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Au commencement il y a la route – et moi qui marche dessus.
Je n’ai aucun souvenir de qui je suis, ni d’où je viens, ni de la raison pour laquelle je suis là. Il n’y a que la route et le désert qui s’étire au loin dans toutes les directions vers un ciel brûlé
et il y a moi.
L’angoisse bouillonne dans ma tête et dans le ciseau de mes jambes, qui me poussent en avant dans l’air étouffant comme si elles savaient quelque chose que j’ignore. Je voudrais leur dire de ralentir, mais même dans mon état de confusion mentale on ne parle pas à ses jambes, pas à moins d’être fou et je ne suis pas fou – enfin, je ne crois pas.
Je baisse les yeux vers le ruban de goudron miroitant qui monte et retombe dans ce paysage onduleux, et dont la chaleur du désert rend les bords flous. La route en devient immatérielle et le chemin à parcourir incertain. Dans le brasillement de mon angoisse, je sens qu’il y a quelque chose d’important à accomplir et que je suis là pour le faire, mais je n’arrive pas à me rappeler quoi.
Je m’efforce de respirer lentement et d’exhumer du plus profond de moi-même un souvenir qui m’apaiserait. Je perçois diverses senteurs dans l’air sec du désert – odeur de coaltar de la sève d’une branche cassée de hediondilla 1, puanteur douceâtre d’un fruit de saguaro tombé à terre, parfum âcre de pollen d’agave – chaque chose parfaitement claire pour moi, connue et totalement conforme à ce qu’elle doit être. Et de la graine de chaque chose nommée germent d’autres informations : noms savants en latin, propriétés médicinales, noms communs, comestibilité ou nature vénéneuse. Il se produit le même phénomène quand je regarde à droite ou à gauche, chaque chose entrevue projette de nouveaux noms et d’autres torrents de faits jusqu’à faire bourdonner ma tête. J’ai l’impression de connaître le monde entier alors que je ne sais rien de moi. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas pourquoi je suis là. Je ne connais même pas mon nom.
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