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** Extrait offert par Rachel Bailey **

-- Pour une nuit, pour une vie --

- 1 -

Au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, JT Hartley s’immobilisa, le cœur battant.

Il venait de l’apercevoir, là, à une dizaine de mètres seulement, plongée en pleine discussion avec l’hôtesse d’accueil. Comme elle se trouvait de dos, il eut tout loisir de l’observer. Elle avait manifestement renoncé à sa flamboyante crinière fauve et sauvage et opté pour un sage chignon. Avec la maturité, son corps de déesse semblait avoir gagné en volupté. Une silhouette de rêve que son tailleur couleur taupe de femme d’affaires semblait un peu comprimer. Une image du passé resurgit soudain, le frappant de plein fouet. Et aussitôt après, une vague de désir. Un désir qu’il s’empressa de refouler. Bientôt quatorze ans qu’elle s’était donnée à lui, pour la toute première fois.

Il sursauta lorsque Philip Hendricks, son avocat, qui se trouvait coincé derrière lui dans l’ascenseur, toussota avec un regard interrogateur. Tous deux avaient patienté une bonne heure, dans le parking de cette tour, en plein cœur de Manhattan, en attendant l’arrivée de Pia. Il avait en effet appris par l’une des secrétaires que cette dernière avait été absente pour cause de rhume et devait faire sa rentrée le jour même.

Il allait donc maintenant s’attaquer à la phase B de son plan et était déterminé à aller jusqu’au bout en exigeant cet argent qui lui revenait de plein droit. Relevant la tête, il s’éloigna de l’ascenseur et se dirigea vers Pia, ralentissant le pas au fur et à mesure qu’il approchait d’elle. Une fois à sa hauteur, il s’arrêta, la gorge nouée, juste derrière elle. Pour ainsi dire, à portée de main. Elle ne pouvait pas le voir car elle relevait ses messages auprès de l’hôtesse. Il nota sa voix encore un peu enrouée du rhume qui l’avait affectée, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un ton très professionnel.

Il la sentait si proche que les effluves de son parfum l’enveloppèrent. Un parfum de fleurs sauvages dont la note de fraîcheur ne couvrait pas son odeur. Il ferma les yeux, pris de vertige. Une image traversa son esprit. Celle de Pia chevauchant sa moto, son corps pressé contre le sien, le vent fouettant leur visage tandis qu’ils roulaient vers leur royaume secret, loin de la ville.

— Pia…, murmura-t-il, en état second.

Il n’avait pas imaginé lui faire autant d’effet. Elle sursauta, lâchant son stylo sous l’effet de la surprise, et pivota vers lui, bouche bée. Le temps sembla s’arrêter. Il se laissa aspirer par ses yeux d’un bleu mauve dont l’éclat lui demeurait familier, en dépit de toutes ces années. Elle s’agrippait au dossier qu’elle tenait entre ses mains comme s’il s’agissait d’une bouée, tandis qu’elle aurait été sur le point de se noyer. Il s’en fallut de peu qu’il n’efface d’une caresse la ride qui lui barrait le front. Mais il s’en abstint. N’étaient-ils pas aujourd’hui des inconnus, l’un pour l’autre ?

A côté de lui, la voix de Philip s’éleva.

— JT Hartley et Philip Hendricks. Nous souhaitons voir Pia Baxter. Nous n’avons pas rendez-vous.

Pia cligna deux ou trois fois des yeux, puis elle se tourna vers la réceptionniste, prête à fuir. Elle avait été informée de l’intention qu’il avait de contester le testament de son père biologique et elle avait refusé par cinq fois déjà de le recevoir. Il pouvait le comprendre, car ils ne s’étaient pas quittés dans les meilleurs termes, autrefois. Mais, résolu à rencontrer coûte que coûte l’exécuteur testamentaire de Bramson, il avait décidé de l’obliger à l’affronter en l’attrapant dès son arrivée au bureau, avant qu’elle ne s’y barricade.

— J’ai bien peur d’avoir un autre rendez-vous, dit-elle avec un sourire courtois, le regard méfiant. Mais si vous voulez étudier avec ma secrétaire la possibilité de…

— Nous serons brefs, madame Baxter, l’interrompit-il en lui adressant un large sourire.

