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Chez Nietzsche, jamais le rapport essentiel d’une force avec une autre n’est conçu comme un élément négatif dans l’essence. Dans son rapport avec l’autre, la force qui se fait obéir ne nie pas l’autre ou ce qu’elle n’est pas, elle affirme sa propre différence et jouit de cette différence. Le négatif n’est pas présent dans l’essence comme ce dont la force tire son activité : au contraire, il résulte de cette activité, de l’existence d’une force active et de l’affirmation de sa différence. Le négatif est un produit de l’existence elle-même : l’agressivité nécessairement liée à une existence active, l’agressivité d’une affirmation. Quant au concept négatif (c’est-à-dire la négation comme concept), « ce n’est qu’un pâle contraste, né tardivement en comparaison du concept fondamental, tout imprégné de vie et de passion ». À l’élément spéculatif de la négation, de l’opposition ou de la contradiction, Nietzsche substitue l’élément pratique de la différence : objet d’affirmation et de jouissance. C’est en ce sens qu’il y a un empirisme nietzschéen. La question si fréquente chez Nietzsche : qu’est-ce que veut une volonté, qu’est-ce que veut celui-ci, celui-là ? ne doit pas être comprise comme la recherche d’un but, d’un motif ni d’un objet pour cette volonté. Ce que veut une volonté, c’est affirmer sa différence. Dans son rapport essentiel avec l’autre, une volonté fait de sa différence un objet d’affirmation. « Le plaisir de se savoir différent », la jouissance de la différence : voilà l’élément conceptuel nouveau, agressif et aérien, que l’empirisme substitue aux lourdes notions de la dialectique et surtout, comme dit le dialecticien, au travail du négatif. Que la dialectique soit un travail et l’empirisme une jouissance, c’est les caractériser suffisamment. Et qui nous dit qu’il y a plus de pensée dans un travail que dans une jouissance ? La différence est l’objet d’une affirmation pratique inséparable de l’essence et constitutive de l’existence. Le « oui » de Nietzsche s’oppose au « non » dialectique ; l’affirmation, à la négation dialectique ; la différence, à la contradiction dialectique ; la joie, la jouissance, au travail dialectique ; la légèreté, la danse, à la pesanteur dialectique ; la belle irresponsabilité, aux responsabilités dialectiques. Le sentiment empirique de la différence, bref, la hiérarchie, voilà le moteur essentiel du concept plus efficace et plus profond que toute pensée de la contradiction.
Afficher en entierNous ne trouverons jamais le sens de quelque chose (phénomène humain, biologique ou même physique), si nous ne savons pas quelle est la force qui s’approprie la chose, qui l’exploite, qui s’en empare ou s’exprime en elle. Un phénomène n’est pas une apparence ni même une apparition, mais un signe, un symptôme qui trouve son sens dans une force actuelle. La philosophie tout entière est une symptomatologie et une séméiologie. Les sciences sont un système symptomatologique et séméiologique. À la dualité métaphysique de l’apparence et de l’essence, et aussi à la relation scientifique de l’effet et de la cause, Nietzsche substitue la corrélation du phénomène et du sens. Toute force est appropriation, domination, exploitation d’une quantité de réalité. Même la perception dans ses aspects divers est l’expression de forces qui s’approprient la nature. C’est dire que la nature elle-même a une histoire. L’histoire d’une chose, en général, est la succession des forces qui s’en emparent, et la coexistence des forces qui luttent pour s’en emparer. Un même objet, un même phénomène change de sens suivant la force qui se l’approprie. L’histoire est la variation des sens, c’est-à-dire « la succession des phénomènes d’assujettissement plus ou moins violents, plus ou moins indépendants les uns des autres ». Le sens est donc une notion complexe : il y a toujours une pluralité de sens, une constellation, un complexe de successions, mais aussi de coexistences, qui fait de l’interprétation un art. « Toute subjugation, toute domination équivaut à une interprétation nouvelle. »
Afficher en entierLe joueur ne perd que parce qu'il n'affirme pas assez, parce qu'il introduit le négatif dans le hasard, l'opposition dans le devenir et le multiple.
Afficher en entierVoilà peut-être le plus profond de Nietzsche, la mesure de sa rupture avec la philosophie, telle qu’elle apparaît dans l’aphorisme : avoir fait de la pensée une machine de guerre, avoir fait de la pensée une puissance nomade. Et même si le voyage est immobile,même s’il se fait sur place, imperceptible, inattendu, souterrain, nous devons demander quels sont nos nomades aujourd’hui, qui sont vraiment nos nietzschéens ?
Afficher en entierLa volonté (volonté de puissance) est l'élément différentiel de la force. Il en résulte une nouvelle conception de la philosophie de la volonté ; car la volonté ne s'exerce pas mystérieusement sur des muscles ou sur des nerfs, encore moins sur une matière en général, mais s'exerce nécessairement sur une autre volonté. Le vrai problème n'est pas dans le rapport du vouloir avec l'involontaire, mais dans le rapport d'une volonté qui commande à une volonté qui obéit, et qui obéit plus ou moins.
Afficher en entierCe qu'on nous présente comme le maître, c'est l'idée que s'en fait l'esclave, c'est l'idée que l'esclave se fait de soi-même quand il s'imagine à la place du maître, c'est l'esclave tel qu'il est, lorsqu'il triomphe effectivement.
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