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Katherine Lane
Il suffisait d'avoir dérobé une fois quelque chose à quelqu'un pour prendre goût au vol. Et pour vouloir recommencer. Papa lui avait souvent répété cette vérité de son cru, en tapotant son crâne de petite fille comme pour mieux y faire pénétrer ses paroles.
Et le fait est qu'elle avait la nostalgie de détrousser les poches des gens. Le délicieux petit frisson qui s'emparait d'elle chaque fois qu'elle glissait les mains dans un costume lui manquait. Comme lui manquait le plaisir de compter son butin, en faisant sonner les pièces sur le pavé au fond d'une ruelle, à l'abri des regards.
La respectabilité avait un goût fade, en comparaison. D'ailleurs, elle commençait sérieusement à se lasser d'être respectable. Voilà pourquoi elle s'était lancée dans cette aventure.
C'était un jour parfait pour détrousser le chaland. Un brouillard poisseux montait de la Tamise et collait aux moindres recoins de Katherine Lane. Il apportait avec lui l'odeur du fleuve - qui n'avait pas précisément un parfum d'ambroisie, mais elle n'en avait cure. Un pareil brouillard était idéal pour se cacher.
—Montre que tu n'as pas perdu la main, Jess, murmura-t-elle en ajustant sa capuche sur sa tête.
L'après-midi touchait à sa fin. Des deux côtés de Katherine Lane, les commerçants rentraient leurs marchandises, après une journée morose. Le brouillard était toujours catastrophique pour le commerce. Quant aux filles de mauvaises mœurs, elles s'étaient enfermées dans les tavernes, avec leurs marins. Bientôt, Jess se retrouverait seule à arpenter le pavé. Enfin, presque seule : un chat en maraude longeait le trottoir, quelques mètres devant elle.
Elle jouirait donc de toute la tranquillité nécessaire pour détrousser les poches de Sébastian Kennett.
—Surtout, ne t'avise pas de tenter quoi que ce soit d'inconscient pour me libérer, lui avait intimé son père au moment d'être arrêté.
Il ne la connaissait que trop bien. Et il serait furieux d'apprendre ce qu'elle tramait.
La ruelle de droite s'appelait l'Allée Sombre -et elle méritait bien son nom. À gauche, c'était l'impasse de l'Homme Mort. Un autre morceau de poésie, qui collait particulièrement à la réalité. Petite fille, elle avait écume les parages pieds nus, et depuis, elle connaissait le secteur comme sa poche. Elle était née dans une soupente misérable de l'East End, quelques pâtés de maisons plus au nord. Et elle avait grandi parmi la faune interlope qui fréquentait Katherine Lane. À l'époque de sa prime jeunesse, il lui aurait suffi de pousser la porte de n'importe quelle taverne des environs pour être accueillie à bras ouverts. Mais c'était différent, désormais. Elle n'était plus Jess, mais Mlle Whitby. Et elle était devenue étrangère au quartier. Sa place n'était plus ici.
La rue tournait à présent en direction du sud, et de la Tamise. Elle ralentit l'allure, surveilla ses pas pour ne pas glisser sur le pavé humide. Autrefois, elle aurait emmené Kedger avec elle. Elle avait cousu une poche à l'intérieur de son manteau, spécialement pour l'héberger. La plupart du temps, cependant, il se tenait sur son épaule, assis sagement, le regard en alerte.
Mais cette fois, elle ne pouvait pas compter sur Kedger. Elle devait se débrouiller seule.
Sauf qu'elle n'était plus seule.
Elle s'immobilisa. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, comme celui d'un petit lapin pris au piège. Une ombre avait bougé dans l'embrasure d'une porte.
C'était un homme. Il s'avança vers elle, tranquillement, maniant sa canne avec nonchalance.
— Eh bien, dit-il, tapotant sa canne contre sa paume dans un bruit mat.
Il avait la cinquantaine, le cheveu grisonnant, et affichait une belle corpulence. Une fine cicatrice lui barrait en partie la joue droite. Un vieux chapeau informe lui descendait sur les yeux - qu'il avait assez beaux.
— Si vous me disiez ce que vous faites là ? demanda-t-il.
Elle soupira de soulagement.
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