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Le nom lui vient comme ça. Elle ne croit pas l'avoir jamais entendu. A-t-elle connu quelqu'un qui le portait ? Est-il inspiré de la rivière et de la belle vallée de l'Ayre qu'elle connaît si bien? Vient-il de l'air, ou du feu, peut-être? Il y aura du feu et de la colère dans son livre, il sera en guerre contre le monde tel qu'il est. Injuste ! Injuste ! Colère visionnaire : elle est celle qui voit maintenant pour son père. Le voyeur, l'observateur, c'est elle. Jane si ordinaire, Emily Jane, le deuxième prénom de sa sœur chérie, Jane si proche de Jeanne, la courageuse Jeanne d'Arc, Jane si proche de Janet, Jeannette, la petite Jane. Un nom qui évoque le devoir et la tristesse, l'enfance et l'obéissance mais aussi le courage et la liberté, un nom d'elfe, un nom de fée, mi-esprit, mi-chair. Lumière dans la nuit, vérité au milieu de l'hypocrisie. Le nom de quelqu'un qui voit : Jane Eyre.
Afficher en entier"Elle redouta de devenir comme ces gens à l'esprit délabré, au cœur pétrifié, à l'âme resserrée."
Afficher en entierQui donc voudrait lire les écrits de la fille d'un obscur pasteur, installé au fin fond du Yorkshire ? Et qu'est-ce qu'elle a bien pu raconter ? Que sait-elle, ayant vécu la plus grande partie de sa vie isolée, préservée, protégée dans son presbytère reculé, sans rien autour d'elle sinon la lande nue, ses sœurs célibataires, sa tante célibataire, une vieille servante ignorante, un frère délinquant et un père pasteur ?
Afficher en entierEcrire est sa façon de s'évader, de fuir cette cellule de solitude, d'obscurité et de désespoir. Son esprit est libre d'errer à sa guise. Elle ose s'affronter à ses humiliations, à ses peines et leur donner une structure.
Afficher en entierAlors il soupire, referme son livre d'un coup sec, se tourne vers elle et répète que non, ce n'est rien, en fait- rien du tout. Il nie mais il y a une hésitation dans sa voix : elle a déjà gagné.
Afficher en entier"Dis : "Mon maître, je suis ton esclave."
- Mon maître", répète-t-elle, les mains levées comme en prière. Il esquisse un sourire et l'embrasse sur la bouche. Elle sent son poids, la fermeté de son corps de garçon. Elle est sensible au bruit du vent, à la pluie fouettant la fenêtre, à l'odeur de pourriture et de décomposition et aux battements de son coeur contre le sien.
- Lui, à peine âgé de huit ou neuf ans mais précoce et plus cultivé qu'elle à dis ans, agite les mains frénétiquement. "Ils doivent combattre, dit-il.
- Attends ! ose-t-elle. Il faut en dire plus sur le lieu, la végétation. Sinon, ça n'a pas l'air vrai." Mais il balaye l'objection avec autorité. Il trace la ligne de l'intrigue, les événements, l'action, les détails de la bataille. Il aime que l'histoire avance vite. Il veut de la violence.
"Chut, dit-il. Tu ne vois pas qu'ils doivent se battre ? Avec leurs glaives." Il se rengorge un peu, gonfle la poitrine sous son ample chemise blanche à jabot, et fait le geste, avec la règle, de parer une botte. "C'est le monde infernal", explique-t-il avec majesté - une expression qu'il a lue dans un livre. Comme elle, il a déjà beaucoup lu Byron, Scott et même Shakespeare, Roméo et Juliette, La Tempête et La Nuit des rois. Mais son grand héros, c'est le proscrit satanique de Byron.
"Qui se bat ? demande-t-elle, incertaine.
- Deux géants noirs, deux princes, deux frères maudits, deux anges déchus. Ils sont dans un palais grandiose, plein de joyaux, avec un trône d'or. Non, quatre géants, quatre monstres. Tous frères issus de la même lignée royale, ducs ou princes d'Ashanti. Hauts de deux mètres cinquante, ils ont des yeux noirs étincelants, des cheveux noirs, des moustaches, des cicatrices. Ils coupent la tête du duc. Ils lui coupent les mains. Le sang jaillit. Il tombe dans le lac, il coule, il coule !"
Elle frissonne, épouvantée, fait la grimace. "Non, non, trop affreux !
- On peut toujours le ressusciter", dit-il malicieux.
Afficher en entierEt elle a transmis sa joie, son espoir à ses lecteurs. Ses mots aujourd’hui imprimés leur appartiennent à jamais.
Afficher en entierElle sait, en reprenant la lettre pour lire les appréciations de l’éditeur, que son livre est le plus fort, le plus original. Les autres éditeurs qui l’ont refusé avec ceux de ses sœurs ont jugé les passions trop brutales, les personnages trop frustres, trop violents, d’une nature implacable, impitoyable. Personne n’appréciera une histoire aussi dérangeante, aussi effrayante, avait averti Charlotte. Pourquoi donner une vision aussi sombre de la vie ? Elle devrait travailler, selon eux, avec plus d’art, moins d’intuition.
Ils avaient tort.
La cruauté, l’endurance sont inhérentes à la nature et nullement incompatibles avec sa beauté.
Afficher en entierÉcrire soigne-t-il jamais les peines de cœur, la tristesse ? Ce livre si vivant, plein d’incidents et de rebondissements lui permettra-t-il de dépasser la souffrance des années passées ? Le terminera-t-elle ? Lui rapportera-t-il assez d’argent pour qu’elle ne soit pas obligée de travailler ?
Afficher en entierElle aimerait toucher d’autres femmes, quantité de femmes. Elle aimerait les divertir, les éblouir, formuler ce qu’elles cachent dans le secret de leur cœur, leur faire sentir qu’elles appartiennent à une large communauté d’êtres en souffrance. Elle aimerait leur décrire tout ce que ressent une femme : l’ennui d’une vie réduite à de fastidieuses tâches domestiques.
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