Ajouter un extrait
Liste des extraits
Avec le temps, je mis au point mon système des deux têtes. J'utilisais le devant de mon cerveau dans mes rapports avec les autres habitants de la maison ; l'arrière quand j'étais seul. C'était là que logeait ma mère, pas devant. Je devins expert dans l'art de passer de l'avant à l'arrière et cela simplifia mon existence.
Afficher en entierJ'eus soudain la vision de mon père en manches de chemise et casquette plate, en train de creuser un trou au milieu de son carré de pommes de terre. Il y avait du brouillard mais pas assez pour obscurcir totalement la face informe et crevassée de la lune. Je vis Hilda qui fumait une cigarette, appuyée au chambranle de la porte de la cabane, son manteau de fourrure miteux sur les épaules, éclairée par la lumière diffuse de la bougie. Au bout de quelques minutes, mon père se mit à genoux et, avec beaucoup de précautions, il détacha du sol un plant de pommes de terre, tenant d'une main les feuilles et de l'autre le rhizome effilé et ses petites racines délicates. Il le plaça sur le côté : le soin extrême qu'il mettait à cette tâche était troublant. Il continua à creuser, et la rangée de plants à côté de lui s'allongea. Hilda disparut au fond de la cabane puis revint avec une bouteille de porto et une tasse. Des cornes de brume se firent entendre au loin. Je vis alors que mon père était dans le trou jusqu'aux épaules, trempé de sueur malgré le brouillard glacé. Il rejeta la pelle, puis se hissa hors du trou avec difficulté. La terre s'effritait sous ses doigts et plusieurs fois il retomba au fond. Hilda avança précautionneusement et jeta un coup d'oeil au fond, en serrant toujours son manteau autour de ses épaules. On distingue à peine les vers qui grouillent le long des parois raides, luisant vaguement au clair de lune. Puis mon père sort de la cabane, tenant dans ses bras un fardeau partiellement enveloppé dans un sac maculé de sang. C'est un corps humain, la tête est recouverte d'une toile attachée autour du cou avec une corde. Il le dépose auprès du trou, se relève et regarde Hilda, qui est restée au milieu des plants de pommes de terre déracinés. Elle resserre son manteau autour d'elle. Mon père fait rouler le corps dans le trou en le poussant du pied. Le cadavre retombe sur le dos, dans une position curieuse, un bras replié en dessous, l'autre jeté sur la toile qui recouvre le visage : on dirait une poupée de chiffon. Hilda avance tout au bord et fait tomber un peu de terre au fond. Frissonnante, elle retourne à la cabane. Mon père reprend la pelle et se met à remplir le trou. Il replace ses plants de pommes de terre avec le soin le plus extrême. ...
Afficher en entierSi vous avez déjà essayé de tenir un journal, vous savez sûrement qu'il est impossible certains soirs d'écrire la moindre ligne, alors qu'à d'autres moments les mots coulent tout seuls sur papier, heure après heure, jusqu'à épuisement. On a alors le sentiment non pas d'avoir écrit, mais d'avoir été écrit.
Afficher en entier