Extraits

– Mona, ouvre cette porte s’il te plaît !

Je ne peux pas Léonard.

Je n’ai pas la force de me relever. Je me suis enfermée moi-même dans cette salle de bains et suis désormais recroquevillée dans un coin, incapable d’opérer le moindre mouvement. Je repense à la vidéo des dernières menaces de Mickey Soulbutter. Ces images tournent en boucle dans ma tête depuis quelques minutes, et j’ai envie de pleurer sans y parvenir. Je n’ai pas peur de ce que peut me faire ce maître-chanteur qui m’a clairement désignée comme cible potentielle. Je n’ai pas peur de sa mise en scène, de son masque de reine d’Angleterre ni de sa voix modifiée qui glacerait le sang de quiconque. En réalité, une seule chose me fait peur : qu’il parvienne à ses fins et que, dans une semaine, Léonard se fasse tuer par son plus grand ennemi. Pour plomber cette atmosphère déjà suffocante, mon corps en entier est étreint d’un mauvais pressentiment. Depuis le début de notre relation, et ça ne va pas en s’améliorant, la vie nous envoie des signes de danger, et si on ajoute à ça mon pessimisme légendaire, ce constant sentiment qu’aimer n’est pas simple et qu’il arrive toujours des drames autour de moi, comme si j’étais maudite, je comprends pourquoi je ne peux plus bouger. Ma mère, ma sœur, l’agression de Tony, Léonard et son arrêt cardiaque… pourquoi le sort s’acharne-t-il sur les gens que j’aime ? De son côté, Léonard n’a pas non plus été épargné par la vie. Entre abandon, famille d’accueil malveillante et, plus récemment, le décès d’Alexandra, ça fait beaucoup. Mickey en a après lui, et moi, je ne sais pas comment on va s’en sortir…

TOC ! TOC ! TOC ! Sa main tambourine.

– Mona, si tu n’ouvres pas la porte, je la défonce, je te préviens ! Je ne peux pas te laisser là-dedans ; je ne sais même pas si tu es consciente.

– Mona, tu m’entends ? Mona, c’est moi.

La voix de Tony bourdonne dans ma tête et j’ouvre les yeux. Il est penché au-dessus de moi, et au loin j’entends des bruits de sirènes, des cris. J’ai l’impression d’être dans un cauchemar et, paniquée, j’essaie de me relever.

– Léonard, Léonard !

Je crie, mais ma voix n’arrive pas à me suivre. Aucun son ne semble sortir. Je tousse, Tony me tend une bouteille d’eau. Penché sur le corps du président, un homme en cravate lui fait du bouche-à-bouche. Je ne le reconnais pas tout de suite, puis réalise qu’il s’agit du Dr Fisher. Je veux m’approcher, mais Tony et Claire me retiennent. Cette dernière pleure et son maquillage coule le long de son visage potelé.

– Laisse le médecin faire. Nous avons appelé les secours et ils sont en route. Que s’est-il passé ? Tu te souviens ? me questionne mon ami d’une douce voix.

– Je… Oh mon Dieu, Léonard ! Une poutre en métal s’est décrochée de l’immeuble et allait me tomber dessus, mais Léonard m’a poussée. Il a essayé de me sauver et maintenant…

Je suffoque.

– Mona, respire ! gronde Claire. Ça va aller, j’en suis sûre. Rien ne peut lui arriver, tu te souviens ? C’est Léonard Carlson ! Ce n’est pas le chambranle d’une fenêtre qui risque de lui faire peur !

Sous mes pieds, le sol se dérobe et il me faut quelques minutes pour accuser le coup. On n’avait plus de secrets et en voilà un nouveau. Imaginer Alexandra et Léonard est un supplice. Je ne supporte pas l’idée. Ma gorge se serre. Léonard court pour me rejoindre, mais je me dégage quand il touche mon bras.

– Mona, elle raconte n’importe quoi ! Tu ne vois pas qu’elle cherche à me nuire. Tu l’as entendue.

– Ah oui ? Alors pourquoi inventer ça ? Pourquoi ça ne me paraît pas du tout farfelu comme histoire ? Ça explique même sa haine si tu lui as brisé le cœur.

– Ne paniquez pas s’il vous plaît. Je vous prie de garder votre calme, ça ne sert à rien de…

Carl, le chef de la sécurité de LineOn, fait face aux grilles fermées de l’immeuble ; il peine à se faire entendre. Je suis à ses côtés, complètement angoissée, mais les événements n’ont rien à voir avec ma détresse. La tornade Georgina me fait clairement moins peur que ma cousine Melissa. Et si elle était encore là ? Et si elle m’attrapait par-derrière et me poignardait ? Et si elle s’en prenait à Tony ou même Léonard. Je me rends compte que tous ceux que j’aime sont ici, coincés dans le noir, en attendant que la tempête trace sa route. Eux, et ma pire ennemie.

– Mona, on peut prendre un café ensemble ? Enfin, quand tu auras une minute pour ton ami, bien sûr !

Tony est entré dans mon bureau sans toquer et il est visiblement contrarié. Avec toute la bienveillance du monde, je tente de calmer sa colère. Il regarde nos plantes en grimaçant. Je le comprends. Pour une raison inexpliquée, toute notre verdure est morte cette semaine.

– Évidemment ! Tout de suite si tu veux.

Je vais tout te dire, toute la vérité. Et ça commence par mon nom. Je ne m’appelle pas Léonard Carlson.

J’ai peur que mon cœur s’arrête de battre tellement son rythme est effréné. Il tambourine dans ma poitrine, ma gorge se serre et je sens que mon sang quitte mes joues et mes lèvres. Je sais. Je sais que tout ce qui va sortir de la bouche de Léonard – quel que soit son vrai nom – va changer mon histoire avec lui. Je sais que rien ne sera plus comme avant et je m’en veux terriblement d’avoir voulu absolument connaître son passé, surtout si ce dernier le met dans de tels états.

Vu le visage anxieux de l’homme que je n’ai jamais vu faillir une seule fois, il ne s’agit pas d’une anecdote mais de faits bien plus graves. Je me suis engagée à tout entendre, mais je ne suis pas à l’aise.