Elle n'aimait pas cette façon de parler du corps. D'ailleurs, elle ne comprenait rien à ce qu'il racontait. Quand ils faisaient l'amour ensemble, il ne donnait pas du tout l'impression de tourner sans fin dans un gouffre ni d'être un prisonnier qui étouffe ! Pour Marie, le corps n'avait rien avoir avec un tombeau. C'était un assemblage naturel de chairs, d'os et de muscles, une écorce vivante et vibrante dont elle aimait précisément les frissons et les spasmes, les secousses et les séismes. Absolument tout le contraire d'un tombeau. Un berceau, une promesse, un instrument dont il fallait savoir se servir.

A travers cette simple image, Marie devinait un destin douloureux de femme et de mère accomplies et aussi une joie, une jubilation si fortes en son regard qu'elles compensaient toute l'affliction inscrite dans le corps.

Et ce n'est que longtemps, bien longtemps après, quand elle se trouva à Jérusalem et qu'elle put enfin pénétrer dans l'église, après son repentir nocturne, ce n'est que ce jour-là, en voyant dans l'église une icône identique, qu'elle sut qui était cette femme au deuil si lumineux. Et qu'elle apprit aussi son nom, identique au sien : Marie.

Notre mémoire est courbe. Qu’on la remonte ou la prolonge à l’infini, elle nous permet de rattraper ces bribes de passé qui subsistent sûrement devant nous autant que derrière nous.

Marie est dans la grotte d'un ascète ! Elle s'éloigne sur la pointe de ses pieds nus. Elle n'ose plus regarder dans la grotte. Le vieillard assis n'a pas bougé. Ses mains, sans doute en prière, sont figées devant l'invisible. Ses cheveux, longs et blancs recouvrent tout son dos. Pas le moindre bruit. Dans un coin, une planche de bois qui doit servir de lit .Une cruche, un pain noir à moitié rongé. Elle s'avance doucement vers l'orant, tout près de lui, sa main se pose sur l'épaule et ...

...plus rien ! Absolument rien ! Plus qu'un nuage de poussière humaine. Le corps s'est effrité d'un coup. La poussière, les particules d'un ascète émietté.