Extraits

— Je ne vais pas m’en sortir.

— Arrête.

— C’est vrai. Tu ne sais pas à quoi j’ai affaire ici. Je vais peut-être mourir. J’ai besoin que tu saches que je t’aime. Tu es l’amour de ma vie, Tank. Quoiqu’il m’arrive je veux que tu te souviennes de ça. Dis aussi à Jennifer que je l’aime. Dis-lui qu’elle va beaucoup me manquer. Demande à Alex de bien s’occuper d’elle, qu'il le fasse pour moi. Je t'en prie, fais ça pour moi, je suis sûre de ne pas pouvoir m'en sortir.

— Si tu m’écoutes, tu vas t’en sortir.

— Ça on n’en sait rien, ni toi ni moi.

— Il faut que tu croies en moi. Si tu m’écoutes et si tu suis ton instinct, tu as encore une chance de t’en sortir. J’ai prié ces deux derniers jours pour te retrouver, et je t'ai au bout du fil… Alors tu vois, tu ne peux pas abandonner. Je n’ai pas abandonné. Tu dois continuer à lutter. Je t’aime Lisa. Je veux t’épouser. Mais pour ça, il faut que tu sois forte et que tu ailles à cette fenêtre.

Mes parents ne m’avaient pas enseignée à rester passive. Même si j’étais assez certaine que ce que j’étais sur le point de faire dépassait de loin leurs attentes dans le domaine de la bravoure, je prévoyais bien d’aller de l’avant avec mon plan, si tant est que j'en aurai la possibilité.

Depuis que j’avais découvert une issue possible, j’y avais réfléchi, évaluant mes options, m’assurant que j’avais une opportunité. Elle n’était pas grande, mais avec un peu de chance... Et ça me convenait, de toutes façons ils allaient me tuer. Alors pourquoi ne pas mourir au combat ? Ce dont j’avais besoin pour réussir était à ma portée, mais pas tout à fait assez proche.

Cela prit trente bonnes minutes à attendre avant que le silence complet à l’étage supérieur ne finisse par me convaincre que les hommes qui m’avaient menacée étaient enfin allés se coucher. C’est de ce long silence qu'il me fallait pour me redonner le courage d’aller de l’avant.

Je pourrais mourir.

Oui, tu pourrais.

Il pourrait me tuer.

Il le pourrait.

Il se peut que je ne revoie jamais Tank. Il se peut que je ne revoie jamais l’amour de ma vie. Je ne le tiendrai plus jamais dans mes bras, je ne l’embrasserai plus jamais, je ne le sentirai plus jamais contre moi. Je ne pourrai plus jamais lui dire que je l’aime. Et pourquoi ? À cause d’une série de livres débiles qui ont été mal lus par des fanatiques ? Vraiment ? Et puis il y a aussi Jennifer. Je ne la verrai peut-être jamais plus.

C’est donc ça la vie avant la mort.

Est-ce que je vais m’en sortir ?

Probablement pas.

Je dois le faire. C’est quoi mon autre choix ?

Tu n’as pas d’autre choix.

Il pourrait me tirer dessus.

Il pourrait. Et il le fera probablement s’il a ne serait-ce qu’un soupçon sur ce que tu es sur le point de faire. Il vient de la rue, il a l’air d’y avoir tout appris. Il n’a pas l’air d’être idiot.

Je dois essayer.

Tu le dois. Si tu réussis, Tank ne recevra pas ta tête dans une boîte. Mais si tu rates...

— Quand vous arriverez à votre destination, vous verrez un fourgon bleu garé au coin de la rue. Il y aura une croix sur la porte du conducteur et d’autres sur tout le véhicule. Dirigez-vous vers lui. Les portes arrière s’ouvriront à votre approche. Vous allez devoir faire vite pour y entrer. Quand ça sera fait, un sac de velours noir vous sera mis sur la tête pour que vous ne puissiez pas voir où on vous emmène. C’est juste une précaution, mais soyez-y préparée, car il y a des chances que ça vous déconcerte. Quand nous serons prêts, nous vous amènerons à un endroit que je ne vais pas vous révéler. Puis on enlèvera le sac. On parlera un peu à l’intérieur, ce qui aura pour résultat soit la fin de votre vie, soit votre libération de tous les péchés que vous avez laissés entrer dans votre âme, tous les mensonges que vous pensez être vérité, et de la damnation que vous avez déglutie avec votre écriture sale et blasphématoire. Il y a une chose que nous voulons empêcher d’arriver, Lisa. Juste une. Si nous réussissons, formidable. Si nous gagnons, vous gagnez. Sinon, nous aurons échoué à vous empêcher d’envoyer tout le poison que vous êtes sur le point de lâcher sur ce monde déjà fragile, moralement abattu. Et si c’est le cas, alors vous mourrez. Avec un peu de chance, nous n’en arriverons pas là. Je pense que vous pouvez réussir. Tout ce que nous voulons c’est éliminer une seule chose.

— Moi ?

— Non pas encore. Mais si vous ne réussissez pas, alors oui, bien sûr, votre vie est évidemment en jeu.

Tout au long de ces deux semaines, Jennifer, Alex, Cutter et Blackwell étaient passés pour des visites rapides. Jennifer avait apporté des cookies aux pépites de chocolat faits-maison, et avait passé une heure à papoter avec Tank avant qu’il ne soit évident qu’il commençait à fatiguer. Alex et Cutter étaient venus jouer aux cartes en buvant des bières, ce que le médecin avait autorisé, mais seulement une par jour. Puis il y avait eu Blackwell. Elle était venue un dimanche après-midi alors que Tank venait juste de rentrer à la maison.

Elle avait été sa première visite.

Tailleur cintré rouge, maquillée et coiffée comme si elle allait au bureau, les talons cliquetant dans l’entrée, elle avait à la main un grand sac en tissu.

— Qu’est-ce que c’est ? lui avais-je demandé.

— Mène-moi à lui.

— Il est dans le salon.

— Alors amène-moi au salon.

J’attrapai son manteau en cachemire de couleur assortie et le mis sur une chaise. Nous entrâmes dans le salon et elle leva le sac quand Tank se tourna vers elle. Il n’était pas encore lui-même. Il était encore sous l’effet des médicaments antidouleur, et avait l’air comateux. Mais ce qui se voyait également était sa joie de la revoir.

— Bouillon de poule, clama-t-elle. Et je l’ai fait moi-même de zéro. C’est une des recettes de cette grosse comtesse. Elle ne m’a pas laissée tomber à Noël, quand j’ai farci cette bestiole pour tout le monde, un de mes plus grands triomphes, et elle ne m’a pas laissée tomber cette fois non plus. Je l’ai goûté. C’est bon. Certains diraient même “remarquable”.