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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:48:45+02:00

Et puis, il y a ces horreurs qu’on encaisse en pleine gueule. Volontaires ou involontaires, elles s’imposent, s’incrustent au plus profond de votre sang, de vos gènes. Elles s’isolent dans les oubliettes de votre mémoire tant vous souhaiteriez ne jamais les avoir invitées à traverser vos yeux. Ces horreurs-là, on ne parvient pas à les avouer.

Elles sont tellement énormes que toute l’immensité du silence ne peut les contenir. Tellement folles et vous si muet qu’elles profitent du fait que vous ne soyez plus vous-même, que vous vous abandonniez, pour fuir. Elles vous sortent du dedans dérangé, épaissi par tant de secrets ruminés, tant de douleurs intériorisées. Sans plus de chaînes, les remparts de votre volonté en sommeil, elles jaillissent sans crier gare. D’autres alors, sans y être préparés, les reçoivent en pleine violence dans le ventre. Comme ces chirurgiens et ces infirmières d’une clinique au nom si paisible, si ensoleillé : Villa Médicis, à Paris.

La veille, à Sarajevo, une balle de mitrailleuse était venue s’échouer en moi. Une fin de course peu heureuse. Il y avait tant de nécessiteux autour de moi. Les médecins militaires de l’ONU avaient renoncé à l’amputation parce que j’étais « un civil ». Dans l’après-midi, un avion sanitaire m’avait rapatrié salement blessé à Paris. À la deuxième des dizaines d’opérations que j’allais subir, le réveil a été difficile. Un cauchemar pour ceux qui écoutaient l’horreur qui se déversait de mes lèvres sèches.

« Je préfère vous prévenir… Ne vous affolez pas… Il a eu un réveil pénible… Il a parlé de têtes coupées… »

Le médecin anesthésiste, en informant Marie, lui demande si ce genre de délire est courant chez moi. Elle répond que non. En huit ans de saloperies libanaises, en seize mois de saloperies bosniaques, j’ai toujours eu des rêves béats. J’ai parlé sous la torture, drogué jusqu’aux oreilles.

Une semaine avant d’être déchiqueté, Sarajevo encerclée avait frôlé la guerre civile entre assiégés. Une guerre dans la guerre. L’ennui sûrement. Deux commandants militaires musulmans, qui confondaient résistance et racket organisé contre les civils, avaient été sommés de se démettre par la présidence. Ils s’étaient alors retranchés avec leur racaille organisée. La bataille de rue avait duré toute la journée et la reddition d’un des rebelles avait succédé au massacre des otages qu’il détenait. Des jeunes pour la plupart. Presque des gosses. Certains avaient été jetés vivants par la fenêtre de l’immeuble qui servait de camp fortifié. Les corps, à l’impact, avaient explosé de l’intérieur, le sang giclé. Le trottoir, la rue étaient rouges. D’autres, avant de piquer en direction de la terre, avaient été égorgés ; quelques-uns avaient eu la tête fracassée à la hache ; les plus chanceux s’étaient contentés d’une balle dans la bouche ou entre les yeux. Un autre, probablement une forte tête, l’avait eue tranchée. Tous, la nuit tombée, se sont retrouvés à la morgue. D’abord questionné virilement, puis abattu par le père d’un des suppliciés, le boucher, chanteur et guitariste folklorique avant la guerre, était venu s’allonger sur le sol crasseux de la morgue. Une signature au bas d’une œuvre.

