Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
714 915
Membres
1 014 274

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Ajouter un extrait


Liste des extraits

Au centre de la bagarre, un type qu'elle ne connaissait pas, bizarrement vêtu. Un peu plus grand que les autres, plus puissant aussi. Difficile de dire s'il était beau à cause du ridicule bonnet qu'il portait sous sa capuche, mais il avait de la prestance, du charisme. Impossible de ne pas le remarquer; il suffisait ensuite de le détailler pour être irrésistiblement attirée. Ce regard bleu clair, tranchant,unique. C'était peut-être ce qui venait de tout faire basculer en elle. Ou juste un geste. Parfois, les années passent, le corps se transforme; mais un geste reste. Juste ça; un infime mouvement de l'épaule, un hochement de tête, un froncement de sourcil qui renvoie a des souvenirs - et tout resurgit. C'était précisément ce qui venait de se produire en elle. Puis les éléments étaient venus s'accumuler en cascade, jusqu'aux infimes détails physiques dont elle avait fait l'inventaire pendant toute son adolescence.

C'était LUI. Ça ne pouvait être que LUI.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Et autre chose qui ressemblait à une vielle blessure d'amour-propre. Avec un arrière-goût amer de revanche, une envie jamais assouvie qui s'enlise et fini par prendre la forme d'une rencoeur indélébile. Comment peut-on aimer et haïr, en quelques instants, quelqu'un que l'on a pas vue depuis deux ans et que l'on croit avoir oublié?

Afficher en entier

Des cris étouffés montèrent de la foule, vite réprimés par les Pathologus en faction. L'un d'eux se précipita dans une des sections, fendit brutalement la masse humaine pétrifiée et bouscula un homme qui venait de prendre son enfant dans les bras pour enfouir le visage du petit dans son cou.

– Il doit regarder, récita le Pathologus.

– Laissez-le tranquille, répondit le père en serrant son fils contre lui un peu plus fort. Même pour nous, c'est insupportable.

Le Pathologus saisit l'enfant par les cheveux et l'obligea à relever la tête vers un écran.

– Ouvre les yeux, ordonna le Pathologus.

Le père le repoussa brutalement et la mère s'interposa.

– Il n'a même pas sept ans ! cria-t-elle. Il n'a pas besoin de voir ces horreurs.

Le Pathologus la frappa au visage de sa main gantée. La femme hurla de douleur et porta la main à sa joue ensanglantée. Lorsqu'elle la retira, un P entaillait profondément la peau. Le Pathologus ne laissa pas le temps au père de réagir : il braqua sur la tête du petit la lettre maléfique brodée sur son gant.

– Qu'il ouvre les yeux. Maintenant.

La mère se jeta sur lui en hurlant.

– Sois maudit ! Toi, ton Prince et tous les tiens !

Le Pathologus la repoussa violemment. Un flux rouge échappé de son gant enveloppa la femme qui s'effondra sur le béton. L'homme tomba à genoux devant le corps inanimé, sans lâcher son enfant. La foule répondit aux hurlements par d'autres cris, plus confus et stridents. Elle recula, poussa, ouscula, et bientôt l'élan se propagea à l'ensemble de la section. Comme sous l'effet d'une onde de choc, la foule entière se mit à se mouvoir et l'estrade elle-même vacilla. Lavinia et sa sœur se cramponnèrent aux rambardes et Cal Van Asche, le bras armé du Prince Noir, chef militaire impitoyable et brutal, hurla des ordres à ses hommes.

– Maîtrisez-les !

Les Pathologus sortirent leurs armes, et les corps se mirent à tomber au milieu des hurlements. La panique ne fit qu'accentuer la débâcle et la puissance du mouvement de masse. L'estrade pencha dangereusement, puis céda dans un grondement avant de se retourner sur les plus proches, tandis que d'autres tentaient d'échapper à une mort certaine sous les coups des Pathologus ou le piétinement de la foule hystérique. Lavinia et Evguenia ne tardèrent pas à se frayer un chemin hors de ces meutes incontrôlables. Van Asche était sur l'estrade éventrée, fouillait parmi les débris et les corps et aboyait des consignes. En quelques enjambées, il les rejoignit.

– Le second médecin ! Où est-il ?