Elle hocha lentement la tête avec un air condescendant, comme s’il n’était rien de plus qu’un simple client.

— Malheureusement, ce ne sera pas possible, là, tout de suite…

Que croyait-elle ? Qu’il était venu jusqu’ici pour se faire congédier de cette manière, sans demander son reste ? Lorsqu’il avait appris que son père biologique était un milliardaire célèbre, il était entré dans une colère noire. Sa mère et lui avaient vécu dans une grande précarité, en dessous du seuil de pauvreté, autrefois. Certes, aujourd’hui, le promoteur qu’il était devenu brassait des millions et il pouvait sans difficulté assurer à sa mère une existence confortable. Elle s’était sacrifiée pour lui offrir un avenir, c’était le moins qu’il pouvait faire pour elle. Là n’était pas le problème. Il considérait qu’elle méritait plus encore et il ne partirait pas avant d’avoir obtenu ce rendez-vous.

— Pia, dit-il avec calme. Je te le demande poliment.

Il sut qu’il venait de marquer un point en voyant son regard se troubler et à la manière dont elle enfonçait ses ongles dans le cuir de son dossier. Sans doute plongée en plein dilemme. Dans leur jeunesse, elle avait toujours eu toutes les peines du monde à lui refuser quelque chose… Jusqu’à ce qu’elle le quitte. Leur passé commun suffirait-il à la convaincre de le recevoir, aujourd’hui ? Il soutint son regard et parvint à la faire céder.

— Deux minutes. Suis-moi, soupira-t-elle.

Il lui emboîta le pas, le regard irrésistiblement attiré par le mouvement chaloupé de ses hanches, par la finesse de ses chevilles dans ses escarpins fauves… Et il fut soudain submergé par une vague de désir d’une puissance qu’il n’avait plus ressentie depuis…

Depuis elle.

Philip se pencha vers lui et chuchota à son oreille :

— Visiblement, vous vous connaissez déjà. Me cacherais-tu autre chose, à propos de toi et de Mme Baxter ?

Il se renfrogna. Il avait passé la moitié de sa vie à tenter d’effacer Pia de sa mémoire. A dix-sept ans, il s’était un temps noyé dans l’alcool, avant de se lancer dans la pratique de sports extrêmes. En vain. Rien n’avait fonctionné. Jusqu’à ce qu’il réussisse, à force de volonté, à verrouiller son esprit à tout ce qui touchait à elle, de près ou de loin. Alors, oui, il cachait beaucoup de choses à son avocat, et il n’y avait pas de raison pour qu’il en soit autrement. De toute façon, il n’était pas dans son caractère de faire des confidences. Par la faute de la femme qui marchait devant lui, il avait perdu toute confiance en ses semblables.

— Cela ne présente aucun intérêt, marmonna-t-il avec un haussement d’épaules.

— J’aurais dû m’en douter, dit Philip, tout sourires. Il n’existe pas une seule belle femme dans ce pays avec laquelle tu n’aies eu une histoire.

A un autre moment, JT lui aurait retourné son sourire, mais pas aujourd’hui. Et certainement pas au sujet de Pia. Le mot histoire ne suffisait pas à définir la relation complexe que tous deux avaient entretenue, adolescents. Une histoire, au sens où Philip l’entendait, évoquait une aventure sans lendemain et une liaison érotique. Rien qui puisse se comparer avec ce qu’il avait vécu avec cette femme, la seule qu’il ait jamais aimée, lorsqu’il était trop jeune encore pour comprendre la folie de tout cela.

— Pourquoi ai-je le sentiment d’être ici pour servir de bouclier humain, plus que pour exercer mes talents d’homme de loi ? insista lourdement Philip à voix basse.