Cette nuit-là, la morgue était interdite aux journalistes.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:48:35+02:00

Marie lisait les feuillets et trouvait que c’était trop sanglant, trop effrayant, trop laid. J’avais le sentiment de ne pas être suffisamment réaliste, que j’étais encore loin de la réalité. Elle suggérait d’arrêter les descriptions. Je le fis, je n’avais plus les mots. Je télexai l’article à Milan avec un goût d’inachevé, d’échec, d’impuissance et de raté. L’année suivante, un jury italien me décernait le prix Almèrigo Crilz, du nom d’un correspondant de guerre tué au Mozambique. À Trieste, où j’ai reçu la récompense, j’apprenais que mon article avait été photocopié et affiché aux murs de plusieurs écoles et que des élèves avaient pleuré en le lisant.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:48:30+02:00

En août 1986, Beyrouth connut une semaine de démence particulière. Chaque jour, pendant six jours, une voiture piégée explosait. Une dans un camp, une dans l’autre. Les chrétiens répondaient aux musulmans et vice versa. Des rues entières étaient bouleversées, l’architecture des lieux remaniée. Les appartements éventrés vomissaient sur le bitume fondu les meubles, les habits, les photos et les livres. Ça ressemblait à un immense cambriolage, à une fouille minutieuse, à un désordre d’apocalypse. Du sang, de la tôle tordue et noircie, des débris de corps humains calcinés, délayés dans les gravats et le verre pilé. Les blessés hurlaient. Les vivants hurlaient. Les miliciens tiraient en l’air, exterminaient des ennemis invisibles. Les sauveteurs rafalaient pour se frayer un passage. Les douilles se noyaient dans les mares de sang coagulé par la chaleur conjuguée de l’été et des incendies. Les survivants se confondaient dans un même cri où il était question de Dieu et de vengeance.

Sur la terrasse de ma maison, face au jardin et à son bassin d’eau où somnolaient une dizaine de gros poissons rouges, je rédigeais un article pour un hebdomadaire italien.

Ma peau sentait encore l’odeur de la barbaque caramélisée et du sang séché. À chaud, vibrant d’émotions et d’images infectes, j’essayais de dépeindre l’horreur avec des mots d’humain. Autant vouloir arrêter les vagues. Je relatais tout. Du moins ce que je pouvais exprimer. Ceux qui étaient morts par hasard, ceux qui étaient vivants par chance, ceux qui allaient mourir ou être amputés, les brûlés, les aveugles, les estropiés, les saccagés, l’agonie des martyrisés, les spasmes des torturés, la vie dénaturée, les plaies sauvages, les frissons des rescapés, la répétition de l’absurde, de l’innommable, la bestialité des bourreaux, la jouissance des primitifs, des monstres, la douleur invincible des familles, le châtiment juré. Les odeurs de chairs brûlées et d’essence, les corps carbonisés, pétrifiés. Les têtes, les troncs, les oreilles, les pieds, les tripes ventilés sur un rayon de deux cents mètres. Plus j’écrivais et plus l’impression d’être « à côté » augmentait.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:48:21+02:00

L’horreur, ça se ressent, ça se visite, on s’en imprègne, mais elle ne se raconte pas. La décrire est un exercice perdu d’avance. Les mots justes n’ont pas encore été imprimés. L’horreur se raconte à travers un vocabulaire qu’il reste à inventer. L’abomination, l’abject ont devant eux un avenir radieux, plein de promesses. Les témoins ne pourront jamais vraiment témoigner. Ils sont condamnés à conserver à la lisière de leurs bouches le terrible fardeau. L’horreur est une épreuve secrète qui ne se transmet pas. C’est une blessure que seule la mort peut atténuer. Quelquefois, comme un trop-plein, une purge, l’ineffable, par bribes, est évacué. Expulsé.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:48:16+02:00

La mort, bienveillante et honnête, broie la préméditation des poses et des affections humaines déréglées. Loin de toute défense, enfin mort, enfin apprivoisé.

Les morts ne mentent pas, ils n’ont plus personne à étourdir, à appâter, plus de prétextes de circonstance à afficher. Ils ne sont plus postés dans une mesure protectrice, prêts à la riposte. Ils sont invulnérables, puissants parce que sans ennemis. Leurs visages sont reposés, frais, rassurés. Le visage des morts est grave aussi, auréolé de cette ultime découverte du sérieux de leur état. Le regard rentré à jamais, consolés après la longue et intenable dépression permanente qu’avait dû être leur existence, les morts ne jouent plus. Il n’y a plus rien à mimer, la mort est incurable.