Le visage de Lavinia se durcit. Dieu merci, leur maître n'était pas présent, la voix n'était qu'un enregistrement. Elle envisagea cependant de devoir annoncer à son amant qu'un des deux condamnés avait profité de la débâcle pour disparaître. Elle en frémit. Elle scruta la foule qui courait en tous sens. Une pluie fine et froide s'était mise à tomber. Bientôt, elle serait torrentielle et compromettrait toute recherche.

– Combien de complices potentiels se cachent parmi eux pour couvrir sa fuite ? murmura-t-elle, furieuse.

Van Asche ne l'épargna pas.

– Il suffirait pourtant que la population soit tenue d'une vraie main de fer, et qu'on lui fasse suffisamment peur, pour éviter ce genre de désagrément. Lavinia ignora la pique. Evguenia et elle étaient effectivement les « ministres de l'intérieur » du pouvoir instauré par le Prince Noir. Et si faire régner la terreur était une mission, elles s'en acquittaient parfaitement.

Van Asche se tourna vers ses hommes.

– Bloquez toutes les issues de la place. Et retrouvez le fuyard !

Le chef du groupe répéta les ordres dans le micro intégré à son casque et les Pathologus s'éparpillèrent. Van Asche rameuta d'autres soldats.

– Inutile, l'arrêta Lavinia. Il est certainement déjà loin... mais pas assez pour nous échapper.

– Tuons-en un autre, suggéra froidement Evguenia. On a des centaines d'anciens médecins sous la main.

– Non, intervint Van Asche. Celui-ci sera exemplaire. On ne peut pas perdre la face devant tous ces abrutis. Retrouvez-le.

– La population n'osera pas le cacher, réfléchit Lavinia à haute voix. Sauf...

– Sauf ?

– Sauf les Médicus. Repentis ou pas.

– J'ai déjà suggéré au Prince Noir de les supprimer. Tous, jusqu'au dernier. Ils ne se plieront jamais à ses ordres – jamais complètement.

– S'il ne l'a pas décidé, trancha Lavinia, c'est qu'il a de bonnes raisons.

– Alors qu'est-ce que tu suggères, toi qui le connais si bien ? rétorqua Van Asche.

– Se servir du seul homme susceptible de faire plier les Médicus, répondit la jeune femme avec un sourire méprisant pour Van Asche.

Evguenia mit un terme à l'affrontement qui s'annonçait.

– Je sais où il est. Rentre, dit-elle à sa soeur en gardant l'oeil sur Van Asche. Je me charge de le prévenir.

Afficher en entier

La foule posa un genou à terre comme un seul homme.

– Relevez-vous, ordonna la voix.

Sally se redressa sans quitter des yeux le second accusé – ou le second condamné, comme le pressentait Jeremy. Les mots du Prince Noir retentirent plus fort encore.

– Vous connaissez tous la Loi, celle que j'ai érigée en principe et qui a mis un peu d'ordre dans votre vie. Et vous connaissez ce qu'il en coûte de s'y opposer. Pour chaque faute commise, c'est une population entière qui paie. Vous devez apprendre le sens de la responsabilité collective.

Sally retint une envie de rire. Rire pour ne pas hurler. Depuis quelque temps, c'était la réaction nerveuse qui la dominait lorsque la télévision, la radio ou les sirènes lui imposaient les discours illuminés du Prince Noir. La Loi qui a mis un peu d'ordre dans votre vie. Par moment, Laszlo Skarsdale possédait incontestablement une forme d'humour. Au moins, cette Loi imposée par la force avait-elle mis un peu d'ordre dans son cerveau perturbé, apaisé les rancoeurs accumulées depuis l'enfance et satisfait son besoin de pouvoir et de vengeance. Car comme tous les Médicus, Sally avait appris le passé terrible qui liait le Prince Noir et Winston Brave – jusqu'à la marque infligée sur sa tempe. Un M indélébile et douloureux qui lui rappellerait pour toujours ses origines, avant que la revanche et la haine ne le happent.

– Ces hommes ont violé la Loi. Ils l'ont fait sciemment, et de ce fait vous ont mis en danger. J'aurais pu accepter qu'ils cherchent à me tromper en exerçant illégalement leurs pratiques...

– Ça s'appelle la médecine, murmura Jeremy entre ses dents. Ils ont juste essayé de faire ce à quoi ils ont consacré leur vie : soigner et guérir leurs prochains.