JT ne prit même pas la peine de répondre. Devant lui, Pia venait de pénétrer dans un bureau à la décoration minimaliste, tout de chrome et de verre. Un cadre à l’opposé de ce qu’il aurait imaginé pour la Pia sensuelle de son adolescence. Cela ne lui ressemblait pas. Il l’observa avec attention. Son corps était celui d’une femme épanouie, mais elle donnait l’impression de vouloir contenir cette plénitude sous un tailleur ultra-strict, à la veste dénuée de fantaisie et la jupe à hauteur de genou. Puritaine jusque dans ce chignon austère et ce rouge à lèvres terne. Elle semblait avoir banni l’aspect flamboyant de sa personnalité. Qu’avait-elle fait de ses longs cheveux aux riches nuances de feu qui jadis retombaient en cascade sur ses épaules ?

A cet instant, il remarqua qu’elle le dévisageait, visiblement contrariée. D’instinct, il se fit charmeur.

— Merci de nous recevoir, dit-il avec son plus beau sourire.

Elle prit place à son bureau et les invita à s’asseoir d’un geste impatient.

— Je ne comprends pas l’utilité de cet entretien, JT. Comme je l’ai déjà expliqué à ton avocat, chaque fois qu’il a sollicité un rendez-vous.

JT s’installa confortablement dans son fauteuil, jambes croisées.

— Tu es l’exécutrice testamentaire de mon père. Nous devrions de ce fait nous découvrir quelques sujets communs de discussion…

— M. Hendricks m’a informée de ton intention de contester les dernières volontés de Warner Bramson, expliqua-t-elle, manifestement peu impressionnée par ses déploiements de charme. Je ne peux que te conseiller de déposer une plainte.

Et le tribunal lui donnerait raison, forcément. Et il obtiendrait sa part de la fortune Bramson mais, d’ici là, il voulait des réponses à certaines questions.

Il toussota et s’enjoignit de garder son calme afin de ne pas la brusquer maintenant qu’il avait obtenu cette discussion tant attendue.

— Comment les fils Bramson prennent-ils mon intervention ?

— Et si tu posais directement cette question aux personnes concernées ? dit-elle, l’air absent. Tu comprendras, j’en suis certaine, que d’un point de vue déontologique il me soit difficile de discuter de cela avec toi.

— Le problème, c’est que mes frères refusent de me rencontrer.

Ce qui compliquait les choses. Car il devait en avoir le cœur net, pour la suite. Si ses « frères » parvenaient à faire la preuve que leur père connaissait l’existence de ce fils illégitime, JT perdrait son procès. Cela signifierait en effet que Bramson avait délibérément omis de l’inclure dans son testament. Si tel était le cas, il voulait le savoir dès à présent.

Elle esquissa un sourire pincé.

— Légalement, nous ne pouvons les désigner comme tes frères, le reprit-elle. Rien ne prouve que tu sois le fils de M. Bramson.

Ainsi, elle ne le croyait pas. Des années plus tôt, tandis qu’ils étaient dans les bras l’un de l’autre, combien de fois avaient-ils évoqué ce père inconnu, essayant de mettre un nom, un visage sur l’absent, président, gangster ou magnat de la finance… Et, aujourd’hui qu’il connaissait la vérité, elle refusait de le croire. C’était comme si elle venait de lui planter un couteau dans le dos. Il serra les dents sous le coup de la douleur, mais se composa un visage impassible.

— Ma parole ne vaut donc rien pour toi, Pia ?

Autrefois, en dépit du fossé qui les séparait, elle, la princesse de la ville, et lui, le garçon des cités, elle avait été la seule à lui accorder sa confiance. Apparemment, les choses avaient bien changé. Autant qu’il retienne la leçon : rien ne durait jamais.

— Cela n’a rien de personnel, dit-elle avec une indifférence manifeste, ses joues néanmoins rosies. Il s’agit d’une affaire de nature strictement juridique.

Il posa les deux pieds au sol et se pencha sur son siège.

— Bien. Mon père supposé étant décédé, et mes frères présumés refusant de fournir un échantillon ADN, tu comprendras que j’aie le plus grand mal à faire la preuve d’une filiation.

— A toi et à ton avocat de déposer une requête auprès du tribunal, qui sera seul apte à juger de sa recevabilité. A présent, si vous voulez bien m’excuser…, fit-elle en se levant, je suis déjà en retard pour mon rendez-vous… prévu de longue date, celui-là.

