Extraits

- Si tu ne veux pas de compagne, pourquoi est-ce que je porte ces bracelets? demanda-t-elle.

Pelotonée sur le sol, sa longue robe étalée autour d'elle, elle était sublime, mais avait l'air perdue. J'avais du mal à me souvenir que la femme forte qui avait appâté ma bête venait d'une autre planète. Tout était nouveau pour elle. Y compris moi.

- C'est ma bête qui te les a mis aux poignets. Elle est très possessive. Et je réalise que je le suis aussi.

- Ouais, c'est ça, dit-elle en détournant la tête et en s'essuyant la joue.

Elle souffrait. C'était inacceptable.

- Je t'expliquerai tout dans mes appartements. Tu me permets de t'y escorter ?

Lorsqu'elle garda le silence, j'ajoutai:

- S'il te plaît ?

Apparemment, ça avait marché, car elle plaça sa main dans la mienne. Ce simple contact entre nos doigts me rappela à quel point j'avais eu tort. Je la voulais. De toutes mes forces, je la revendiquerais. Je la garderais. Je ne la lâcherai jamais.

Son cœur deviendrait mien. Son corps. Son âme. Elle tout entière.

- Vous voulez mon bébé.

Je me sentais nauséeuse, à présent. Pas besoin de téléportation pour ça.

- Nous ne voulons rien du tout. L'enfant appartient à la Ruche. Il est déjà à nous.

Il cligna des yeux pour la première fois, et ses globes oculaires furent brièvement recouverts d'un film translucide.

- Le bébé sera le premier enfant de la Ruche, né sans contamination.

Je croisai les bras, j'avais soudain froid. Ils voulaient mon bébé ? Ça ne me convenait pas du tout.

- Un enfant de la Ruche. Je suis humaine. Son père est Atlan. La Ruche n'a rien à voir là-dedans.

— J’ai été capturé dans les grottes sous la surface de cette planète il y a quelques semaines. La Ruche m’a fait subir quelque chose.

Elle fronça les sourcils, et ses yeux s’emplirent d’inquiétude. Je me sentais brisé, rien de plus. Honteux de devoir lui expliquer ma faiblesse en détail.

— Quoi ? Qu’est-ce qui peut être terrible au point que tu ne veuilles plus de compagne ?

La vérité était comme de l’acide dans ma gorge, mais je forçai les mots à sortir :

— Je ne peux plus me transformer en bête. Je ne peux plus revendiquer ma compagne, alors je dois te laisser en choisir un autre. Je dois assurer ton bonheur. Tu seras accouplée à un Atlan à part entière. Assez fort pour te protéger.

Elle resserra sa poigne sur mon bras.

— Non.

— Quoi ?

— J’ai dit non. N. O. N. Non. Je ne suis pas d’accord avec ça.

Sa voix douce était également dure comme de l’acier, ce qui me surprit.

— Je ne suis pas digne, Caroline.

— C’est CJ, rétorqua-t-elle.

Mes yeux s’écarquillèrent face à son ton, et je réalisai qu’elle n’était pas aussi docile que je l’avais cru.

— Et la gardienne Égara m’a dit que tu étais la personne qui me correspondait parfaitement. Que je ne pourrais pas trouver de personne plus compatible dans toute la Flotte Interstellaire. Elle a dit que tu étais à moi. Si c’est le cas, tu ne peux pas me refiler à un autre comme un Tupperware rempli d’un plat vieux d’une semaine.

— Ce n’est pas une blague, ma chère. Ces guerriers sont des hommes honorables qui se sont battus, ont souffert, et ont vu leurs frères mourir. Obtenir une Épouse Interstellaire est la récompense ultime. Vous serez chérie. Adorée. Séduite et chouchoutée. Il ne sera pas facile de tourner le dos à tout ça.

Je ne ris pas et ne levai pas les yeux au ciel, mais j’avais du mal à me contenir. Moi ? La récompense ultime. Les pauvres hommes.

— Mon subconscient a déterminé où je serai envoyée mais c’est moi qui déciderai si cet homme me plait. Cet accouplement se fera selon mes termes.

La gardienne Égara éclata de rire, et je me sentis rougir.

— Vous connaissez mal les hommes de la Flotte.

— Oui. Je travaillais soixante-dix heures par semaine, et j’étais seulement intéressée par l’avancement de ma carrière. Je n’avais déjà pas le temps de faire ma propre lessive, alors apprendre des choses sur les hommes de la Coalition...

— Oui, je vois ça, murmura-t-elle en passant les doigts sur son écran. Les hommes des planètes disponibles sont très dominants. Ils aiment être aux commandes.

Je repensai au rêve. C’est vrai qu’il avait mené la danse.

— Votre bête est puissante, Rezz. Tout ce qu’il vous faut, c’est la réveiller. La faire revivre. Elle reviendra quand votre compagne arrivera. Elle se montrera pour elle. Elle viendra à bout de ce que la Ruche vous a fait, quoi que ce soit.

Elle semblait croire en ce qu’elle disait, mais elle n’avait aucune preuve. Aucune raison de le dire, à part pour me rassurer. Mais avoir la foi était douloureux. La honte me submergea, mais au moins, je ressentais quelque chose. Je fermai les yeux pour lui cacher ma réaction.

Elle voulait que j’aie une compagne.

Non. Je n’en étais plus digne.