– ... Mais bafouer les règles de vie collective et vous mettre en danger, je ne l'accepte pas et je ne l'accepterai jamais.

Le message était clair : ces deux médecins allaient payer, mais la menace valait pour tous. Une punition exemplaire. Le silence s'installa à nouveau, pesant de tout son poids sur les épaules des deux condamnés. Personne – pas même eux – n'avait le moindre espoir de les voir graciés.

La femme brune écarta brutalement le bourreau et s'approcha du premier médecin. Elle le toisa avec délectation comme un fauve contemple sa proie. Barth se crispa. La vision de cette femme venait de raviver la douleur électrique dans le haut de son dos, une douleur qui l'étreignait parfois et le quittait aussitôt sans prévenir. D'un geste mécanique, il passa la main sur sa cicatrice en forme de P, en bas de la nuque, puis sur celle, apaisante, du M dessiné sur son torse. Les deux marques semblaient s'affronter à travers son corps – fragile équilibre entre le bien et le mal.

– Vas-y, Lavinia Ciguë. Fais-toi plaisir, cracha-t-il d'une voix presque inaudible, le regard noir. Un jour, tu paieras pour tes crimes. Ce jour-là, je serai là.

Lavinia se retourna, comme si les mots avaient traversé l'esplanade pour parvenir à ses oreilles. Elle scruta la foule, fixa un instant le visage d'un jeune homme plus grand que les autres, plissa les yeux, puis renonça à fouiller dans sa mémoire et se concentra sur sa victime. Elle fit un pas vers le médecin. Le malheureux eut un mouvement de recul et tomba à genoux, mains jointes, implorant son salut sans qu'un mot puisse sortir de sa gorge. L'autre médecin l'empoigna sans ménagement et l'obligea à se ressaisir.

– Ne leur offre pas ça, dit-il, toisant leur tortionnaire avec mépris.

Le premier redressa alors sa tête tremblante et tenta d'affronter Lavinia. Elle ricana, plongea dans son regard effrayé et disparut de l'estrade au milieu d'un éblouissement pourpre. Le médecin baissa les yeux sur son propre corps, livide : ce démon venait de l'envahir, au sens littéral du terme. Il était paralysé par la peur et par l'insoutenable attente du pire. Ses traits se contractèrent, et ses mains saisirent sa tête. Ses phalanges se replièrent comme les pattes d'une araignée qui agonise et ses ongles s'enfoncèrent dans son crâne. Ses yeux se mirent à rouler dans tous les sens, il ouvrit la bouche démesurément et un hurlement trop longtemps retenu s'échappa, glaçant la foule tétanisée. Le médecin s'écroula sur le sol comme si ses os avaient fondu et fut pris de convulsions sur l'estrade. Il avait cessé de crier. Seuls ses traits déformés, en gros plan sur tous les écrans, son souffle coupé et les veines gonflées de son cou trahissaient sa souffrance. D'ultimes spasmes agitèrent son corps martyrisé de l'intérieur, puis tout cessa. Il gisait comme un pantin désarticulé, la tête exagérément penchée vers l'arrière, les yeux vitreux.

Afficher en entier

Les sirènes se mirent à hurler.

Sally se crispa et refusa de lever les yeux de son travail.

Oublier, voilà ce qu'il fallait faire. Oublier les sirènes. Oublier la milice pathologus qui circulait en permanence, vous surveillait, débarquait dans les maisons, terrorisait les gens. Tout le monde avait déjà vécu cette expérience au moins une fois, chez un voisin, ou – pire – chez soi. C'était une intrusion forcée, des portes enfoncées, puis l'immeuble entier résonnait de supplications suivies de cris de douleur et de détresse, enfin des bottes claquaient à nouveau dans la cage d'escalier et c'était fini. Les gémissements étouffés s'éteignaient comme la nuit qui tombe lentement, tandis que tous les voisins retenaient leur souffle et tentaient d'ignorer la souffrance des victimes. Un silence de mort envahissait alors les appartements et les âmes. Puis, un autre jour, jamais lointain, tout recommençait dans le même immeuble ou un immeuble proche. Et lorsque l'on croisait le regard vide et les mines défaites de la famille martyrisée, on baissait les yeux et on passait son chemin, impuissant, sans un mot de réconfort. Quel réconfort ?