Seul avec soi-même, le visage de la mort, c’est l’authentique effigie de l’homme.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:48:10+02:00

Le véritable visage de chacun apparaît trois fois : à la naissance, au réveil et à la mort. Le visage de la mort est la négation du masque de la vie.

En dix ans de reportages, sur des centaines et des centaines de cadavres, j’ai rarement vu inscrite sur leurs figures l’empreinte de la douleur, du cri. Même les corps explosés ont une gueule calme et tranquille. La vie plisse, déforme, détruit les visages, elle y burine sa dureté, sa difficulté. C’est une formule, un accommodement, un malentendu savamment entretenu. Le visage des morts est un visage sans invention, sans artifice nouveau, aux antipodes de l’art de l’attitude qui expérimente l’étendue de l’éventail des sentiments. Le visage de tous les jours est un trafic d’apparences honteux, une palette d’expressions provisoires, une dissimulation permanente, un mensonge sans fin.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:47:48+02:00

Les vers s’attaquent au cadavre par ce qui est le plus malade chez l’homme : la boîte noire.

À la morgue de Baabda, au-dessus de Beyrouth, en octobre 1990. Comme toutes les armées d’occupation qui n’ont pas eu à combattre, les troupes syriennes, au-delà d’éprouver le plus profond mépris pour ces Libanais inaptes à s’opposer à leur présence, se comportent en conquérantes sauvages. Après la chute du général Michel Aoun, des dizaines de soldats de l’armée libanaise qu’il commandait sont férocement mutilés et achevés par ces Syriens vainqueurs sans gloire.

Dans les sous-sols de l’hôpital, une morgue a été improvisée. Il n’y a pas d’électricité, peu d’air, la chaleur étouffe. Les corps, encore dans les uniformes, sont gonflés. Ces soldats massacrés n’ont pas d’identité. Leurs poches ne révèlent rien. Un soldat, lorsqu’il est anonyme, meurt toujours deux fois. Sous les bâches qui les recouvrent, le pourrissement, la décomposition va bientôt les rendre méconnaissables à jamais. Le festin des asticots a commencé. Avec le pied, je repousse les toiles. Les cadavres sont rangés sur le sol. D’une main, je me bouche le nez ; de l’autre, je mange un sandwich à l’omelette aux pommes de terre. Tout ce qui n’est pas habillé de tissu kaki est bouffé lentement. La tête et les mains. Des milliers de minuscules vers blancs frénétiques, sorte de bouillie grouillante, courent sur les cadavres. Une enveloppe ondulante, mouvante, où les vers s’affairent, tous absorbés, concentrés, consciencieux dans leur nettoyage purificateur. Les visages ont déjà le sourire du crâne nu. Sous les vers, la peau a été dévorée, la chair entamée. Les yeux et les lèvres transmués dans l’estomac de la vermine. L’intérieur de la tête est un gigantesque brouet, la cervelle onctueuse. On la devine gobée, aspirée avec délices par le tapis blanc. Plus la mémoire, les rêves, les secrets et les remords sont grignotés, laissent la place, plus les vers sont nombreux. Bientôt, le crâne sera vide, lavé, sucé. L’érosion de l’os débutera.

Le spectacle est écœurant et fantastique. Accroupi à quelques centimètres de la marée silencieuse et fourmillante, abasourdi par ce déferlement d’activité, d’ardeur, de mouvement, d’excitation, d’appétit vorace, je reste là, obstiné et captivé par ces morts qui rétrécissent au milieu d’un hymne à la vie dont ils sont exclus et dont pourtant ils sont la cause.