Il ne broncha pas.

— Une dernière question et je m’en vais.

Elle les observa tour à tour d’un air agacé.

— Je crois m’être montrée suffisamment claire, dit-elle entre ses dents, manifestement tendue. Si tu as d’autres questions, formule-les par écrit, mon assistant ou moi-même ferons en sorte d’y répondre.

— Une question, une seule, insista-t-il, sans bouger de son fauteuil.

Elle soutint son regard, ouvrit la bouche pour protester puis sembla se raviser. Il sauta aussitôt sur l’occasion.

— Je veux la garantie que tu ne tenteras pas d’influencer la partie adverse en me décrivant sous un jour défavorable…

Les richissimes parents de Pia n’avaient jamais raté la moindre occasion de le traiter d’aventurier et il s’était demandé si elle n’avait pas fini par en être convaincue. Au point de rompre avec lui. Et, même s’il avait réussi en affaires aujourd’hui, elle pouvait très bien salir sa réputation auprès de ses « frères ».

— … Je voudrais que tu leur laisses la possibilité de m’accepter comme leur frère, sans tenter d’influencer leur jugement, reprit-il. Promets-le-moi… princesse.

Mais elle le fusilla du regard.

— Mon nom est Pia…, dit-elle d’un ton sec. Madame Baxter, pour toi. Et je t’ai déjà accordé trop de mon temps…

Elle appuya sur un bouton devant elle. Un type à lunettes apparut aussitôt à une porte intérieure.

— Arthur, dit-elle sèchement. S’il vous plaît, reconduisez ces messieurs.

Et elle disparut par cette même porte. Il faillit se lancer à sa poursuite, puis il se ravisa. Mieux valait lui laisser le temps d’assimiler l’entretien. Il savait pertinemment qu’en se présentant devant elle à l’improviste il avait pris le risque de la braquer.

— Nous connaissons le chemin, merci, dit-il en se levant, avec un signe de tête au fameux Arthur à qui elle avait cru utile de faire appel.

Il sortit sans plus attendre de ce bureau, suivi par son avocat, qui ne tarderait pas à l’assaillir de questions auxquelles il n’avait pas l’intention de répondre.

* * *

Au bord de la crise de nerfs, Pia traversa au pas de charge le bureau d’Arthur, son assistant, et descendit le couloir jusqu’aux toilettes. En chemin, elle croisa une collègue à qui elle réussit malgré tout à sourire et avec qui elle réussit même à échanger quelques plaisanteries.

Elle fut soulagée de constater que les toilettes étaient désertes. Elle s’engouffra dans le cabinet en fond de salle, poussa le verrou et s’appuya à la porte, le souffle court.

Elle était bouleversée. JT Hartley était venu la voir. Cela faisait quatorze ans qu’elle redoutait ce jour autant qu’elle l’espérait. Pourtant, sa visite aujourd’hui ne pouvait plus mal tomber. Elle enfouit son visage entre ses mains, luttant contre l’émotion qui menaçait de la submerger. Pas question de craquer au bureau, surtout avec une promotion en perspective. Elle gérerait le choc de la réapparition de JT plus tard. Dans l’immédiat, elle devait voir son patron.

Au lavabo, elle s’aspergea les joues d’un peu d’eau froide, puis elle réajusta sa veste et observa son reflet dans la glace. Une fois qu’elle fut certaine que sa mise était aussi impeccable qu’à son habitude, elle sortit des toilettes et prit la direction du bureau de son supérieur et, si tout allait bien, futur associé. Elle dut patienter quelques minutes, le temps qu’il termine une communication. Enfin, la secrétaire l’invita à entrer.

— Pia, en quoi puis-je vous être utile ? demanda Ted Howard en repoussant ses lunettes sur ses cheveux poivre et sel.

— C’est à propos de cette affaire dont nous avons parlé, il y a un mois, répondit-elle. Le nouvel ayant droit du testament Bramson, vous vous rappelez ?

Elle s’était efforcée de s’exprimer comme si JT était un client parmi d’autres, s’interdisant de penser à l’éclat de ses yeux.

