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C’était une grande cour de récréation. Des centaines, des milliers d’enfants jouaient. Silencieusement. Au ralenti. Une scène digne du plus grand film muet. Sans la musique. L’horreur arrivait à son comble lorsque l’on constatait qu’ils ne souriaient pas. Les regards étaient vides. Ils couraient, sautaient à la corde, jouaient à la marelle. En silence.
Dans un coin de la cour, une forme famélique les surveillait. En silence. Elle était assise sur une souche calcinée, enveloppée d’un pagne noir. Un fichu de la même couleur couvrait sa tête.
Le temps s’était mis de la partie. Le ciel était couleur de plomb. Sans nuages. Un brouillard épais recouvrait tout. Des corbeaux volaient dans le ciel en croassant. Lugubrement. Leurs ailes, difformes, couvraient tout tel un linceul.
Un chant macabre s’éleva. Toute vie s’immobilisa. Les têtes se tournèrent vers un point invisible. Les enfants se mirent sur deux rangs, précédés par le spectre - gardien. Ils se dirigèrent vers une fissure dans un pan de montagne et disparurent au fur et à mesure, aspirés par le néant. La fissure disparut dès le dernier enfant avalé. La montagne reprit son allure normale. Un grand vent balaya les nuages noirs et le brouillard. Les oiseaux nécrophages se désintégrèrent, absorbés par les flancs des montagnes.
La vie reprit son cours. Les villageois finirent leur frugal repas avant de reprendre la houe, la daba, à la recherche de racine de manioc ou d’igname pour le repas du soir. De temps en temps, ils jetaient un regard inquiet vers cette montagne. D’aucun ne disaient entendre, à certains moments, des gémissements, des pleurs d’enfants.
Les ancêtres disaient que cette montagne avait surgi d’un coup, en plein jour, semant la panique dans le paisible village frontalier, aux frontières des deux mondes. C’était un jour comme les autres. Les habitants des environs vaquaient à leurs occupations habituelles. Les enfants jouaient à l’ombre des arbres, dans les champs. Les bergers, dès l’aube, avaient emmené paître leurs troupeaux à la lisière de la forêt.
Afficher en entierLe silence, telle une chape de plomb, enveloppait le monde pétrifié, angoissé, annihilé de doutes, de peurs primaires, de terreurs sans nom. Le silence bruyant de peurs comprimées s’était confortablement installé.
Telle une mauvaise odeur, il s’insinuait dans toutes les interstices de l’incertitude. Il avait fait sien le monde des purs et des impurs, des visibles et des invisibles, du bien et du mal, de ceux qui savaient tout et de ceux qui ignoraient tout. Le silence avait fait de ces mondes son royaume.
Les astres, dans le ciel, s’étaient faits discrets. Ils ne tenaient pas à assister à la lutte des forces contraires. Leur avenir était lié à l’aboutissement de cette lutte parricide. Comme tout le monde, ils se tenaient accroupis, la tête entre les jambes, le dos rond, les yeux fermés, les mains enveloppant leurs oreilles. Ils étaient pétrifiés de terreur. Ils attendaient on ne sait quoi. Le ciel sur la tête ? La fin du monde ? De leur monde ? Peu importe. Tous attendaient. Maudite attente.
Afficher en entierUn gémissement lent, s’amplifiant au fur et à mesure des minutes, s’éleva, paralysant toute vie. Il se transforma en un long cri, indéfinissable, inquiétant.
La terre se mit à danser et à se tordre, accompagnant le chant funèbre. Puis, brusquement, tout s’accéléra dans une spirale diabolique, incontrôlable, interminable.
Le monde se mit à tourner, de plus en plus vite, dans une cadence de plus en plus infernale. Les hurlements de terreur et la chanson diabolique se mêlèrent, s’unirent, se désunirent dans une sorte de bacchanale sans nom. Le temps s’immobilisa, muet d’inquiétude.
Un bruit infernal emplit l’atmosphère. La terre était en gésine. Elle souffrait les affres de l’enfantement. La délivrance était pour bientôt. Le sol se mit à trembler comme pris d’une crise d’épilepsie. La montagne maudite pointa le bout du nez, timidement, à la recherche d’un éventuel obstacle.
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