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À la maison, celle que j’appelais désormais maman, tout en sachant cette dénomination galvaudée, était la grande prêtresse du climat. D’un instant à l’autre, l’air, déjà chargé de son humeur électrique, virait à l’orage. Alors, les invectives, et parfois les coups, pleuvaient à verse. De gros grains s’abattaient sur les enfants. On ne savait jamais ce qui les déclenchait. Le ciel s’assombrissait brusquement. La pluie fouettait. Et il semblait que le seul moyen d’échapper à la fatalité de cette météo cataclysmique fût de se terrer dans sa chambre. La demeure était vaste. Nous avions chacun la nôtre. Porte fermée, nous passions le plus clair de notre temps à nous faire oublier.
Mon oncle, de nature falote, ne s’opposait pas à son épouse. Comme nous, il la subissait, mais il l’aimait à travers les gouttes. Je ne peux parler au nom de mon cousin et de ma cousine, que j’appelais mon frère et ma sœur, les considérant comme tels, mais personnellement, j’y avais renoncé. Viviane, c’était son nom, avait toutefois de rares tendresses à notre endroit. Ces furtifs épanchements nous surprenaient autant qu’ils nous ravissaient. De tels égarements étaient toujours calculés. C’était la championne de la déstabilisation. Adepte du chaud-froid, elle élevait l’aléa au rang de mode de fonctionnement. Et si les autres membres de la famille se cisaillaient l’âme et le cœur sur ses dents de scie, je tentais quant à moi de m’en préserver en cherchant à dégager une once de logique de cet ensemble déconcertant. J’essayais de décrypter le langage muet de son corps – la rapidité de son pas, un raclement de gorge, le léger haussement d’une épaule – afin d’évaluer son état de tension et d’anticiper sa colère. Mais ses crises s’avéraient aussi sporadiques qu’imprévisibles. Je restais en permanence sur le qui-vive.
Reclus dans ma bulle, j’avais trouvé une parade pour échapper à l’anxiété : l’imagination. L’univers devint mon horizon et mon refuge. En silence, penché sur mon petit bureau, je dessinais des planètes, des extraterrestres, des soucoupes volantes. Je m’inventais des mondes parallèles. Là-haut, près des étoiles, je me sentais chez moi.
N’être pas aimé est une question d’habitude. On s’y résout, sans même avoir conscience d’un renoncement. Je grandissais. Je poussais insolemment. C’était une victoire, ma victoire sur cette marâtre chaotique en qui je ne voyais qu’une folle doublée d’une mégère. Je n’ai jamais su l’apprivoiser.
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