— Ah, oui ! L’homme que vous avez connu, autrefois…

Elle croisa les mains tout en s’appliquant à contrôler les battements frénétiques de son cœur.

— En effet.

— Nous avons tous deux convenu que cette histoire ancienne ne devait pas perturber votre objectivité dans l’affaire… Auriez-vous changé d’avis ?

— Non, je me sens parfaitement en mesure de traiter ce dossier…

C’était elle qui avait apporté le portefeuille Bramson au cabinet et, à l’époque, Ted lui avait confié que ses associés, impressionnés par son efficacité, envisageaient de lui proposer une association si son travail sur le dossier Bramson était exemplaire. Elle ne pouvait donc envisager de renoncer à l’affaire.

— … mais je voulais simplement vous informer qu’il sortait d’ici.

— Hartley ? s’exclama Howard, visiblement déconcerté. Il est venu vous voir ?

— Il n’avait pas rendez-vous et j’ai dû le recevoir six minutes, en tout et pour tout. Mais il n’y aura pas de nouveaux contacts, je peux vous l’assurer.

— Que voulait-il ? demanda son supérieur en rechaussant ses lunettes, comme pour mieux la sonder.

En fait, elle s’était posé plus d’une fois la même question, au cours de cet entretien absurde. Et encore, quand elle avait été capable de réfléchir, au lieu de rester tétanisée devant JT comme devant une apparition.

— Je pense qu’il voulait me soutirer une information capitale pour sa démarche.

— Et a-t-il réussi ? demanda Howard, vaguement méfiant.

— Bien sûr que non, répliqua-t-elle en soutenant le regard de son patron.

— Parfait. Il ne devrait donc pas y avoir de conséquences fâcheuses à cette visite. Tenez-moi simplement au courant, s’il venait à solliciter un autre rendez-vous.

— Entendu, répondit-elle avant de sortir du bureau de Howard.

JT pouvait penser ce qu’il voulait, elle s’en fichait. Elle ne lui accorderait pas de nouveau rendez-vous.

* * *

Ce soir-là, Pia, à genoux devant l’armoire de sa chambre, n’eut besoin que de tendre la main pour attraper la boîte en carton, derrière les sacs de toile. Elle était exactement à l’endroit où elle l’avait rangée, lors de son emménagement, dix-huit mois plus tôt. Hors de sa vue, mais jamais tout à fait hors de son esprit.

Retenant son souffle, elle s’adossa au mur, la boîte sur les genoux. Une boîte à chaussures tout ce qu’il y avait de plus ordinaire, ficelée d’un étroit ruban rouge. Une boîte comme devaient en garder des milliers de femmes, dans le secret de leur chambre. Seul le contenu était loin d’être commun.

D’une main tremblante, elle saisit l’extrémité du ruban, hésitant au dernier moment à tirer dessus. Quel besoin d’aller fouiller dans le passé ? La réapparition inopinée de JT avait rouvert d’anciennes blessures, bouleversant du même coup tout son bel équilibre. Etait-ce pour autant une raison pour en rajouter ? Elle finit pourtant par tirer sur le ruban et, tout en regardant droit devant elle, elle souleva doucement le couvercle. Enfin, prenant son courage à deux mains, elle baissa les yeux sur le contenu de la boîte.

Trônant sur tout le reste se trouvait la photo de JT, alors âgé de dix-sept ans, sourire en coin, et cette minuscule cicatrice, juste au-dessus de sa lèvre, qui lui donnait un air canaille. Il tenait enlacée une jeune fille de seize ans. Elle. Elle et JT. Son corps était encore celui d’un adolescent. Bien moins développé que celui qu’elle n’avait pu s’empêcher d’imaginer, aujourd’hui, sous le luxueux costume d’homme d’affaires qu’il portait. Mais le garçon sur la photo était son premier amour, son premier amant, l’être qu’elle avait chéri le plus au monde… excepté cette autre personne, dont elle conservait avec tendresse la mémoire dans cette même boîte.