Après avoir assisté au banquet des morts dans cette morgue d’une bourgade de la montagne libanaise, pendant des mois, j’étais incapable de manger du riz. Dans chaque assiette de riz blanc cuit je voyais des vers. Des milliers de vers.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:47:39+02:00

Les jours de relâche sur les fronts, quand Sarajevo désavoue sa chute annoncée et attendue, les jours de répit, de sursis, je flâne dans la morgue et dans le cimetière « au lion ». Ces détentes dans la guerre sont rares, les cadavres me reposent et me rassurent. J’aime les regarder et savoir à quoi je ressemblerai tôt ou tard. Je verrai, si j’ai de la chance, ma mort venir. Je veux la sentir s’approcher doucement, comme un souffle de vent. Je ne veux pas qu’elle me surprenne. Je verrai l’instant de ma mort, mais je ne me verrai jamais mort. La vue des autres m’aide à supporter l’idée de la mienne. Chaque cadavre est une des possibilités de ce que je serai. Chaque mort est la mienne. Chaque cadavre mon reflet. Et cette puanteur tenace, mon dernier parfum.

Moi, couché, en congé de tous et de tout, exposé et offert, débité du terrible sérieux terrestre, moi rigide et froid, sous le regard curieux et libre d’un autre ; regard adorateur de la lente décomposition de ce qui était si délicat, si fragile, si en vie. Cet autre, jamais atteint par la grande vénération des fables, sans orgueil, sans douleur non plus, aimera dévisager la mort jusqu’à la dénuder.

Cet autre, initié et frémissant, qui n’arrive pas.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:47:32+02:00

Étalage de lambeaux, de membres, de têtes, de tas de bouillie rougeâtre, tout cela en désaccord. Anarchie des corps broyés, disloqués, épars. Des ventres qui vomissent leurs tripes, des troncs sans jambes ou sans bras, ou un bras sans main, une jambe sans pied, des têtes fendues, écrabouillées, la matière cervicale qui dégouline. Des os brisés, blancs et rouges qui sortent d’une cuisse béante. Et toujours l’odeur.

Ces soldats morts, sans plus de volonté de puissance, dans leurs heures les plus silencieuses, déshérités de leurs rêves de gloire, de leurs soifs de conquêtes, de victoires, de revanches ; ces soldats disloqués, mêlés aux civils qu’ils n’ont pas su protéger, qu’ils n’ont pas su sauver, maintenant dans l’éternité, allégés du souci des représailles de la mort.

Les éclats d’obus, les balles dissèquent les corps, tailladent les vies et les destins. C’est pas comme au cinéma, où les balles ne font que des petits trous bien propres dont il ne s’échappe pas grand-chose, hormis la vie de temps en temps. Ils transforment ce qui hier était humain en quelque chose d’immonde, de monstrueux. Un magma de chairs, d’os, de sang mêlés. Sans forme ni sens. Un puzzle aux pièces manquantes.

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Extrait ajouté par dreamygirl 2023-06-28T14:47:26+02:00

Pendant la décennie écoulée, des cadavres, j’en ai vu des centaines, des milliers. J’ai appris l’anatomie dans les cadavres. Dans une guerre, après quelques heures, la mort c’est avant tout une odeur. Ça pue. D’une puanteur tout humaine. À Beyrouth comme à Sarajevo, en entrant dans une morgue, d’abord on sent, ensuite on voit. L’odeur est furieuse, l’agression fulgurante. La débâcle du corps, l’autre facette. Les tripes qui se relâchent, la pourriture qui remonte à la surface et suinte à travers la peau. Des années de douches, de bains, de savons, de déodorants, de parfums, d’huiles rares aux mille fleurs, de camouflage, de dissimulation pour en arriver là. Une odeur de merde ignoble. La nature qui règle ses comptes.

J’aime les morgues des pays en guerre. Leur humilité, leur modestie. Les corps qui balafrent les carrelages sales, gluants, poisseux sont enfin débarrassés des tyrannies de l’avenir. Ces gueules cassées, déchirées ne sont plus harcelées par la vie. Morts trop vite, ce sont des fugitifs, des déserteurs. Ils n’ont plus à endurer la souffrance. Résidus sans fierté, ils n’appartiennent plus à l’immédiat tapageur et tenace de la guerre.

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