Extraits

Elly

Je suis en enfer. Je dois être en enfer. Ou dans un endroit bien plus terrible, étant donné le degré de souffrance que j’endure. C’est comme si l’armée tout entière des lutins de Blanche-Neige, pioches sous le bras, tambourinait joyeusement contre mon crâne. Comme si mes paupières avaient été collées avec de la Super Glue. Comme si dans mon ventre, les Minions faisaient la ola. Je visualise un instant ces créatures débiles, avec leurs chorégraphies débiles, leurs chansons débiles, et je glousse bêtement.

Mauvaise idée…

Me voilà avec un hoquet dévastateur aux relents de vodka pomme. Ou de Long Island ? Ou de mojitos coco ?

Ignorance totale. Tout est flou.

J’ai l’impression de m’être transformée en bad girl . Moi, institutrice hyper responsable, à qui les parents confient leurs enfants sans y réfléchir à deux fois… Moi, Elly, la fille la plus sérieuse du monde – ou de New York, au minimum –, j’ai muté en nana à la gueule de bois carabinée, option cervelle de poisson rouge…

Dès le départ, j’ai halluciné quant à sa capacité prodigieuse à tout laisser traîner.

Le matin, par exemple. Elly doit s’enfiler au moins quatre cafés. Entre chaque tasse, elle fait des trucs, bien sûr. Elle se douche, elle relit un cours, elle court dans tous les sens… Bref, entre chaque shoot de caféine, elle égare sa tasse et en prend une autre. Et moi, je les retrouve toutes à des endroits incongrus. J’en ai même dégoté une sur le porte-savon, dans la baignoire, avant-hier.

Mon tapis ? C’est simple, on ne le voit plus. Il a été recouvert par ses manuels, ses préparations de cours.

Elly est un tourbillon dans ma vie bien ordonnée.

– Nous avons donc…, murmuré-je en rougissant, couché ensemble ?

Il se racle la gorge, baisse le visage, puis le relève pour plonger ses yeux dans les miens.

– En fait… Pour être tout à fait honnête…

– Oui ? le pressé-je, au supplice.

– Je ne me souviens de rien, moi non plus.

Quoi ? Ce type me traite comme une moins que rien, avec ses « Qu’est-ce que vous fabriquez dans ma chambre ? » alors que lui aussi a perdu la mémoire ?

– Vous plaisantez ? m’indigné-je. Vous me faites la morale, vous prenez votre petit ton supérieur alors que vous êtes dans la même situation que moi ?

– Pas vraiment ! Moi, au moins, je porte mes propres vêtements.

Jenny profite d’une seconde d’inattention de notre part et file vers Gus.

Ils se hurlent dessus. Les parents se hurlent dessus.

C’est l’horreur… qui devient un enfer quand le DJ décide d’en ajouter une couche en envoyant Where is the Love ? .

On l’a dégoté où, lui ? Comme si c’était le moment !

– Arrêtez cette musique ! crie une personne dans l’assemblée, qui tente de suivre la dispute entre Jenny et Gus. On n’entend rien !

Ashton

Quand nous pénétrons dans la salle de réception pour saluer les mariés, je passe un bras autour de ses épaules, histoire de nous donner un maximum de crédibilité.

– Prête à entrer en scène ? murmuré-je à son oreille.

Clin d’œil, hochement de tête farouche.

J’étouffe un rire. Le tempérament de feu que j’ai cru déceler en elle a l’air de refaire surface, et ça, j’apprécie !

Quand nous nous trouvons face au couple, je me concentre sur Gus, qui ouvre des yeux ronds en nous regardant avec une stupeur niaise.

Touché !

Et je ne peux résister au plaisir d’en remettre une couche en déposant un baiser sur le crâne d’Elly, avant de la laisser serrer Jenny dans ses bras.

– Félicitations ! lui dit-elle. Je suis très heureuse pour toi.