Elle inspira profondément, refoulant ses larmes. Elle paraissait si jeune. Si heureuse, si naïve. Tous deux alors croyaient avoir le monde à leurs pieds. Elle pensait souvent avec nostalgie et envie à cette magnifique confiance qu’elle avait en la vie, en elle-même, en l’autre.

Mais JT et elle vivaient dans un monde factice.

Une deuxième photo était collée à la première. Un cliché les montrant tous les deux, avec la mère de JT, Theresa Hartley. Celle-ci l’avait accueillie à bras ouverts, dans leur petite famille. Sa propre mère n’étant pas particulièrement maternelle, Pia avait tout de suite adoré Theresa, qui était d’ailleurs tout ce qu’elle avait pu sauver de sa rupture avec JT. Toutes deux continuaient à se voir, déjeunant ensemble une ou deux fois par an. Un rituel auquel Pia était très attachée.

Elle écarta doucement les photos, repoussa avec délicatesse les fleurs séchées et autres gages d’amour, offerts par JT adolescent, avant de se figer devant d’autres souvenirs qui hanteraient toujours ses rêves.

Une paire de chaussons roses tout neufs, un livre des prénoms mille fois effeuillé, corné à la page B, et le cliché d’une échographie. Elle ferma les yeux de toutes ses forces. Un simple cliché. C’était peu pour se souvenir. Car ce petit être n’avait jamais eu la chance de respirer le souffle du vent. Mais dans le cœur de sa mère palpitait un amour sans fin.

Brianna.

A cet instant, surgi de nulle part, ce bon Winston bondit sur ses genoux et se mit à ronronner avec ferveur. Elle ne l’avait pas entendu approcher, mais sa chaleur à ce moment la réconforta. Sa tendresse aussi.

Jamais elle n’oublierait le regard de JT lorsqu’elle lui avait annoncé sa grossesse. Littéralement aux anges, il s’était aussitôt lancé dans de grands projets d’avenir, afin de subvenir aux besoins de sa femme et de son enfant. De sa famille.

Elle enfouit son visage dans les chaussons et, lorsque le téléphone sonna, elle refusa de bouger. Mais elle se raisonna en pensant que certains de ses clients avaient son numéro personnel et qu’elle était sur le point d’inscrire son nom comme associée sur la plaque de l’un des cabinets d’avocats les plus en vue de la ville. Aussi, après une profonde inspiration, attrapa-t-elle son téléphone portable dans son sac, jeté un peu plus tôt sur le lit.

— Pia Baxter, je vous écoute.

— Pia…, dit une voix profonde dont les échos la firent tressaillir.

Elle serra contre son cœur les chaussons tricotés jadis pour l’enfant de cet homme. Un appel de JT était vraiment la dernière chose dont elle avait besoin tant elle se sentait vulnérable… Elle fixa le cliché de l’échographie de cette vie qu’ils avaient autrefois conçue ensemble.

— Tu es là ? demanda-t-il, comme elle ne disait rien.

— Comment as-tu eu mon numéro ? répondit-elle, la gorge nouée.

— Tu serais surprise de savoir ce que je peux obtenir pour peu que je le décide.

En réalité, non, rien ne la surprenait, venant de cet homme.

— D’abord une visite, puis cet appel. C’est vraiment mon jour de chance, soupira-t-elle.

— Je vois que tu n’as pas perdu ton sens de l’humour, répliqua-t-il avec un rire bref.

Elle glissa avec douceur les chaussons dans la boîte et la referma, comme on ferme la porte sur son passé.

— Que veux-tu ?

— Tu n’as pas répondu à ma question, au bureau.

Elle pensa à ce moment où il avait resurgi dans son existence, quelques heures plus tôt. Elle se rappelait très nettement l’éclat de ses yeux verts, le noir intense de ses longs cils et son sourire, mais tout le reste demeurait flou…

— Quelle question ?

— Je t’ai demandé de me promettre de ne pas monter les fils de Warner contre moi, même de manière involontaire.

Elle se renfrogna. Pour elle, cette question ne nécessitait pas de réponse. Elle pensait qu’il la connaissait mieux que cela.

