Extraits

-Moi je n'ai pas de tripes, répondit M-Bot. Bon, j'imagine que c'est vous l'experte. Mais... Si vous voulez savoir, le plus gros problème est que je suis toujours plus ou moins en colère contre vous.

- Pour avoir quitté Astrevise sans toi?

- Oui.

- Je croyais que tu m'avais pardonné.

- Je le croyais aussi. Mais je n'arrête pas de m'en souvenir. Est-ce que c'est... normal ?

- Ça l'est pour les humains. Parfois il est trop facile d'oublier les choses qu'on devrait se rappeler et beaucoup trop facile de se rappeler celles qu'on ferait vraiment mieux d'oublier.

- Ça l'est doublement pour moi, fit-il, puisque je ne peux littéralement pas oublier les choses à moins qu'elles ne soient effacées, ou au minimum mises en commentaire dans mon code.

Je pris une profonde inspiration. Dans les récits, les héroïnes possédaient toujours de fidèles destriers - qui ne parlaient pas - ou de loyaux acolytes silencieux. Je comprenais maintenant pourquoi. Le Lone Ranger n'aurait pas accompli grand-chose si son cheval avait été un moulin à paroles obsédé par les champignons.

- M-Bot?

- Je suis, répéta-t-il, en colère.

- Écoute...

- Vous vous en fichez. Vous ne vous soucie jamais de moi ! Vous m'avez abandonné !

- Je suis revenue, lui rappelai-je. Je t'ai laisse parce que j'y étais obligée ! Nous sommes des soldats, Parfois, nous devons prendre des décisions difficiles!

- Vous êtes un soldat, Spensa! cria-t-il tout en s'élevant dans les airs. Moi, je suis une IA d'étude de terrain conçue pour chercher des champignons ! Pourquoi je vous laisse tout le temps m'obliger à faire des choses? Je ne voulais même pas pénétrer dans cette sphère, et vous m'y avez entraîné ! Aaah!

Salve. Ce drone possédait des haut-parleurs étonnamment puissants. Comme en réponse à ses cris, quelque chose hurla au loin. Le bruit résonna dans la forêt d'une façon menaçante.

— Attrapez-les, Spensa! Me lança M-Bot. Servez-vous de Monstrolimace pour les attirer!

Stupéfaite, je me faufilai par l’ouverture de la verrière poussiéreuse, tenant délicatement Monstrolimace. Je me laissai tomber sur le sol blanc et crayeux, où je projetai une ombre surnaturelle et trop longue. Hesho me suivi sur l’aile.

De tous côtés, je ne voyais que du blanc. Un blanc infini.

— M-Bot, qu’est-ce qui…

— Vous savez quoi, dit-il tandis que la verrière se refermait avec un déclic, je viens de vous faire une farce.

J’éprouvai aussitôt une vive contrariété. Il me faisait une blague dans un moment comme celui-ci?

Il cligna des yeux, puis inspira profondément.

—  C’est fâcheux

—  C’est tout ce que ça t’inspire?

—  On m’a appris à ne pas jurer devant les dames

—  Alors heureusement qu’il n’y en a pas ici, hein?

Il sourit.

— Ce serait sûrement un combat très marrant, déclarai-je. Avec plein de coups de pied. J’imagine que ça doit faire le même effet de donner un coup de pied à un tamia qu’à un rat.

— Et… vous avez donné des coups de pied à combien de rats, mademoiselle Nightshade?

— Seulement à ceux qui l’avaient cherché, répondis-je en frappant ma paume de poing.

— Fais le calcul, M-Bot.

— Quel calcul?

— Tu sais, les statistiques et ce genre de trucs. Fais le calcul. Quelles étaient nos chances de tomber sur lui?

— Je n’ai aucun moyen de calculer ça, répondit M-Bot. Vous croyez que je pourrais déterminer le pourcentage de chances d’un événement qui possède autant de variables — dont la plupart sont inconnues, sans doute inquantifiables?

Je n’insistai pas.

— Oui, mais les seuls portails actifs consacrés à ce but sont exploités par la Supériorité. D’après ce que je sais d’eux, il est peu probable qu’ils nous accordent l’accès. Ils semblent être des gens très portés sur le contrôle, dirigés par des individus… fort peu recommandables.

— Ce sont de vrais connards de je-sais-tout, acquiesçai-je.

Ce mot me rappela Jorgen et me rendit sentimentale. Une réaction stupide, mais j’avais l’impression de ne pas avoir entendu sa voix si enthousiasme depuis des années.

— Je vais faire comme si c’était un trois, annonça-t-il. Je sais que ce n’était pas optimal, mais pour un robot réveillé depuis peu, vous devez reconnaître que je m’en suis bien sorti. En fait, tout bien considéré, je crois que je mérite plus qu’un trois. Je suis vexé que vous me donniez une note aussi basse, Spensa.