– Sally, tu n'as pas entendu ? Viens.

Sally se redressa.

– Cette fois j'y vais pas.

– Ne sois pas stupide et dépêche-toi.

– Pourquoi ? demanda la jeune fille. Pourquoi t'y vas, toi ? Et maman ? De quoi vous avez peur, hein ? De mourir ? Moi, je préfère encore crever plutôt que continuer comme ça !

Elle avait crié sans s'en rendre compte. Elle regretta immédiatement son agressivité. Son père poussa un soupir.

– J'ai peur qu'on vienne m'arracher ma fille et qu'on l'emmène loin de moi, au Mont-Noir ou dans un autre endroit au bout du monde d'où elle ne sortira jamais. Voilà de quoi j'ai peur. Maintenant, viens.

Mr Bunker sortit de la chambre froide, voûté, sans attendre de réponse. Sally jeta son couteau sur la planche, essuya ses mains sur son tablier taché de sang, s'en débarrassa et suivit son père. Elle s'enveloppa dans un manteau arraché à la patère et s'arrêta sur le seuil de la boucherie.

Dehors, les habitants du quartier de Golden Crown marchaient d'un même pas automatique sur les trottoirs et la chaussée, bientôt rejoints par ceux de Babylon Heights, et convergeaient vers le même lieu. Des moutons, songea Sally. Voilà ce qu'ils sont, tous. Des moutons obéissants, terrifiés. Et je suis comme eux. Elle porta la main à son cou et caressa son médaillon de naissance. Depuis longtemps, elle ne sentait plus cette chaleur, cette énergie au contact du précieux bijou. Elle ferma les yeux et tenta d'imaginer le visage d'Ayden. Ces derniers temps, il lui était plus difficile de distinguer ses traits. Tu dois avoir honte de nous, de moi, de notre résignation. C'est peut-être pour ça que je ne sens plus ta présence contre moi. Elle claqua la porte, furieuse et impuissante.

Elle se mit à marcher, en retrait par rapport à ses parents. Elle regarda autour d'elle : elle était cernée d'adultes, de personnes âgées, d'enfants. Les plus jeunes pleuraient, les parents les tiraient derrière eux, sourds à leurs refus et à leurs larmes. Les personnes âgées avançaient, mues par ce qui ressemblait à leur dernière énergie. Une marche funèbre. Les visages étaient gris, les regards vides, les corps transparents. Sally reconnut le grand jeune homme devant elle – un des rares habitants de Pleasantville à avoir conservé une silhouette puissante et sa vitalité depuis que le Prince Noir avait soumis le monde à son pouvoir. Elle aussi faisait partie de ceux que les maladies incurables déclenchées par les Pathologus avaient épargnés, même si elle avait maigri et perdu de sa force. Barth se retourna et lui fit un signe, comme le garçon au visage émacié qui marchait à son côté. Sally accéléra le pas pour les rejoindre.

– Comment tu te sens ? demanda-t-elle à Jeremy.

L'aîné des O'Maley avançait d'un pas mal assuré. Plus petit que son cadet, il était plus maigre que jamais, fantomatique. Il lâcha le bras de son frère et se redressa tant bien que mal.

– Bien, dit-il avec empressement. Très bien. Ils n'ont pas réussi à se débarrasser de moi. Il faudra qu'ils reviennent faire un tour dans mon corps s'ils veulent vraiment m'anéantir.

Sally tenta de sourire.

– Ces salauds n'auront plus personne. Il ne faut plus se laisser faire.

Horrifiés, les gens réagirent comme si elle s'était rendue coupable d'un crime de lèse-majesté. Les regards effrayés fouillèrent la foule à la recherche d'un Pathologus qui aurait pu l'entendre, et s'écartèrent d'elle.

– C'est bien, renchérit Jeremy, avec ce genre de phrases suicidaires, on a tout de suite plus de place.

Sally chercha la lumière à travers les nuages qui s'accumulaient au-dessus de leurs têtes d'un bout à

l'autre de l'année. Une fois par jour, depuis presque deux ans, une pluie diluvienne s'abattait sur la ville, ruisselait des toits et dévalait les rues comme des torrents, charriant tout ce qui tentait de pousser dans ce qui avait été des « espaces verts ». Une cité morte, sinistre et grise comme les visages : voilà ce qu'était devenue la jolie ville de Pleasantville.