— Pourquoi voudrais-je te porter préjudice ?

— Les choses ne se sont pas très bien terminées, entre nous, répondit-il après un silence, sur un ton las.

— Sache, JT, que je ne nourris aucune rancœur à ton égard. Par ailleurs, je suis une professionnelle et rien ne me détournera de mes devoirs d’exécutrice testamentaire, indépendamment de tout sentiment personnel.

C’était une question d’éthique. Elle avait des obligations envers les clients du cabinet et, si Warner Bramson était effectivement le père de JT, elle ne ferait rien pour s’opposer à ses droits. Elle resterait neutre et se contenterait de faire respecter la loi.

— Dans ce cas, rien ne s’oppose à ce que nous nous rencontrions, suggéra-t-il d’un ton léger. Pourquoi pas ce soir ?

Et le voir, pour la seconde fois de la journée ? Elle frissonna à cette perspective.

— Non.

— Pourquoi pas ?

Parce qu’il menaçait son équilibre. Parce qu’il réveillait ses pires démons et qu’elle avait vécu l’enfer pour l’oublier et devenir la personne qu’elle était aujourd’hui. Parce que le simple fait de le voir ranimait les souvenirs de leur enfant perdu et que c’était trop douloureux pour elle.

Elle se garda pourtant d’exprimer un seul de ces reproches de vive voix.

Elle se massa doucement le front, comme pour effacer de son esprit les images qui défilaient dans sa tête.

— Parce que je n’en vois pas l’utilité.

— Nous devons nous entendre sur certaines règles fondamentales, afin de rester sur la même longueur d’onde, dans cette affaire. Accepte de me rencontrer, ne serait-ce qu’une fois, ensuite je te laisserai tranquille.

Elle soupira. Son raisonnement n’était pas dénué de logique. Elle-même pensait à certaines règles fondamentales. Comme lui interdire de se présenter à son bureau sans rendez-vous. Mieux, ne pas se présenter à son bureau du tout. Elle avait de l’ambition et ne laisserait rien se mettre en travers de la route qui menait vers sa promotion au sein du cabinet. Plus de contacts avec JT Hartley, c’était aussi simple que ça.

Néanmoins, même si elle s’était engagée à ne plus le rencontrer, elle était certaine que Ted Howard comprendrait la nécessité d’un ultime rendez-vous dont le seul but était de mettre les choses au clair, de manière définitive.

— JT…, soupira-t-elle.

— Rien qu’une fois, princesse, dit-il de sa voix la plus irrésistible.

Elle sentit son cœur se serrer. A seize ans, elle adorait l’entendre l’appeler sa princesse, il y mettait tant de tendresse et de respect. Mais aujourd’hui elle était femme et adulte, et lui somme toute un inconnu. Il n’avait pas à l’appeler ainsi. C’était trop troublant. Trop intime. Deuxième règle fondamentale.

Une rencontre, une seule, semblait incontournable.

Délogeant Winston de ses genoux, elle rangea la boîte au fond de son armoire et lança :

— Où ?

— Ton bureau ou le mien. Comme tu veux.

La discrétion s’imposait tant qu’elle n’aurait pas décidé si elle informerait ou non Ted Howard de ce rendez-vous. Si JT se représentait au cabinet, la nouvelle de sa visite se répandrait vite. On l’accuserait de collaborer avec le plaignant, ou pire, de vouloir léser les bénéficiaires du testament de leur client. Le risque était le même si elle rencontrait JT à son bureau, dans l’une des tours les plus luxueuses du centre-ville, un endroit qu’elle avait toujours évité avec soin. Elle ferma les yeux et soupira une nouvelle fois. Si elle voulait préserver la confidentialité de cette rencontre, elle n’avait pas le choix.

— A mon appartement, dans une demi-heure.

Elle lui fournit l’adresse, tout en sachant que tôt ou tard elle le regretterait. D’ailleurs, elle le regrettait déjà.

— Entendu.

— Une rencontre, une seule, pas une de plus, JT, dit-elle avec fermeté avant de raccrocher.

Elle secoua la tête, atterrée. Elle venait d’inviter le loup chez elle.

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