Extraits

C'était un quartier ancien, sauvé du quasi-délabrement et destiné à un sort meilleur jusqu'à ce que la récession y mette un frein, laissant une grande partie des b‚timents réhabilités à demi occupés. Cinq ans auparavant, elle n'aurait pu se permettre d'habiter là, mais à présent, la plupart des sociétés immobi- lières proposaient des conditions intéressantes. L'appartement de Ruth était un simple studio, un grand séjour avec une mezzanine pour dormir. Son contrat de location le quali-fiait de loft, ce qu'il n'était pas, selon les critères de New York. Elle ôta ses chaussures d'un coup de talon et alluma, réglant l'éclairage assez bas pour qu'il se substitue peu à peu au jour déclinant. Puis elle se prépara dans la cuisine une tisane qu'elle rapporta sur le divan. Elle n'avait rien envie de manger, bien qu'elle n'e˚t pas achevé son déjeuner.

Toujours à jouer les médiateurs, hein, Rosemary ? Si Alicia a un problème psychologique, ça ne me concerne pas. - Tu dois comprendre une chose, dit Rosemary. C'est que certaines des filles t'envient. Moi-même, je t'envie, quelquefois.

? Est-ce que quelqu'un savait ? Devant elle, deux employés de la crèche, au sous-sol du b‚timent, poussaient un chariot lesté de huit jeunes enfants, et deux autres faisaient mine de les aider. Pour une fois, elle ne sourit pas en les croisant.

Juste un des hommes de la sécurité qui passait avec un plateau, un grand type, lourd et lent, quasiment invisible avec sa chemise bleue et son trousseau de clés, puis elle s'aperçut que c'était bien le gardien que Jennie regardait. Elle ne pouvait pas se tourner à nouveau. Pas tout de suite.

Mieux valait éviter de prendre trop de recul pour considérer votre propre place au sein de tout cela. C'était la même que celle de tout le monde. Vu à une certaine distance, vous n'étiez personne.

La petite lumière rouge du téléphone clignotait : une série de messages l'attendaient au standard. Elle souleva et reposa aussitôt le combiné afin de l'éteindre, jeta la boîte de soda de la veille, et dressa un bref état des lieux. Une femme au travail, voilà ce qu'elle voyait. Et si c'était ce qu'elle voyait, n'importe qui devait le voir également.

Entrée dans son bureau, elle jeta son manteau sur le dossier de sa chaise, mit l'ordinateur en marche et prit dans son panier le courrier qui lui était destiné, pour le glisser aussitôt dans un tiroir. Rosemary apparut au-dessus de la paroi sépa-rant les deux bureaux contigus.

Les anciens placages de marbre, nettoyés et polis, montaient à présent jusqu'à la verrière. Il y avait une fontaine intérieure garnie de verdure, et un personnel de sécurité aux aguets s'assurait que cet espace public n'attirait pas un public indé-sirable. Mais, généralement, les gens restaient à l'extérieur, et l'endroit demeurait désert.

Ce n'étaient que larges rues presque sans piétons, contrairement à ces autres quartiers qui rappelaiew à Ruth son pays - son vrai pays, pas celui qu'elle s'était inventé ici. Ces rues qui lui rappelaient son pays avaient des trottoirs de brique plantés d'arbres et des rangées de maisons bien alignées, un peu en retrait.

Ruth conduisait une Pontiac 6000, sa deuxième voiture américaine en dix ans. Une fois l'air renouvelé, elle remonta les glaces et mit en marche la climatisation. Elle alluma l'autoradio. La circulation était dense, mais régulière. Ruth avait une réunion à onze heures et demie. Ce serait juste mais, logiquement, elle devait y arriver à temps.