Afficher en entier

Deux ans. Deux ans qui semblaient plus longs qu'un siècle sous le joug du Prince Noir. Laszlo Skarsdale avait fait plier les Grands de la planète. Deux ans de cruauté, de crimes, de carnages. Les épidémies s'étaient succédé pour décimer les populations récalcitrantes. Le monde était moribond, exsangue, et seuls ceux qui s'étaient prosternés avaient survécu. Sally tenta en vain de retrouver des images du passé, avant l'avènement du tyran. Elle se forçait à répéter le même exercice tous les jours ; mais, chaque fois, c'était plus difficile, plus flou, plus lointain. L'éloignement du souvenir était aussi douloureux que ce qu'elle vivait au quotidien.

– Qui on juge, aujourd'hui ? demanda-t-elle.

– On juge ? s'esclaffa Jeremy. Pour parler de jugement,il faudrait une justice, un tribunal, des avocats...

Qui on condamne, tu veux dire...

Une fois de plus, les gens se retournèrent avec un air désapprobateur. Barth donna un léger coup de coude à son frère.

– Arrête, on va finir à l'OLP.

Jeremy se résigna. Leur récente expérience d'une nuit de garde à vue à l'Organisation locale du pouvoir était plus efficace que tous les arguments. Une nuit de terreur et de maltraitance pour avoir proposé à la vente de vieux stéthoscopes au Bazar. Leurs parents avaient tout tenté pour les en arracher et leur épargner les interrogatoires musclés et les épreuves physiques ; en vain. Au petit matin, Jeremy et Barth étaient ressortis hagards et à bout de forces, le premier dans les bras du second. Jeremy avait subi l'intrusion d'un virus mutant qui avait provoqué une hépatite fulgurante ;

Barth, lui, s'en était tiré avec une « simple » anémie par destruction d'une partie de ses Globull.

Ils cheminèrent à travers les rues comme des morts vivants. Les volets étaient fermés, les arbres nus dressaient leurs branches noueuses vers le ciel sombre. Longtemps, Sally s'était demandé ce qui avait changé dans la ville, au-delà de l'insoutenable tyrannie des Pathologus. Et un jour, alors qu'elle traversait un square transformé en marécage boueux, elle avait compris : les oiseaux avaient disparu. Il n'y avait plus le moindre pépiement, le moindre battement d'ailes dans toute la ville.

– Iris ? demanda simplement Jeremy.

– Aucune nouvelle depuis la semaine dernière, répondit Sally. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé.

– Non, la rassura-t-il. Les Pathologus ne sont pas assez fous pour prendre le risque de l'enfermer avec eux.

Ils débouchèrent sur une immense esplanade. De l'ancien parc qui séparait Babylon Heights de Golden Crown, il ne restait que cette gigantesque dalle de béton centrée par une estrade rouge à la place de l'ancien kiosque à musique. Les gens s'amassèrent docilement tout autour, en respectant des sections triangulaires tracées à la peinture rouge sur le béton. Le vent glacé soufflait par rafales et faisait ployer la population comme les herbes cendreuses d'un champ brûlé. À la périphérie de la place, des écrans géants s'élevèrent du sol pour que les plus éloignés puissent assister au spectacle.

Des hommes en noir et au col rouge sinuèrent entre les sections, dévisageant la foule avec attention.

Chacun s'employa à fuir leurs regards. Les sirènes se turent enfin. Sally regarda autour d'elle, comme chaque fois qu'elle finissait ainsi, immobile parmi les siens sur la place du Verdict. Le silence qui suivait la fin des sirènes était tellement profond, tellement parfait qu'il lui semblait toujours que tous avaient cessé de respirer. C'était presque vrai : en cet instant, on aurait préféré cesser de vivre.

