Ajouter un extrait
Liste des extraits
Parfois, en lisant les commentaires de ses fans, Silex se disait qu'il était suivi par une majorité de cons et de connes, et il était pris de vrais doutes et d'un certain malaise. Est-ce que tout ce déploiement d'artifices, ces subterfuges, ces maquignonnages, ces manipulations, ces entorses à la vérité en valaient la peine ? Bah... tant qu'il arrivait à se regarder bien en face dans la glace... Par chance, il adorait ça, les miroirs.
Afficher en entierSilex s'arracha à la contemplation de son reflet. Il lui arrivait souvent de se perdre ainsi dans sa propre image. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, trois choses l'avaient toujours fasciné : l'argent, les objectifs de caméra et d'appareils photo, et les miroirs. Petit, il passait des heures à se détailler dans la glace de l'armoire de la salle de bains. On le prétendait narcissique, superficiel, et c'était sans doute vrai. Aujourd'hui, il ne faisait rien pour contredire ses nombreux détracteurs à ce sujet. La superficialité, la légèreté de l'être, était en passe de devenir une qualité universellement reconnue.
Afficher en entier– Putain... Et c'est quoi la morale de ton histoire ? fit Silex.
– La morale, c'est que les gens sont pas ce qu'ils paraissent. Tout le monde porte un masque.
– Tout le monde porte un masque... Toi aussi, Kader ?
– J'aimerais me dire que non, mais ça serait un putain de mensonge.
– Et moi, d'après toi ? »
Kader répondit avec sa franchise coutumière.
- Toi, t'as pas un masque. Toi t'as un masque sur un masque sur un masque.
Afficher en entierLes psychiatres avaient essayé de faire correspondre son profil à celui d'une sociopathe. Ils s'y étaient cassé les dents. Denise Monnier était juste un animal doté d'un quotient intellectuel de 91 ; un résultat modeste, mais tout à fait dans la moyenne de la population. Son cas fascinait et avait attiré des médecins du monde entier. On lui avait fait subir plusieurs tests et examens plus ou moins invasifs, sans trouver la moindre altération de son cerveau, sans parvenir à percer le secret de sa folie. Tout juste avait-on relevé que son cœur se trouvait à droite au lieu d'être à gauche ; un phénomène rarissime, mais qui n'expliquait pas la rupture nette de son esprit.
Afficher en entierSeuls les adolescents et jeunes adultes mal éveillés qui constituaient l'essentiel de son public croyaient à l'authenticité de ses vidéos ou faisaient semblant d'y croire. Silex s'en foutait. Il avait le physique d'un haricot vert, certes, mais aussi le blindage mental d'un politicien. Les commentaires rageurs, insultants, railleurs, glissaient sur lui comme un glaviot de tuberculeux couvre le sénateur sans le pénétrer.
Afficher en entierLe ton guilleret de Denise Monnier parut factice à Charles. Il avait toujours trouvé son aïeule mielleuse, mais là, elle lui paraissait une de ces actrices de petit calibre interprétant un rôle écrit par un scénariste d'AB Productions.
Afficher en entierOn ne pouvait pas parler pour Cyprine d'une descente aux Enfers. Non, elle y était tombée comme dans un gouffre, à pic. Et pour les gens comme elle et Silex, la géhenne était un endroit où les autres suppliciés ignoraient qui ils étaient.
Pour oublier ses gros malheurs, Cyprine s'était réfugiée dans la nourriture. Elle avait pris vingt kilos en un rien de temps. Puis trente. Puis quarante. Elle n'osait plus mettre un orteil dehors. Plus elle bouffait, plus elle se trouvait moche. Plus elle se trouvait moche, plus elle bouffait. En un an, elle avait doublé de volume. Après cinq, elle n'avait plus rien de la bombe anatomique qui suscitait désir, admiration et jalousie. Ses traits fins s'étaient noyés dans une masse gélatineuse, son cœur fragile s'était fabriqué un cocon de graisse.
Afficher en entierLa psyché trouva sa place à droite du lit. Ainsi Silex pourrait s'admirer les couilles dans leur habitat naturel dès qu'il poserait le pied sur le béton ciré. Il réalisa une courte vidéo au format « vlog » où il présentait son « acquisition ». Sans entrer pour l'instant dans les détails scabreux, il insista fortement sur le fait que cet objet était lié à la douloureuse histoire évoquée dans une précédente confession intime.
« C'est cathartique », expliqua-t-il, les yeux rougis par l'oignon qu'il avait pelé juste avant de lancer le live. Il agita bien sa pomme d'Adam devant l'objectif.
Cathartique. C'était Kader qui avait ajouté ce mot à son vocabulaire assez limité. Devenir influenceur quand on avait eu une famille de merde, c'était cathartique. Crier « fils de pute ! » quand on s'était explosé l'orteil sur le pied de la table basse Ikea, c'était cathartique. Envoyer ses abonnés chéris se faire foutre, ce serait cathartique... mais jamais il ne ferait ça.
Au dos de la psyché figuraient une plaque métallique et une inscription à l'eau forte que Silex filma en gros plan.
« "Pour Blanche, vers qui se tournent tous mes sentiments les meilleurs." Waouh ! Plus personne cause comme ça, maintenant, sauf dans les séries de la BBC. J'espère que le mec a conclu. »
Il avait failli dire « J'espère que le mec a trempé sa nouille », mais il s'était repris. Le spectre de la démonétisation le hantait. Les modérateurs de YouTube étaient pires que des agents de la Stasi.
Afficher en entier« Allez file, dégourdi. Et lave-toi les mains avant de passer à table. »
Elle avait retrouvé son ton doucereux. Le garçon ravala ses larmes et alla rejoindre ses parents. Il brûlait de l'envie, du besoin impérieux de tout raconter. Plus que l'avertissement de sa grand-mère, c'est la crainte de ne pas être cru qui l'en dissuada. Que valait la parole d'un mioche dont les parents avaient été maintes fois convoqués par la directrice de l'école en raison de comportements inappropriés ? Il s'assit à table, cherchant le regard d'un adulte, mais personne ne se rendit compte de son trouble. Pouvait-il en glisser un mot à ses cousins ? Le frère et la sœur étaient plongés chacun dans leur livre, une moue de concentration tordant leur bouche. Charles avait horreur de lire. On n'avait ni le son ni l'image, et ça demandait un effort de chaque instant. Ses cousins devaient être un peu autistes pour s'adonner à ce genre de loisir.
Afficher en entier