Extraits

Suzanne aime beaucoup Maurice, mais "beaucoup", ce n'est pas assez.

Le soir tombé, l'allumeur des réverbères parcourt le quartier avec une perche en bambou de deux mètres de long. Après son passage, le quai George-V se constelle de flammes jaunes et blanches.

Elle a rouvert son cahier jaune, relu quelques pages, puis, en fouillant dans les tiroirs, elle a découvert un poème écrit la veille de sa mort.

(...) "Le temps n'est pas venu où l'on ferme le livre,

Quand la branche se casse et que l'arbre est séché

Le jour m'assoiffe encore et j'ai hâte de vivre

Et de trouver demain ce qu'hier j'ai cherché"

Suzanne pleure et c'est l'été.

Lui, il fait son affaire. Elle, son devoir conjugal. Elle ne se dérobe pas. Elle tient à être une bonne épouse et il en a besoin. C'est physiologique, elle l'a lu dans un livre. On ne doit pas, on ne peut pas s'opposer à un tel besoin. (...)

Elle lui donne son corps mais n'éprouve rien. C'est un créneau horaire qu'elle lui sacrifie. (...)

C'est seulement quand on sait les choses qu'elles peuvent manquer. Pour Suzanne, le plaisir est réservé aux hommes. Dans le livre, à aucun endroit il n'était stipulé que les femmes pouvaient en avoir.

La douche est terminée. Ça n’a pris que cinq minutes. Cinq minutes une fois par semaine. Elle veut bien se lever, maintenant ? La petite rousse a oublié de lui laver les pieds. Suzanne le signale, mais non, ce n’est pas un oubli. Il y a quinze résidents à doucher avant midi. Le shampoing aussi, ce sera pour une autre fois, pas le temps aujourd’hui. De toute façon, vu ce qui lui reste sur le crâne, tous les quinze jours, c’est suffisant.

Dans la grande demeure en brique rouge et jaune, on est aux petits soins pour Suzanne. La petite grandit bien. Elle n'est jamais malade et ressemble au bébé cadum des affiches de réclame pour le savon.

Que vaut la vie quand on ne peut plus ni saler, ni sucrer, ni se griser avec un deuxième verre de vin ? Certains soirs, Suzanne se sert, en cachette, un petit porto.