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Rats d'Opéra, lys du Rat Mort, mondaines frêles aux museaux de rongeurs, j'ai eu dans ma vie des ballerines impubères, des duchesses émaciées, douloureuses et toujours lasses, des mélomanes et des morphinées, des banquières juives aux yeux plus en caverne que ceux des rôdeurs de banlieue, et des figurantes de music-hall qui, à souper, versaient de la créosote dans leur Rœderer ; et j'ai même eu des insexuées des tables d'hôte de Montmartre et jusqu'à de fâcheuses androgynes. Comme un snob et comme un mufle, j'ai aimé les petites filles anguleuses, effarantes et macabres, le ragoût de phénol et de piment des chloroses fardées et des invraisemblables minceurs.
Comme un imbécile, j'ai cru aux bouches de proie et d'agonie, et, comme un niais, aux larges yeux de luxure d'un tas de petits êtres maladifs, alcooliques, cyniques, pratiques et solliciteurs. La profondeur des yeux et le mystère des bouches, la courtière en bijoux aux unes, la manucure aux autres les fournissait avec les eaux de toilette, les savons et les fards ; et Fanny l'éthéromane, remontée tous les matins par un savant dosage de kola et de coca, ne mettait d'éther que sur ses mouchoirs.
Afficher en entierD’ailleurs, M. de Phocas ne semblait pas m’apercevoir, daignait-il seulement ? De bout près de ma table de travail, il hanchait légèrement dans une pose pleine de grâce et, de l’extrémité de sa canne, – un jonc d’au moins dix louis, dont la pomme, un ivoire vert d’un travail bizarre, me requérait, immédiatement, – du bout de sa canne donc, M. de Phocas feuilletait un manuscrit posé parmi des papiers et des livres et le lisait de haut, négligemment.
C’était odieux, intolérable et d’une parfaite impertinence.
Ce manuscrit, ces pages de prose ou de vers, ces notes et ces lettres, cette œuvre et mon œuvre en somme remuée du bout de sa badine, dans l’intimité de mon home, par ce visiteur curieux et indifférent ! J’étais à la fois indigné et ravi, indigné de l’acte, mais ravi de son audace, car j’aime et j’admire l’audace en toutes choses et en qui que ce soit.
Afficher en entierDes yeux qui ont longtemps regardé la mer ! . .
oh! les yeux clairs et lointains des matelots, les yeux d'eau salée des Bretons, les yeux d'eau douce des mariniers, les yeux d'eau de source des Celtes, les yeux de rêve et de transparence infinie des riverains des fleuves et des lacs, les yeux qu'on retrouve parfois dans les montagnes.
Afficher en entierÉtroitement moulé dans un complet de drap vert myrte, cravaté très haut d'une soie vert pâle et comme sablée d'or, M. de Phocas était un frêle et long jeune homme de vingt-huit ans à peine, à la face exsangue et extraordinairement vieille, sous des cheveux bruns crespelés et courts.
Ce profil précis et fin, la raideur voulue de ce long corps fluet, l'arabesque (si je puis m'exprimer ainsi), l'arabesque tourmentée de cette ligne et de cette élégance, j'avais déjà vu tout cela quelque part.
Afficher en entierEst-ce pour m'être trop complu dans l'eau froide des joyaux que mes prunelles ont pris cette clairvoyance atroce ? La vérité est que je souffre et meurs de ce que ne voient pas les autres et de ce que, moi, je vois!
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