2030 - La série

Quand la nouvelle génération nous demande comment on a pu en arriver là où nous en sommes, il faut bien reconnaître notre impuissance et avouer que la liberté nous a peu à peu filé entre les doigts. Cela ne s’est pas passé à la suite d’un coup d’état ou durant une opération militaire, mais lentement, de façon imperceptible. Tandis que nous nous amusions, que nous profitions des beaux jours, de nos succès et des possibilités sans limites du monde moderne, la part la plus importante de notre vie nous a été volée, discrètement et en silence. Étrangement, la plupart des êtres humains ne regrettent même pas la liberté, car nous nous trouvons dans un enfer de béatitude ; bercés, abrutis et ignorants. Dans cet univers rose bonbon, les hommes sont semblables à des grenouilles. Si l’on en dépose dans une casserole d’eau qui chauffe lentement, elles ne sautent pas pour échapper à la mort certaine. Elles pataugent dans le milieu liquide jusqu’à ce qu’elles remarquent soudain qu’elles sont déjà bien cuites, et il est alors trop tard. Déclaration d’un témoin anonyme, 2025.

Le monde dans lequel nous vivons est une illusion. Je ne prononce pas ces paroles à la légère, car je l’ai appris lors d’un douloureux apprentissage. Depuis ce jour fatidique où ma conscience a changé, j’ai une nouvelle vision de notre environnement. Je commence à comprendre comment fonctionnent réellement les choses. Tous les êtres humains, dont les efforts sont uniquement tournés vers leur travail quotidien, leur carrière ou leur vie privée, ne s’en doutent pas le moins du monde. Mon expérience personnelle, aussi choquante soit-elle, m’a conféré la faculté de chasser les vieux fantômes de mes pensées, de prendre du recul et de développer une autre perception de notre monde. Brusquement, je distingue de vastes structures qui parcourent la société et dans lesquelles nous sommes tous prisonniers. Il existe des relations qui sont si évidentes que je m’étonne toujours de ne pas les avoir vues plus tôt. Chacun est l’artisan de son propre destin. Cette phrase est un mensonge éhonté. Les êtres humains agissent plutôt comme des acteurs dans un mauvais film. Ils ne peuvent pas décider librement, mais suivent un scénario. Sans en être conscients, ils jouent ainsi des rôles écrits à l’avance. Il existe encore autre chose, une force séditieuse qui tient notre sort entre ses mains, qui l’influence et qui le guide. Cette organisation a créé un monde qui est conçu de façon si raffinée que nous nous comportons comme des poissons dans un aquarium. Ces animaux croient vivre dans l’océan, mais, en vérité, leur avenir se décide de l’autre côté de la vitre. Vous me traiterez sans doute de fou, secouerez la tête en lisant mes paroles et m’accuserez de souffrir de paranoïa aiguë, mais je ne vous en veux pas. Votre travail vous occupe pleinement, votre logement vous rend fier et le service de livraison vous rassasie. Votre bien-être physique et psychologique est assuré. Un endroit où résider, un peu de luxe et, une fois par an, de courtes vacances… cela suffit pour votre petit bonheur. Vous ne pouvez penser qu’ainsi, parce que vous êtes les poissons dans l’aquarium, tandis que moi, placé derrière la vitre, j’observe soigneusement comment vous me fixez. Je ne peux simplement pas continuer à vivre en sachant cela, je dois faire quelque chose. Peut-être mes tentatives échoueront-elles et perdrai-je la vie, mais je n'ai pas le choix. Je ne fais pas cela pour moi, mais pour vous tous. Mon nom est Harry Rosen, et je sais maintenant comment fonctionne le monde.

Les humains ne se sont pas beaucoup développés depuis l'époque où un hasard de l'évolution les a dotés d'une intelligence. Si on les prive de ce que l'on appelle le progrès, ne serait-ce qu'en coupant l'électricité pendant quelques heures, ils retombent vite dans de vieux schémas instinctifs qui révèlent souvent des traits égoïstes et impitoyables. Si le drame s'amplifie et qu'on leur refuse l'eau et la nourriture, les règles qui ont façonné leur vie quotidienne sont rapidement annulées. Là où avant il y avait de l'ordre, l'anarchie s'installe. De bons citoyens, qui ont fait la queue à la caisse du supermarché, se révoltent et perdent d'abord leurs compétences relationnelles, puis leur compassion. Le pire point d'escalade, ce sont les guerres dans lesquelles ils se dépouillent de leur humanité, pillent et assassinent. Si l'on tient compte de tout cela, on arrive inévitablement à la conclusion qu'au cours de son développement, notre espèce ne s’est éloignée que d'un minuscule pas des chasseurs et des briseurs de crânes qui venaient d'apprendre à maîtriser le feu. La seule différence significative par rapport à l'époque, est qu'aujourd'hui, les gens n'utilisent plus une massue, mais un smartphone. Pour préserver la civilisation et l'empêcher de sombrer dans l'anarchie et s'effondrer ensuite, il faut un plan pour dompter et supprimer les instincts primaires. Cela doit se faire de manière à ce que les gens ne le remarquent pas. Stellarus Parcellus Premier Administrateur du Cinquième Pouvoir