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Prologue
Mai 1835, Londres
Ouverture officielle de la saison mondaine
Riordan Barrett ferma les yeux en réprimant un soupir. Les courbes voluptueuses de lady Meacham lui inspiraient des pensées peu orthodoxes, et comme il se murmurait qu’il pouvait mener une femme à l’extase rien qu’en la regardant, les possibilités qui s’offraient à lui étaient infinies…
Une foule compacte s’était amassée devant Somerset House où l’exposition annuelle organisée par la Royal Academy of Arts venait à peine d’être inaugurée. La saison mondaine pouvait débuter, à présent, songea-t-il en posant délicatement la main sur le dos de lady Meacham pour l’aider à fendre l’effroyable cohue.
Elle lui décocha aussitôt un coup d’œil qui en disait long sur ses intentions. Parfait ! Ils s’étaient compris à demi-mot… Il savait bien ce qu’elle attendait de lui — elles voulaient toutes la même chose ! Elle souhaitait vérifier par elle-même si la rumeur était fondée, et comme il ne demandait que cela…
S’adonner sans retenue aux plaisirs charnels faisait partie de ses activités favorites. Ses amis lui disaient parfois en riant qu’il avait tous les vices, car il aimait aussi jouer aux cartes, faire des paris extravagants et boire plus que de raison. Très vite, il était devenu un débauché notoire et passait le plus clair de son temps dans le lit de femmes qui trompaient leur mari sans vergogne. Ce n’était pas uniquement pour le plaisir fugace que ses frasques lui procuraient ; c’était également une échappatoire. Un moyen peu glorieux de garder à distance le désespoir qui menaçait parfois de l’engloutir.
Il prit une profonde inspiration. Pourquoi était-il déjà plongé dans un tel abattement ? La saison mondaine ne faisait que commencer ! Les bals et les divertissements allaient se succéder à n’en plus finir, et il réussirait sans doute à séduire des femmes magnifiques… Mieux valait chasser ses idées noires et se concentrer sur sa nouvelle conquête. Si tout se déroulait comme prévu, il passerait l’après-midi à batifoler en compagnie de la divine lady Meacham. Cela lui permettrait d’oublier un moment son vague à l’âme.
Le dernier tableau de Turner se dressait à présent devant eux. L’Incendie du Parlement. Riordan se remémora le tragique événement survenu au mois d’octobre. Décidément, Turner était un génie ! Comment s’y était-il pris pour aussi bien représenter l’embrasement de la Chambre des Lords ? Mais il n’était pas venu pour s’extasier sur la technique de ce peintre. Il était temps de passer aux choses sérieuses !
— Turner est l’artiste le plus doué de ce siècle. Il n’a pas son pareil pour dépeindre l’atmosphère de fournaise infernale qui régnait… Les jaunes et les rouges sont particulièrement éloquents, murmura Riordan à l’oreille de lady Meacham tout en lui effleurant l’avant-bras du bout des doigts pour lui suggérer un tout autre embrasement.
Son parfum capiteux vint alors lui chatouiller les narines. Il aurait préféré quelque chose de plus subtil. Ou de plus frais.
— Dites-moi, monsieur Barrett, j’ai l’impression que vous êtes un véritable expert en peinture, dit-elle dans un souffle en portant la main à sa poitrine.
Riordan n’était pas né de la dernière pluie. Elle venait de lui adresser une petite invitation discrète. Peut-être commençait-elle même à s’impatienter.
— Je suis expert dans bien des domaines, lady Meacham, répliqua-t-il avec un sourire coquin.
— Appelez-moi Sarah, dit-elle en dépliant son éventail. Vous semblez extrêmement bien informé, en tout cas. Vous peignez vous aussi ?
— C’est un bien grand mot. Disons qu’il m’arrive de jouer du pinceau ! plaisanta-t-il.
Il ne tenait pas particulièrement à s’étendre sur le sujet. A une époque, il passait ses journées à peindre. Il avait même un certain talent. Mais un jour, à son plus grand regret, la peinture avait cessé d’occuper une place centrale dans sa vie quotidienne. Il n’aurait su dire quand cela s’était produit, ni pourquoi. Il s’était simplement arrêté de peindre et n’avait jamais retrouvé l’inspiration.
— Et que peignez-vous exactement ? demanda lady Meacham en lui lançant à travers ses longs cils noirs un regard faussement timide.
Riordan sentit un long frisson lui parcourir l’échine. La conversation prenait précisément le tour dont il rêvait.
— Des nus. Je peins des nus, Sarah. Et je peux vous assurer que les femmes qui posent pour moi le font toujours avec grand plaisir…
Lady Meacham laissa échapper un rire rauque qui ne trompa personne. Le moment était venu de quitter cette grande salle surchauffée, et il connaissait un endroit à Piccadilly où ils pourraient se mettre à l’aise. Ses appartements !
— Vous n’avez donc aucune décence ? minauda-t-elle en lui posant la main sur l’épaule.
— J’ai bien peur que non, ma chère, rétorqua-t-il, les yeux étincelants de désir.
— Quel délicieux défaut ! s’exclama-t-elle, un sourire entendu aux lèvres.
Riordan étouffa un soupir. Lady Meacham n’avait pas résisté bien longtemps. C’était presque décevant. Elle avait cédé si facilement. Il préférait de loin les femmes qui faisaient mine de se refuser à lui ; le plus souvent, cela le rendait fou de désir. Mais il n’allait pas pour autant bouder son plaisir…
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