Des silhouettes sombres et familières apparurent sur l'estrade : deux femmes – une brune aux allures de gitane et une blonde rigide – et un homme massif. Suivirent trois autres individus. Le premier portait une cagoule de bourreau. Les deux autres, têtes basses, étaient vêtus d'une blouse blanche maculée de rouge. Leur pas déjà hésitant se fit chancelant. Le bourreau les retint par le bras. L'un paraissait très amoindri, l'autre se redressa. Sally tourna la tête vers l'écran le plus proche et découvrit le visage du second homme en gros plan. Elle distingua une lueur dans ses yeux :

celle de la fierté, du courage. Et du refus. Elle se sentit en communion avec lui et se redressa, elle aussi. Mus par une sorte d'énergie communicative, Barth et Jeremy l'imitèrent. Tous trois fixèrent cet homme, comme si leurs regards avaient le pouvoir de le soutenir. L'image s'effaça brutalement et afficha longuement le visage défait et abattu de l'autre prisonnier.

Une voix grave et posée s'éleva de haut-parleurs invisibles, emplit l'espace et ricocha sur les immeubles lointains pour revenir comme un boomerang, telles mille voix identiques et glaçantes.

- Non, ne fais pas comme eux, se dit Sally, résiste.

Pourtant, comme tout le monde, et comme chaque fois, elle, Jeremy et Barth levèrent la tête et regardèrent de toutes parts, incapables de lutter contre l'envie de savoir d'où venait la voix d'origine et de découvrir son visage. Incapables de ne pas répondre à l'appel qu'ils abhorraient. L'écho les gifla.

– Vous êtes ici à la gloire de votre maître.

[page officielle d'Eli anderson, http://www.toslog.com/elianderson/2203/blogs/ELI-ANDERSON-OSCAR-PILL-CEREBRA-EXTRAIT-2]

Afficher en entier

Trouve le quatrième Pilier.

Retourne la terre s'il le faut, mais trouve-le, Oscar.

Et que la prophétie se réalise.

Afficher en entier

" - Tu as un plan ? souffla-t-elle.

- Ne bougez pas.

- D'accord. Tu n'as pas de plan. "

page 268

Afficher en entier

- Tu as un plan ? répéta Lawrence. Ça tu vois, c'est une mauvaise nouvelle.

- Moi, j'adore tes plans, trancha Valentine. Mais je ne vois pas d'ouverture dans la base du lys.

Oscar lissa la bordure argentée du tissu entre le pouce et l'index, et la cape y répondit par un scintillement.

- Depuis quand un Penetrans a besoin de portes ?

Afficher en entier

– Comment tu te sens ? demanda-t-elle à Jeremy.

L'aîné des O'Maley avançait d'un pas mal assuré. Plus petit que son cadet, il était plus maigre que jamais, fantomatique. Il lâcha le bras de son frère et se redressa tant bien que mal.

– Bien, dit-il avec empressement. Très bien. Ils n'ont pas réussi à se débarrasser de moi. Il faudra qu'ils reviennent faire un tour dans mon corps s'ils veulent vraiment m'anéantir.

Sally tenta de sourire.

– Ces salauds n'auront plus personne. Il ne faut plus se laisser faire.

Horrifiés, les gens réagirent comme si elle s'était rendue coupable d'un crime de lèse-majesté. Les regards effrayés fouillèrent la foule à la recherche d'un Pathologus qui aurait pu l'entendre, et s'écartèrent d'elle.

– C'est bien, renchérit Jeremy, avec ce genre de phrases suicidaires, on a tout de suite plus de place.

Sally chercha la lumière à travers les nuages qui s'accumulaient au-dessus de leurs têtes d'un bout à

l'autre de l'année. Une fois par jour, depuis presque deux ans, une pluie diluvienne s'abattait sur la ville, ruisselait des toits et dévalait les rues comme des torrents, charriant tout ce qui tentait de pousser dans ce qui avait été des « espaces verts ». Une cité morte, sinistre et grise comme les visages : voilà ce qu'était devenue la jolie ville de Pleasantville.

Afficher en entier

- Laissez-nous.

Une voix féminine et déterminée. Il remarqua le léger tremblement des jambes, les bottes et le pantalon trempé. Le geôlier s'éclipsa et verrouilla la porte. La femme vacilla alors et se rattrapa au mur ,une main crispée sur la poitrine, comme si elle ne pouvait plus dissimuler une douleur. La capuche tomba en arrière et le visage apparut dans le rai de lumière.

Winston Brave se précipita sur elle et la retint alors qu'elle tombait.

- Louise! murmura-t-il.

Afficher en entier

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode